Kathleen Stock : “Le mouvement LGBT est désormais fractionné entre les LGB et les T”

Kathleen Stock : “Le mouvement LGBT est désormais fractionné entre les LGB et les T”

Le nom de cette professeure de philosophie à l’Université du Sussex a traversé la Manche à l’automne 2021, lorsqu’elle a démissionné à la suite d’une campagne agressive dénonçant sa supposée “transphobie”. Son tort ? S’être exprimée, comme universitaire et féministe, sur l’un des phénomènes les plus surprenants des dix dernières années au Royaume-Uni, l’augmentation spectaculaire du nombre de personnes trans et les revendications associées à celle-ci. Son livre sur le sujet, Material Girls, où elle dénonce les conséquences négatives de ces changements pour les femmes et les enfants, paraît en français chez H & O éditions (Material girls : nouveau féminisme – La théorie du genre à l’épreuve de la réalité, trad. Olivier Bosseau). Parfaitement documenté, il propose notamment une analyse rigoureuse, selon les principes de la philosophie analytique, des concepts d'”identité de genre” et de “femme”, et montre que le concept de “sexe”, avant celui de “genre”, possède à la fois une existence et une légitimité. Une évidence, direz-vous ? Sans doute, mais à l’heure où le militantisme se drape dans des concepts fumeux, il devient nécessaire de discuter sérieusement du sexe des anges.

Pourquoi le phénomène trans et les revendications associées à ce dernier ont-ils été si forts dans votre pays, le Royaume-Uni ?

Kathleen Stock En partie en raison de la forte proximité entre les organisations caritatives LGBT et les employeurs. Je pense notamment à Stonewall. Cette organisation historique [NDLR : la plus importante d’Europe] a – ou avait – la réputation de défendre les droits des gays et lesbiennes, a combattu diverses attaques du gouvernement contre les homosexuels dans les années 1980 et a, plus récemment, défendu le mariage gay. Stonewall comporte aussi une dimension très politique : elle possède un vaste réseau dans toutes les sphères, y compris dans la police et la justice, elle remet des prix lors de cérémonies où sont présents les politiques… Elle fait donc partie de l’establishment. En 2015, elle a décidé de lancer une grande campagne afin de faire accepter les femmes trans comme des femmes. Elle militait pour faire entrer dans la loi “l’autodétermination de genre” [NDLR : la possibilité d’affirmer son propre genre, y compris s’il est différent de son sexe de naissance] et souhaitait que toutes les institutions changent leurs règles de sorte que les femmes qui pensent, croient ou veulent être des femmes, puissent intégrer les équipes de sport féminines ou encore les vestiaires féminins et utiliser les toilettes pour femmes. Les actions ont rapidement suivi : la plupart des institutions ont changé leurs règles sur les conseils de Stonewall. Les espaces non-mixtes ont disparu dans bien des endroits, y compris dans les prisons ! Des hommes qui ne sont pas reconnus comme tels par la loi ni n’ont réalisé de transition de genre, et ayant un passé d’agresseurs sexuels, se sont retrouvés dans des prisons pour femmes… et y ont agressé des femmes. Ce n’était pas une surprise…

Il faut aussi parler de la question spécifique des transitions de genre chez les enfants. En l’espèce, une autre organisation, Mermaids, a réussi à influencer le NHS [NDLR : le service de santé britannique], y compris la clinique de Tavistock, devenue célèbre pour ses procédures peu précautionneuses.

Or en 2015-2016, quand tout cela a commencé à prendre de l’ampleur, les médias refusaient de considérer ce sujet. Tout le monde pensait que nous racontions n’importe quoi, mais c’était vrai. Heureusement, nous avons fini par être écoutées.

Les médias qui se sont saisis de ces questions sont essentiellement des publications conservatrices. Cela vous pose-t-il un problème, puisque vous êtes de gauche ?

