Langues : comment le normand et le français ont exercé une influence majeure sur l’anglais

Langues : comment le normand et le français ont exercé une influence majeure sur l’anglais

Le saviez-vous ? Pendant plusieurs siècles, le français fut la langue officielle du… royaume d’Angleterre. Eh oui ! Souvenez-vous de vos cours d’histoire. En 1066, Guillaume le Conquérant remporte la bataille d’Hastings et s’installe sur le trône de Londres. Et bien sûr, l’aristocratie normande y impose sa langue.

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Corrigeons donc aussitôt ce que je viens d’écrire : à cette époque, ce n’est pas le français qui est en usage parmi les élites, mais le normand, autrement dit une langue d’oïl proche, mais différente, de celle parlée à Paris. Et, comme toute langue, elle possède des traits caractéristiques. Voilà pourquoi, pour désigner une voiture, nos amis britishs emploient encore aujourd’hui car (à la normande) et non pas “char” (à la parisienne). Pourquoi ils disent veil et non “voile” ; escape et non “échappé” ; market et non “marché”. On y retrouve également le chuintement typique du normand, où “cendre” se dit chendre, dans la prononciation de termes comme nation, ocean ou push. Comme le souligne le linguiste Bernard Cerquiglini dans l’ouvrage qu’il vient de consacrer à ce sujet (1), le normand a véritablement exercé une influence majeure sur l’anglais. Ce qui n’empêche pas certains, par ignorance, de le considérer encore comme un méprisable “patois”…

La domination de la langue de Guillaume se prolonge plus ou moins jusqu’à la perte de la Normandie par le royaume d’Angleterre, en 1204. C’est alors le français de Paris qui commence à dominer sur les bords de la Tamise. Logique : le royaume de France a gagné en puissance et l’idée s’insinue à Londres que la “bonne langue” ne peut être que celle pratiquée aux alentours de l’île de la Cité. Pour cette raison – cela aussi, on le sait peu –, les premiers manuels pour décrire et enseigner notre langue sont rédigés… par des Anglais, comme ce Donait françois de John Barton, écrit vers 1400.

Au français, le lexique noble ; à l’anglo-saxon le vocabulaire courant

Si ces ouvrages sont nécessaires, c’est que les temps ont changé. En 1399, lorsque le roi Henri IV accède au trône, il n’a pas le français pour langue maternelle, mais l’anglais (la guerre de Cent Ans est passée par là). Cela n’était plus arrivé depuis Edouard le Confesseur, le prédécesseur de Guillaume le Conquérant ! Mais attention aux erreurs d’interprétation : si le français devient à partir de cette époque une langue seconde, il n’en continue pas moins de remplir un rôle majeur. Il reste en effet l’idiome de l’économie (commerce, debt, entrepreneur, finance, inflation, money) ; du gouvernement (authority, parliament, state) ; de la justice (advocate, judge, prison) ; de la religion (abbey, cathedral, sacrament) ; de la science (astronomy, physics, study, doctor, remedy)… En réalité, c’est une sorte de bilinguisme hiérarchisé qui s’instaure : au français, le lexique noble ; à l’anglo-saxon, le vocabulaire courant. C’est ainsi que les animaux sont désignés par un mot anglais lorsqu’ils sont élevés par des paysans et par un terme français lorsqu’ils arrivent dans l’assiette des aristocrates : ox/beef, calf/veal, pig/pork, sheap/mutton…

L’imprégnation est intense, massive, profonde. Au total, de beauty à city, en passant par cruel, different, flower, people, prince, river, table, plus d’un tiers du vocabulaire de l’anglais moderne est issu soit du normand, soit du français. Une proportion qui faisait dire à Clemenceau (parfaitement bilingue) : “La langue anglaise n’existe pas. C’est du français mal prononcé” – formule reprise en titre par Bernard Cerquiglini.

