La guerre en Ukraine vue par le RN et LFI : quatre arguments, une même complaisance avec Poutine

La guerre en Ukraine vue par le RN et LFI : quatre arguments, une même complaisance avec Poutine

Depuis les propos d’Emmanuel Macron sur l’envoi de troupes au sol et à l’approche des élections européennes, la guerre en Ukraine a rarement suscité autant de débats sur la scène politique française. En corollaire, autant d’approximations à mettre au crédit du Rassemblement national ou de la France insoumise. De l’Europe qui “n’est pas aujourd’hui directement menacée” par la Russie, aux “territoires disputés” en Ukraine, L’Express a sélectionné, et corrigé, quatre déclarations d’une rare complaisance.

“L’Europe n’est pas aujourd’hui directement menacée” : Thierry Mariani, député européen du RN

Sa déclaration a aussitôt fait tiquer sur le plateau. Invité à débattre le 14 mars avec d’autres candidats aux élections européennes par la chaîne Public Sénat et les journaux du groupe Ebra, l’eurodéputé du Rassemblement national Thierry Mariani a livré son analyse sur l’invasion russe de l’Ukraine. “Qu’est-ce que nous disons aujourd’hui sur cette guerre ? Nous disons tout simplement d’abord que l’Europe n’est pas aujourd’hui directement menacée”, a lancé l’ancien ministre, avant d’être qualifié quelques minutes plus tard de “petit télégraphiste du Kremlin” par la tête de liste PS-Place publique Raphaël Glucksmann.

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, les menaces proférées par la Russie contre l’Europe sont nombreuses et largement documentées. “Elles sont quasi quotidiennes : il suffit d’allumer la télévision russe, confirme l’historienne Françoise Thom, auteure de “Poutine ou l’obsession de la puissance” (Litos, 2022). C’est particulièrement clair pour les Etats baltes ou la Pologne, où cette question ne fait absolument plus débat.” En mai dernier, l’ancien président russe, aujourd’hui vice-président du Conseil de sécurité de Russie, Dmitri Medvedev, avait ouvertement parlé de “nos provinces baltes” et d’une Pologne “temporairement occupée”.

“Aujourd’hui, on a dépassé le stade de la menace, complète Mathieu Boulègue, chercheur associé à la Chatham House spécialiste de la Russie. Le Kremlin se définit comme étant en guerre contre nous : pas une guerre telle qu’elle a lieu en Ukraine, mais une guerre informationnelle et technologique de basse intensité qui se déroule au travers d’opérations dans la zone grise.” Régulièrement accusé de complaisance avec la Russie, Thierry Mariani, qui est en outre coprésident du Dialogue franco-russe, une association de lobbying réputée pro-Kremlin, avait déjà appelé un an plus tôt à “avoir de bons rapports avec la Russie”, jugeant que Vladimir Poutine est “quand même un chef d’Etat qui a de l’expérience”.

“Des territoires disputés aujourd’hui entre Poutine et l’Ukraine” : Aymeric Caron, député apparenté LFI

La séquence a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Invité par l’émission C ce soir sur France 5 le 19 mars, le député LFI Aymeric Caron a qualifié les régions occupées par les Russes de “territoires disputés aujourd’hui entre Poutine et l’Ukraine”, avant d’ajouter qu’il serait nécessaire “d’écouter les populations qui sont quand même les principales concernées, notamment les populations russophones”. Si le député reconnaît que l’intégrité territoriale de l’Ukraine “a été violée”, il estime ensuite que dans les territoires occupés par les Russes, “il y a des habitants qui ont fait la démarche inverse” d’un rapprochement avec l’Europe, évoquant “des séparatistes” et “tout ça”…

« Certains territoires sont disputés. Il y a des séparatistes. » @CaronAymericoff Député REV-LFI de Paris
« C’est faux. La déstabilisation du Dombass a été organisée. » @vidalelsaMoscou de @RFI#CCeSoir
➡️ https://t.co/MSqBlToOHt
🎧en podcast https://t.co/iA4QuHBys9 pic.twitter.com/ccSFVuX4tT

— C ce soir (@Ccesoir) March 19, 2024

Un narratif largement diffusé par le Kremlin dès l’invasion de la Crimée et du Donbass en 2014. “Les mouvements séparatistes ont été entièrement pilotés par le GRU (la direction générale des renseignements russes). C’est un fait établi qui a, en outre, été raconté en détail par Igor Guirkine, à l’époque l’officier russe en charge de ces opérations”, retrace l’historienne Françoise Thom. De plus, les russophones ne sont pas nécessairement des séparatistes pro-russes : là encore, il s’agit d’un argument relayé par la propagande russe.”

D’après un sondage conduit en avril 2014 dans le sud de l’Ukraine, 74,3 % de la population était ainsi opposée à l’entrée de troupes russes sur le territoire de l’Ukraine, et 76,5 % contre les rassemblements en faveur de l’adhésion à la Russie. “Il y a certes eu certaines franges marginales de la population ukrainienne dans le Donbass qui se sentaient moins ukrainiennes que d’autres. Mais de là à en faire des séparatistes pro-russes prêts à prendre les armes, il y a un gouffre”, résume Mathieu Boulègue.