Je vote Labour et l’ai toujours fait, et je suis membre du Parti travailliste. Mais je tiens à souligner que ce sujet dépasse largement la distinction entre droite et gauche. Ce sont les tories qui ont voulu donner suite aux revendications des trans, à commencer par Teresa May quand elle était Première ministre ! Et sur le terrain, ce sont des femmes syndicalistes, comme les membres de Women’s Place UK, socialistes et mêmes corbynistes, qui se sont fait entendre contre ces projets. Des gens très différents contestent ce qui se passe, ce qui n’est pas étonnant : les féministes à l’ancienne, les croyants, la droite, la gauche…

Mais en effet, la presse de centre-droite – The Times, The Telegraph, The Spectator, parfois The Observer – se trouve être le seul vecteur actuel d’information sur ce sujet. Je peux comprendre que cela décourage certaines personnes, à gauche, de s’exprimer, parce qu’elles ne veulent pas être associées avec ce qu’elles pensent être une position de droite. Mais aujourd’hui, pour tout vous dire, ces personnes me mettent hors de moi, car elles devraient cesser d’être aussi lâches. Ce n’est pas une question partisane. Le penser, c’est accepter l’idée de culpabilité par association. Ce que je refuse, car j’en ai moi-même été trop victime, quand je me faisant traiter de “chrétienne nationaliste d’extrême droite” [rires]. Le sujet trans affecte les enfants, les femmes en prison, les gens les plus pauvres. La gauche devrait le prendre au sérieux, point.

Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à ce sujet ?

Je ne suis pas une militante et ne l’ai jamais été, même si je fais partie d’un parti. Je suis une chercheuse. Je me suis intéressée à ce sujet en partie pour des raisons personnelles, car je suis homosexuelle et que ce sujet affecte les lesbiennes. Par ailleurs, j’estimais avoir l’expertise nécessaire pour m’exprimer car la philosophie se voit constamment invoquée pour justifier la position des activistes trans. Ils se comportent quasiment comme des moralistes ou des métaphysiciens ! Ils disent, par exemple, que “le sexe est un spectre” ou que “l’autodétermination du genre est un droit humain”… Autant d’assertions qui se trouvent mal justifiées mais que beaucoup de gens prennent au sérieux. Mon livre se veut donc une opportunité de clarifier les enjeux philosophiques du sujet, par contraste avec des auteurs comme Judith Butler, qui ne sont pas sérieux. Les gens comme elles disent des choses intellectuelles qui semblent faire autorité, alors qu’elles sont en réalité superficielles.

Connaissiez-vous le travail de Judith Butler avant de vous pencher sur le sujet des trans ?

J’étais vaguement au courant de son existence, comme une intellectuelle très à la mode – et elle est à la mode dans de nombreux départements qui ne sont pas ceux de philosophie mais de littérature ou d’études de genre. D’après mon expérience, les philosophes ne s’intéressent pas à elle. Plus tard, j’ai réalisé qu’elle avait cette voix puissante et autoritaire, et j’ai lu Gender Trouble, Bodies that Matter. Je prépare d’ailleurs un article sur son prochain livre, Who is Afraid of Gender ?, qui sort en mars, et qui est épouvantable.

Comment expliquez-vous l’importance prise par le sujet trans alors qu’il ne concerne qu’une minorité de personnes ?

C’est ce que je pensais au début, et je me trompais. Il existait depuis un certain temps une législation dans le droit britannique qui protégeait les trans, et elle me semblait très convenable. Mais elle présupposait que très peu de personnes voudraient changer de “genre” par la loi. Or bien des choses se sont passées depuis les années 2000, dont l’arrivée d’Internet. Et il est devenu bien plus commun que les jeunes se déclarent trans. Cela s’est traduit par une très forte augmentation des renvois de jeunes vers les services médicaux de réassignation de genre où était pratiquée la prescription de médicaments très puissants sans que des recherches suffisamment solides aient été menées au préalable. Si l’on inclut les non-binaires dans les trans, ce que font les associations LGBT, on se retrouve avec encore plus de personnes. Si le sujet est si brûlant aujourd’hui et qu’il mérite qu’on s’y attarde, c’est bien à cause de son ampleur.

Vous soulignez qu’aujourd’hui, les trans hommes (femmes se déclarant hommes) sont plus nombreux que les trans femmes (hommes se déclarant femmes).

Le terme habituellement employé pour décrire ce qui se passe est celui de la “contagion sociale”, non pas au sens d’une maladie mais d’un fait social : socialement, les phénomènes se répandent vite. Les jeunes, et en particulier les jeunes adolescentes, qui sont sujettes à des problèmes psychiques, en partie à cause des smartphones, qui s’automutilent, tombent dans l’anorexie et ont des envies de suicide croissantes, se révèlent susceptibles de s’accrocher à l’idée selon laquelle “elles se trouvent sans le mauvais corps”. Elles n’aiment pas leur corps ! Il suffit qu’elles ne se sentent pas particulièrement féminines pour que l’interprétation trans fonctionne.