Cet ascendant tricolore va même au-delà du lexique, souligne le linguiste, puisqu’on le repère dans certaines locutions (the most part, in vain, in conclusion). En témoignent aussi la fréquence des préfixes en “a” (alive), en “dis” (disappear), en “in” (insensitive) ; des suffixes en “ance” (compliance) et en “able” (eatable) – tous venus de ce côté-ci de la Manche. En témoigne enfin l’abondance des pluriels en -s au détriment de la tournure en -en (child/children), typique du vieil anglo-saxon.

S’il est demeuré une sorte de variante du français, l’anglais a néanmoins toujours vécu sa vie de manière autonome. C’est ainsi que beaucoup de mots disparus chez nous se sont maintenus outre-Manche, tels grievance, pledge ou solace. D’autres encore y ont gardé une acception qui n’a plus cours dans l’Hexagone comme cave (avec le sens de “caverne”), injury (“blessure”), noise (“bruit”) – c’est là notamment l’origine des “faux-amis”. D’où cette formule d’une autre linguiste, Henriette Walter : “L’anglais est une bonne introduction à l’ancien français”.

Terminons par un paradoxe qui n’en est pas un. Si “l’Angleterre est une colonie française qui a mal tourné” (Clemenceau, encore), le normand et le français ont bel et bien offert à l’anglais le vocabulaire de la modernité, celui qui lui a “permis de devenir plus tard une langue internationale”, comme l’écrit Bernard Cerquiglini. Son succès planétaire actuel est donc – en partie – une manière d’hommage à la francophonie.

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(1) La langue anglaise n’existe pas. C’est du français mal prononcé, par Bernard Cerquiglini. Editions Gallimard

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Devant l’obligation de traduire en français des termes comme warming zone, start ou high/low, des fabricants d’appareils électroménagers menacent de ne plus offrir leurs produits sur le marché québécois.

La fondation Voltaire veut démocratiser la langue des signes

“Les Signes de Voltaire” est un parcours 100 % en ligne pour acquérir les bases de la langue des signes française. Il propose 1 000 signes et 200 phrases à découvrir et à mémoriser pour permettre au plus grand nombre de communiquer avec les personnes signantes.

Ces mots gallos que vous connaissez peut-être

Tu bouines (“tu n’avances à rien”) ; un pochon (“un sac”) ; je suis benèze (“je suis heureux”)… Tels sont quelques-uns des mots issus du gallo (langue latine parlée à l’est de la Bretagne) mis en avant par le Conseil régional de Bretagne à l’occasion du “mois du gallo”, qui se déroule en ce mois de mars.

Bientôt des panneaux bilingues à Mont-de-Marsan

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Lafont, Manciet et Lesfargues : trois auteurs entre français et occitan

C’est à signaler : la maison des francophonies de Montpellier Via Domitia fait preuve d’ouverture en proposant un événement centré sur les relations entre le français et l’occitan, en association avec le laboratoire ReSO. Une rencontre littéraire, intitulée “Lafont, Manciet et Lesfargues : trois grandes voix occitanes entre deux langues (français et occitan)”, aura lieu le 26 mars prochain à 18 heures sur le site Saint-Charles de l’université Paul-Valéry Montpellier 3, avec pour intervenants Guy Latry, Jean-Claude Forêt, Christian Lagarde et Claire Torreilles. Elle sera comme son titre l’indique consacrée à ces trois écrivains majeurs du XXe siècle en langue doc. Il sera possible d’y assister en visioconférence grâce à ce lien.

Participez aux assises des langues et cultures régionales

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À ECOUTER

Blev, par Barba Loutig

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Le festival des langues françaises de Rouen fait entendre la diversité des français

A l’occasion de la sixième édition du festival des langues françaises, organisée au Centre dramatique national de Rouen, Pascal Paradou fait entendre la diversité des français, dans la francophonie comme en France. Avec notamment Ronan Chéneau, l’auteur à l’origine de ce festival.

À REGARDER

Elle chante en… 140 langues !

Originaire du sud de l’Inde, Suchetha Satish chante en 140 langues, dont le français. Elle explique son parcours en répondant aux questions du site Cheminez !, “le média des langues et des cultures d’ici et d’ailleurs”.

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