Karine Lacombe en procès contre les complotistes : “Protégeons les défenseurs de la science”

Karine Lacombe en procès contre les complotistes : “Protégeons les défenseurs de la science”

Ce vendredi 5 avril, se tiendra au tribunal de Paris la première audience d’un procès opposant l’infectiologue Karine Lacombe au réalisateur du documentaire Hold-Up Pierre Barnérias, ainsi qu’à Martine Wonner et à Christian Perronne, grands défenseurs des thèses complotistes pendant la pandémie. Karine Lacombe les avait attaqués en diffamation à la sortie du film en 2020, car son nom et son image y ont été mis en scène et utilisés à plusieurs reprises pour diffuser “des fausses informations attentatoires à sa considération”, selon les termes de son avocate. Une démarche jusqu’ici unique en son genre, comme le déplorent les signataires de cette tribune publiée par L’Express. Dans ce texte de soutien, ces médecins, scientifiques et vulgarisateurs appellent à mieux défendre les défenseurs de la science et de la raison, “chaque jour moins nombreux” à cause des intimidations dont ils sont victimes.

Malgré les velléités de certains, de plus en plus bruyants, il n’est pas possible de tuer la science. Il n’est pas possible de transformer des pseudo-médecines en véritables thérapies, même si on veut y croire très fort. Il n’est pas possible de donner aux faits alternatifs le statut de faits.

Mais il est possible de “tuer” les chercheurs. Il est possible de bâillonner les médecins. Il est possible de réduire les vulgarisateurs au silence. Et cette tactique se développe de plus en plus ces dernières années, dans l’indifférence médiatique, dans le laisser-faire des institutions, dans le silence assourdissant de l’Ordre des médecins, des Agences régionales de santé, de l’Arcom (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et de tous ceux qui étaient censés être les protecteurs des lanceurs d’alerte et les défenseurs de la déontologie et de l’intégrité scientifique.

Des mandarins interdits de publications et accusés de fraude scientifique ayant mis en danger la sécurité des patients peuvent dépenser des dizaines de milliers d’euros d’argent public en procès pour intimider leurs pairs sans qu’aucune instance ne s’en émeuve. Des chaînes du service public peuvent diffuser des documentaires antivax, anti-médecine ou faisant la promotion de la charlatanerie, au risque de créer en France une nouvelle affaire Wakefield ou une crise de santé publique majeure, sans que les organismes chargés de la régulation, même dûment alertés, ne prennent aucune mesure. Des directeurs de recherche du CNRS, des fonctionnaires de l’Inserm, des chefs de service d’hôpitaux publics, peuvent harceler, injurier publiquement, diffamer leurs collègues et confrères, les chercheurs qui les contredisent et personne, dans aucune de ces institutions, ne viendra les en empêcher. Ils peuvent prendre pour cibles des journalistes, vulgarisateurs et vidéastes qui ont eu l’audace de leur déplaire en exposant leurs incohérences et les livrer au harcèlement de masse de leurs admirateurs, sans que cela prête nullement à conséquence pour leur carrière. Si cela ne suffit pas à faire taire leurs contradicteurs, certains n’hésitent pas à quitter le terrain de la science pour les traîner devant les tribunaux, parfois grâce à des aides juridiques institutionnelles, payées par l’Etat.

Des médecins renoncent à s’exprimer en public

Il est temps de regarder ces pratiques pour ce qu’elles sont : des procédures bâillons, visant non à rétablir les faits mais à faire taire des lanceurs d’alerte qui n’ont à se reprocher que d’avoir fait leur travail. Ceux-ci sont loin d’être protégés comme ils le devraient, et personne n’est surpris. Personne n’a protégé les médecins, chercheurs et vulgarisateurs qui suppléaient, seuls et sur leur temps libre, à la communication complètement défaillante des pouvoirs publics sur le Covid, ses faux remèdes, ses vrais essais cliniques, ses vaccins, ses théories du complot. Des vulgarisateurs ont jeté l’éponge face aux menaces, des chercheurs ont quitté le monde de la recherche pour fuir le harcèlement, des médecins ont renoncé à s’exprimer en public pour ne plus avoir à subir les insultes. Et personne ne semble s’en émouvoir. Les défenseurs de la science, de l’éthique en recherche, de la déontologie en médecine, sont chaque jour moins nombreux et rien n’est fait pour protéger ceux qui, encore, tiennent la ligne.

Pourtant, une loi contre les procédures bâillons existe à l’échelle européenne, qui est censée “protéger les journalistes, les militants et les universitaires travaillant sur les droits fondamentaux, les allégations de corruption et la désinformation”. Mais elle n’est appliquée par aucune des institutions censées en être garantes. Ni par les tribunaux qui auraient légitimité à rejeter les procédures abusives et à sanctionner l’initiateur, ni par les institutions auxquelles appartiennent les instigateurs de telles procédures qui devraient refuser de les financer, ni par les instances de régulation des diverses professions, allant de l’Arcom à l’Ordre des médecins, qui devraient apporter leur soutien aux lanceurs d’alerte, au lieu de les laisser, au mieux, livrés à eux-mêmes, au pire, ciblés par des procédures internes, en non-confraternité ou atteinte au droit d’auteur. Seuls face à la machine judiciaire quand ils sont attaqués, les lanceurs d’alerte le sont aussi quand ils tentent de l’utiliser pour se défendre.