Qu’est-ce que l”identité de genre” ? A quoi sert ce terme ?

Le terme n’aide pas car il est très ambigu. Le terme de “genre” est aujourd’hui utilisé pour signifier le “sexe” biologique, qui n’est pas un “spectre”, comme certains idéologues le prétendent, même s’il comprend des variations. Ensuite, on peut parler de “genre” dans le sens du féminisme des années 1970, celui de “présentation ou manifestation sociale et culturelle”. Moi, par exemple, j’ai un genre masculin pour une femme [NDLR, K. Stock a les cheveux courts et porte une chemise en jeans]. Enfin, l’”identité de genre” est quelque chose que l’on ressent – homme ou femme, ou aucun des deux – en adéquation ou non avec son sexe biologique. Cela n’a pas de rapport avec la façon dont les autres vous perçoivent. Les gens peuvent penser que vous êtes une femme mais vous, vous vous sentez homme.

Vous ne remettez pas en cause l’existence de ce phénomène. En revanche, vous critiquez le fait qu’il annule la réalité du sexe.

Tout à fait. C’est une folie que de prendre un état intérieur que personne ne peut voir, vérifier, dont personne ne peut attester, comme base d’une autorisation sociale, en particulier pour des hommes, à s’immiscer dans des espaces où des femmes se déshabillent. Qui peut dire si vous vous identifiez vraiment comme femme ? Cette chose privée, que personne ne peut voir, que n’importe qui peut feindre est infalsifiable. L’autre problème est que cette inadéquation peut être temporaire – on le voit chez ceux qui détransitionnent [NDLR : reviennent sur leur transition de genre]. On ne peut pas prendre un sentiment fluide temporaire et invisible comme critère principal de la loi. La base doit être la réalité, que l’on peut toucher et observer.

On pourrait vous répondre que les cas de violence perpétrés par des femmes trans sont rares.

Les hommes commettent plus de 90 % des actes violents envers les femmes : au sein de la population masculine, des prédateurs violent et tuent des femmes, et se saisiront des opportunités qu’on leur donnera pour le faire. Encore tout récemment, un homme s’est introduit dans un vestiaire pour femmes, prétendant s’identifier comme femme. De l’extérieur, on ne peut pas savoir qui est de bonne foi et qui ne l’est pas. En revanche, il est sûr et certain qu’il existe des violeurs et des tueurs… Si vous pensez que quelque chose de magique se passe quand un homme met une robe, vous êtes bien naïf.

Pire, prenez les refuges pour femmes battues ou violées. Est-ce que les femmes qui ont été agressées par des hommes ont le droit de se retrouver dans des environnements réservés aux femmes, pour guérir, parce qu’elles sont traumatisées ? Oui ! Je pense aussi aux femmes qui pratiquent des religions selon lesquelles une femme ne peut pas se trouver en présence d’hommes. Ceux qui pensent que ces problèmes sont sans importance sont naïfs ou indifférents.

Certains trans ressentent très durement la non-reconnaissance de leur identité de genre.

Le sexe est un fait dimorphique : dès le plus jeune âge, la testostérone modifie les traits du visage car elle sert à différencier les garçons des filles. Or la grande majorité des femmes trans n’ont pas subi d’opération ni ne prennent d’hormones. Le fait que des personnes sont des hommes se voit ! Nous avons des yeux ! En quoi le fait de nommer leur sexe les expose-t-il à davantage de violence que le fait de le voir ? L’argument de la vexation ou de la blessure ne peut que s’appliquer à des hommes trans ayant pris beaucoup de testostérone et qui ressemblent vraiment à des hommes, et à des gemmes trans qui ont fait de la chirurgie esthétique et ressemblent vraiment à des femmes. Si vous me disiez que vous étiez que vous étiez née homme et étiez devenue une femme, je ne serais pas capable de le savoir [rires]. Certaines femmes trans sont extrêmement féminines, et en effet, dévoiler tout haut leur sexe peut être agressif, mais qui fait cela ? Pas moi !