“Il ne faut pas aller jusqu’à du matériel offensif qui pourrait faire passer la France pour une cobelligérante” : Laurent Jacobelli, porte-parole du RN

Invité à réagir en duplex sur BFMTV à l’interview d’Emmanuel Macron du 14 mars, le député et porte-parole du Rassemblement national Laurent Jacobelli a donné son point de vue sur les aides à fournir à Kiev. “Il y a aujourd’hui du matériel défensif qui est livré ou qui va être livré à l’Ukraine pour défendre sa population. En revanche, il ne faut pas aller jusqu’à du matériel offensif qui pourrait faire passer la France pour une cobelligérante”, affirme le parlementaire de Moselle, avant de préciser la différence qu’il fait entre les différents types d’armements. “C’est simple, se protéger, par exemple, d’envois de missiles russes et les arrêter, ce n’est pas la même chose que de les envoyer soi-même sur Moscou”.

Laurent Jacobelli sur les livraisons d’armes à l’Ukraine: “Il ne faut pas aller jusqu’à du matériel offensif” pic.twitter.com/yWFT9l6XPQ

— BFMTV (@BFMTV) March 14, 2024

L’opposition entre “matériel offensif” et “défensif” est considérée comme artificielle par de nombreux experts militaires. “Cette distinction n’a aucun sens puisque les équipements modernes fournis par la France ou les pays occidentaux peuvent être à la fois utilisés de manière offensive ou défensive, confirme Mathieu Boulègue. Cela dépend avant tout de la mission, pas du matériel en question : un simple pistolet peut servir à attaquer ou se défendre selon les cas.” La notion de cobelligérance, régulièrement mise en avant depuis le début du conflit, est elle aussi largement discutée. “Cela fait des mois que du matériel occidental est utilisé par l’Ukraine pour se défendre sans faire de nous des cobelligérants, ajoute le chercheur. Nous considérer comme tel ne correspond ni aux intérêts de la Russie, ni aux signaux qu’elle nous envoie.”

A ce jour, les missiles à longue portée Scalp-Storm Shadow fournis par la France et le Royaume-Uni n’ont, en outre, jamais servi à frapper directement la Russie, mais des cibles situées sur des territoires ukrainiens occupés par les troupes russes, comme la Crimée. “Aucun pays occidental ne parle d’envoyer des missiles sur Moscou”, abonde Mathieu Boulègue. Les récentes frappes contre les installations pétrolières en Russie n’ont ainsi pas été réalisées grâce à du matériel occidental, mais avec des drones à longue portée de fabrication ukrainienne.

“Faire en sorte que l’Ukraine rejoigne l’Otan, c’est s’empêcher toute capacité de fournir à la Russie des garanties de sécurité” : Manuel Bompard, député LFI

Le 10 mars, lors de l’émission le Grand Jury RTL-Le Figaro-M6, le député LFI Manuel Bompard affirme s’opposer à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’Otan, considérée comme des “lignes rouges”. Il précise ensuite sa pensée. “Faire en sorte que l’Ukraine rejoigne l’Otan, c’est s’empêcher toute capacité de fournir à la Russie des garanties de sécurité, si on veut pouvoir avoir des garanties de sécurité mutuelles [pour la Russie et l’Ukraine, NDLR]”, explique l’ancien directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon.

🔴🗣️ “L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ou à l’OTAN, ce sont des lignes rouges pour nous”, dit @mbompard dans #LeGrandJury. @ParisPremiere
@m6info pic.twitter.com/qsa3nMdbM8

— RTL France (@RTLFrance) March 10, 2024

La Russie – pays agresseur en Ukraine – aurait-elle donc besoin de garanties de sécurité pour se protéger des velléités expansionnistes de ses voisins ? “Ce besoin de sécurité a toujours été l’un des éléments centraux de la propagande russe, observe l’historienne Françoise Thom. Mais en réalité, l’Otan est une alliance défensive qui n’a jamais eu pour projet de l’envahir.” A l’inverse, Moscou n’a pas hésité à envoyer ses troupes à l’assaut de ses voisins, en Géorgie, en 2008, puis à deux reprises en Ukraine en 2014 et 2022. Raison même qui a précipité l’adhésion de la Finlande et la Suède à l’Alliance atlantique en 2023 et 2024, après des décennies de neutralité.

Au-delà, peu de chances que d’hypothétiques garanties de sécurité accordées à la Russie suffisent à garantir un quelconque accord de paix, pointe Mathieu Boulègue. “La Russie n’a aujourd’hui plus aucune crédibilité dans son intention de respecter le moindre accord international qu’elle pourrait signer”, souligne le chercheur. Il est vrai que l’historique des déclarations russes avant l’invasion de l’Ukraine ne joue pas en faveur de Moscou. “’Aucune ‘invasion russe’ de l’Ukraine, qu’annoncent depuis l’automne dernier des responsables américains et leurs alliés n’a lieu et n’est prévue”, avait déclaré le ministère russe des Affaires étrangères, le 17 février 2022. Précisément une semaine avant de donner l’offensive.

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