Des mois de harcèlement et d’injures

Ainsi, ce vendredi 5 avril, Karine Lacombe fera face, au tribunal de Paris, au réalisateur de Hold-Up, Pierre Barnérias, et à deux de ses intervenants, Martine Wonner et Christian Perrone. Le film complotiste accuse nommément, pendant plus d’une heure et demie, de nombreux médecins, chercheurs, instituts de recherche. Karine Lacombe en fait partie parce qu’elle a tenu, malgré les risques, à faire son travail, à informer les patients de manière honnête, à mettre en garde contre les traitements non éprouvés, et à fustiger ceux qui vendaient des espoirs creux et des explications simplistes à des citoyens inquiets. Son cas devrait faire consensus. Mais Karine Lacombe fera face seule. A ce jour, aucune autre procédure pour diffamation, mise en danger de la vie d’autrui ou injure publique n’est en cours contre le film, ses créateurs ou ses participants. Aucune des institutions de tutelles des chercheurs ou médecins visés n’a jugé bon de prendre des mesures pour les protéger.

Et il faut une force mentale hors du commun pour, après des mois de harcèlement et d’injures, endurés tout en continuant ses recherches ou ses soins aux patients, trouver l’énergie de se battre en justice. Karine Lacombe l’a. Mais peu l’auront. La plupart se tairont, pour ne pas avoir à entrer dans la broyeuse judiciaire, laissant la voix libre à ceux contre lesquels ils ont alerté en vain, criant dans le désert. Les procédures bâillons et le manque de protection des lanceurs d’alerte sont les deux faces d’une même pièce qui, pour reprendre les mots de l’article de Science consacré au cas de l’IHU de Marseille, “dysfonctionne à tous les niveaux”. Si nous voulons que nos médecins soignent au mieux, que nos chercheurs avancent réellement, que nos vulgarisateurs puissent nous rendre compte de tout cela de manière objective, il est urgent de les protéger contre ces nouvelles menaces. Avant qu’il n’en reste plus à protéger.

Signataires :

Arpadis (Association Romande pour la Promotion de l’Auto-Défense Intellectuelle et Scientifique), Astec (Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique), Coqueluche sensibilisation (Groupe d’information sur la coqueluche et ses risques), Les Vaxxeuses (Collectif de lutte contre contre la désinformation vaccinale et médicale), NoFakeMed (Collectif de médecins en lutte contre les pseudosciences et pour la médecine basée sur les preuves), SPAV – Stop à la Propagande AntiVaccin (Groupe de lutte contre la désinformation vaccinale), Vaccins France (Groupe d’information et de lutte contre la désinformation vaccinale), Vaccination & Lien Social (Think tank sur les maladies évitables et leurs vaccins). Acult (vidéaste), Abraham Al-Ahmad (PhD, Enseignant-chercheur, Texas Tech University Health Sciences Center), Damien Barraud (MD, PH Réanimation CHR Metz-Thionville), Jérôme Barrière (MD, Oncologue médical, Président de CME), Lonni Besançon (PhD, Assistant Professor (maitre de conférence à Linköping University), Bioweb (Immunologiste et vulgarisateur scientifique), Pr Alexandra Calmy (HUG Genève), Sarah Campich (MD, Médecin anesthésiste FMH Genève), Vanessa Christinet (MD, Médecin), Christophe de La Roche Saint-André (PhD, Chercheur CNRS au Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille, Vice-président de l’Association française pour l’information scientifique, Afis), Pauline Delahaye (PhD, Chercheuse et vulgarisatrice – The Dendrobate Doctor), Kristell Delarue (MD, Médecin de PMI, journaliste médicale et blogueuse – Stéthoscope en compote), Thomas C. Durand (PhD, Vulgarisateur des sciences, La Tronche en Biais), Clément Freze, G Milgram (vidéaste), Nicolas Godelle (Ingénieur), Jérôme Guison (MD, Spécialiste en médecine interne et immunologie clinique), Thomas Huchon (journaliste), Kalou (Skeptics in the Pub Valais, créateur de contenu, information et prévention du phénomène sectaire), Corentin Lacroix (MD, Médecin généraliste et vulgarisateur, WhyDoc), Vincent Lautard (Infirmier et juriste en droit de la santé), François Lecardonnel (Spécialiste du développement clinique de médicaments), Marine Mercadié (Médecin généraliste et vulgarisatrice, Fantine et Hippocrate), François Morel (MD, chirurgien à Rouen et vulgarisateur, Doc Primum), Matthieu Mulot (PhD, vulgarisateur, Le Biostatisticien), Dr Florens Nans (PH aux hôpitaux universitaires de Strasbourg), Pharmagueudon (Pharmacien et vulgarisateur), Mathieu Repiquet (étudiant en médecine), Tipunch (graphiste), Alexandre Varin (Président de l’ASTEC), Vled Tapas (Médiateur scientifique et culturel – Responsable accessibilité), Marjorie Whitfield (PhD, Chercheuse à l’Inserm), Avistew (Bénévole en vulgarisation scientifique).

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