En revanche, si vous me demandez si ces femmes trans sont des hommes ou des femmes, je serai obligée de vous répondre que ce sont des hommes. Dans mon livre, j’en donne une explication théorique qui montre que nous avons besoin d’un mot pour désigner les mâles et femelles adultes. Ces concepts ont une fonction importante. Ils ne sont pas fondés sur les apparences, le maquillage ou la démarche, mais sur les gamètes, et nous permettent tout simplement d’expliquer le monde. Ainsi, si cette femme trans hypothétiquement parfaitement féminine va à l’hôpital, elle devra se déclarer comme homme car ce sera un critère important pour son traitement. Ou bien si elle participe à une activité sportive, autrement elle aura un avantage indu sur les femmes.

La nécessité de dire la vérité ne signifie pas qu’il faut toujours le faire ou que l’on va agresser les gens en dévoilant leur sexe, mais nous ne pouvons pas perdre la capacité à nommer la réalité quand nous en avons besoin. Je comprends que cela puisse heurter les gens mais je ne vois pas d’autre manière de faire.

Imaginons alors un monde idéal où aucune femme trans ne s’attaquerait aux femmes. L’autodétermination de genre resterait-elle un problème ?

En théorie, si on pouvait se passer de toutes ces conséquences négatives, je m’en ficherais et je n’aurais pas risqué mon travail pour cela ! Mais même dans ce cas, on perd quelque chose d’essentiel, la clarté de pensée, en particulier pour les enfants, dont les concepts se développent. Certains enfants sont désormais si perdus qu’ils ne savent pas ce qu’est une femme !

Autre problème, les statistiques. Il y a quelque temps, un homme a étranglé un autre homme. Il a aussi mis un chat dans un blender. Au procès, dans des médias comme la BBC, il a été désigné comme une femme. Son crime a été enregistré comme commis par une femme. Cela veut dire que les statistiques de certains crimes vont en être changées. Désormais, lorsque je lis ou entends quelque chose sur un “crime” commis par une femme, je ne sais plus s’il s’agit d’une femme ou d’un homme devenu femme…

Certains militants trans ne recherchent-ils pas essentiellement les avantages d’un sexe sans en endosser les inconvénients ?

Oui. J’ai rencontré beaucoup de femmes trans qui semblaient penser que la seule chose que nous faisons, nous les femmes, consiste à rester assise à ne rien faire, à porter des robes et à boire le thé. Elles ne prennent pas tellement en compte les travaux ménagers ou les aspects difficiles !

Ce qu’on appelle l’autogynéphilie [NDLR : état d’une personne née homme qui souhaite devenir une femme en étant motivée par l’excitation que le corps d’une femme lui procure en tant qu’homme], qui concerne certains trans, comporte aussi une dimension fétichiste vis-à-vis de la féminité : ces trans fétichisent ce qu’ils considèrent comme la passivité et la victimisation. Andrea Long Chu, qui a écrit sur ce sujet, définit ainsi la féminité comme un état de faiblesse et de victimisation. C’est un point de vue extrêmement étroit et misogyne.

Vous avez fini par démissionner de l’université. Vous êtes aussi régulièrement traitée de Terf (trans-exclusionary radical feminist, féministe radicale excluant les personnes trans). Racontez-nous…

Terf permet simplement de désigner les femmes dissidentes. Je ne suis pas une féministe radicale, je ne suis qu’une féministe. Dès que j’ai commencé à écrire sur ce sujet, j’ai rencontré des problèmes au travail, pendant des années. Puis, progressivement, on a cherché à me faire perdre mon emploi, on a protesté contre mes conférences, signé des pétitions contre moi. Après la sortie de mon livre en 2021, un groupe d’activistes a décidé de m’exclure de l’université pour de bon, et a monté une campagne sur le campus, avec un manifeste qu’ils distribuaient et des affiches comme “Virez Kathleen Stock” ou “Kathleen Stock est transphobe”. Ils portaient des masques et protestaient en permanence. On n’a jamais su exactement de qui il s’agissait mais je crois que le chef de la bande était un étudiant d’une autre université. Un autre venait de Sussex. Et c’étaient en majorité des hommes, cela se voyait. Je venais juste de commencer le semestre et enseigner devenait de plus en plus difficile. J’ai dû enseigner par Zoom à la demande de la police. Des articles sortaient tous les jours dans la presse. Le syndicat d’enseignants dont j’étais membre est allé jusqu’à publier un communiqué exprimant son accord avec les manifestants, et que Sussex était institutionnellement transphobe à cause de moi. A la fin de cette longue période difficile, j’ai préféré partir.

Je n’ai pas reçu le soutien de mes collègues, qui craignaient que quelque chose leur arrive. Mais j’ai rencontré des femmes fortes, universitaires ou non, qui me soutiennent aujourd’hui. On rencontre toujours des gens exceptionnels dans ce genre de situations.

Le mouvement LGBT est-il en train de se fracturer ?

D’une certaine façon, oui. Je mène de mon côté une initiative, le “Lesbian project”, qui ne s’intéresse qu’aux lesbiennes. Il existe aujourd’hui une tension entre les lesbiennes, les gays et les bisexuels d’un côté, et de l’autre les trans, entre LGB et T si vous voulez, parce que les exigences de T sont énormes et que 90 % des mouvements LGBT se concentre désormais sur T au détriment de LGB, ce qui a un impact sur les financements, les ressources et l’attention des pouvoirs publics. Cela nous laisse sur le bord du chemin. De surcroît, certaines femmes trans se nomment désormais des lesbiennes, avec le soutien des LGBT. Le lesbianisme est devenu une identité que l’on peut adopter même si vous l’on est un homme ! Des hommes hétérosexuels, attirés par les femmes, devenus “femmes” se font appeler des lesbiennes. Et si l’on ne veut pas coucher avec eux, on est une transphobe, on veut détruire le mouvement LGBT. C’est une trahison des vraies lesbiennes.

Dans votre livre, vous accusez l’université d’avoir contribué à l’essor du militantisme, notamment à cause de la “haute théorie”.

L’université, et en particulier la philosophie, cherche toujours quelque chose de nouveau – en l’espèce, la “nouvelle théorie de la féminité”. Mais une telle théorie est inutile. Notre langage commun a développé un très bon moyen pour différencier les hommes et les femmes. Nous savons comment le faire. C’est une forme de décadence universitaire que de vouloir jouer avec les mots au nom de la justice sociale. Car ce n’est pas eux, les chercheurs, qui seront affectés par les effets de leur théorie. Ils seront remarqués et promus mais les femmes qui se trouvent en prison seront, elles, agressées par des prédateurs à cause de leurs théories et ne tireront aucun bénéfice de ces théories. Il faut se méfier des théories compliquées sur les choses que nous savons déjà très bien faire.

Il existe comme des codes implicites, des signes de connivence qui permettent aux personnes de la classe moyenne supérieure de se reconnaître. “Nous savons ce qu’est l’identité de genre, ce qu’est une femme trans”, disent ces universitaires, et beaucoup de gens qui ne sont pas allés à l’université ne savent pas ce que c’est. C’est un facteur de division.

On le voit dans le dernier recensement : à la question “votre genre est-il différent ou non du sexe assigné à la naissance ?”, on obtient le score le plus haut à Newham, à Londres, là où les classes populaires et les immigrés sont très nombreux ! C’est à Newham qu’il y a le plus de trans ! Mais bien sûr que non, c’est juste qu’ils n’ont pas compris la question ! Ce langage n’est pas fait pour les gens ordinaires.

Parmi les solutions que vous préconisez, vous insistez sur le fait de prendre au sérieux l’intersectionnalité, une notion pourtant dénoncée par les “anti-woke”.

Le concept est devenu hors de contrôle à force d’avoir été mal utilisé. Mais dans son essence, il consiste à dire que certaines personnes souffrent de plus d’une forme de discrimination en même temps – par exemple, une lesbienne noire ou des gays handicapés. La superposition de ces discriminations peut être plus grande que leur somme. La chercheuse Kimberlé Crenwhaw en donne des illustrations crédibles. Or pour que ce concept fonctionne, il faut reconnaître que les femmes sont des femmes, ou que l’attirance des femmes pour les femmes existe, et donc que le sexe existe. Sans sexe, pas d’intersectionnalité.

Ceux qui font un mauvais usage du terme visent en réalité à dire que les femmes trans sont les personnes les plus opprimées de la hiérarchie, davantage que les femmes cis. Or être victime car femme ou trans ne devrait pas être une question de hiérarchie. Et beaucoup de femmes sont trans… Sans parler du fait que l’aspect socio-économique n’est pas pris en compte dans l’évaluation de ces discriminations. Cela confirme que le militantisme trans est un mouvement bourgeois. Et la gauche devrait s’en préoccuper.

Le militantisme trans n’est-il pas né à gauche ?

La “politique identitaire” n’est pas vraiment une position de gauche, c’est une position “libérale” au sens où elle vise à se débarrasser de toutes les normes sociales. C’est une position égoïste, et donc non socialiste.

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