Le RN et ses alliés européens : les dessous d’une relation tourmentée

Le RN et ses alliés européens : les dessous d’une relation tourmentée

Patience est mère de sûreté. La devise infuse, en ce moment, chez les eurodéputés du Rassemblement national. Habitués depuis des mois à n’être mis au courant de rien en ce qui concerne la campagne européenne du parti d’extrême droite (et donc leur propre sort directement), les élus frontistes se sont faits à l’idée. Pas d’informations sur la liste, quasiment rien sur le programme, alors pourquoi en serait-il autrement concernant la stratégie du RN vis-à-vis de ses alliés européens ?

Bon, tout le monde a bien compris que ça chauffait, en ce moment, avec l’AfD, parti allemand allié du RN, également membre du groupe Identité et Démocratie au Parlement européen. En février, certains de ses dirigeants ont été pris la main dans le sac à se laisser conter un plan de “remigration”. Alice Weidel, présidente du parti, a donc été sommée de s’expliquer par Marine Le Pen, et a peu goûté à cette humiliation. Elle s’est vengée, la semaine dernière, profitant d’un déplacement de cette dernière à Mayotte pour s’interroger sur la restitution de Mayotte aux Comores. “Le message des Allemands c’est : tu as voulu m’humilier, tu vas pouvoir aller te faire voir”, commente un connaisseur des rouages européens. Au Parlement européen, on apprécie peu l’attitude de Marine Le Pen vis-à-vis des Allemands.

Dans les récents sondages, l’AfD frôle les 20 % d’intentions de vote, et constitue donc un allié de poids pour la prochaine mandature, surtout avec la perspective d’une Lega (le parti italien de Matteo Salvini, également membre du groupe ID) en perte de vitesse. “Les proches de Marine Le Pen lui conseillent d’être sévère vis-à-vis des Allemands, mais comme ils n’y connaissent rien au Parlement européen, ils ne se rendent pas compte des conséquences de leurs déclarations. On a besoin des Allemands”, peste un cadre.

Un groupe ID affaibli

C’était sans compter le récent scandale autour de Maximilan Krah, la tête de liste de l’AfD pour les élections à venir. Déjà accusé d’avoir reçu de l’argent d’un réseau de propagande russe, l’eurodéputé s’est retrouvé empêtré dans une autre affaire, ce mardi 23 avril, liée à son assistant parlementaire, arrêté pour espionnage pour le compte de la Chine. “Bon, ça commence peut-être à faire beaucoup”, concède-t-on même à Strasbourg. Le sujet a été évoqué en interne, et la décision a été prise de ne pas couper les ponts avant d’en savoir un peu plus sur cette histoire. Déjà très isolé au Parlement européen, le RN ne peut pas se permettre une vie d’ermite alors que le groupe ID ressort affaibli de la mandature. Il y a un an, les nationalistes finlandais, jugeant le groupe trop russophile, quittaient ID pour rejoindre le groupe concurrent ECR, plutôt d’ADN conservatrice et atlantiste – c’est ce groupe que rejoindraient les élus zemmouristes s’ils obtenaient des sièges le 9 juin. Dans les couloirs, on murmure que les élus danois et le seul élu estonien du groupe rêvent à leur tour de mettre les voiles. Or, pour pouvoir former un groupe au Parlement européen, il faut compter au moins 23 élus et huit nationalités différentes. Pour l’heure le groupe ID ne compte, justement, que neuf nationalités.

Voilà donc des mois que le RN est parti à la chasse aux alliés. Par l’intermédiaire de ses eurodéputés ? Pensez-vous. La tâche a été confiée à Thibaut François, fidèle de Marine Le Pen, ancien secrétaire général du groupe au Parlement européen, élu à l’Assemblée nationale en juin 2022, qui aurait, dit-on, un peu de mal à faire le deuil de son ancien poste. “C’est quelqu’un du Parlement français qui s’occupe des alliés européens, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise…”, se lamente un élu. Pour l’heure, les perspectives d’alliances ne sont pas réjouissantes. Malgré des démonstrations d’affection répétées de la part du RN envers le parti hongrois de Viktor Orban, les eurodéputés du Fidesz, orphelins de groupe depuis quelque temps, semblent préférer le groupe ECR, où siègent aussi les élus de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni – qui n’apprécie pas particulièrement le RN, lequel le lui rend bien. Les frontistes nourrissent cependant de l’espoir du côté du parti populiste portugais Chega, qui devrait faire son entrée au Parlement européen au sein du groupe ID.

L’abandon du “supergroupe”

L’idée, toutefois, de créer un “supergroupe”, longtemps défendue par le RN, a été abandonnée l’air de rien. L’an dernier, dans un entretien accordé au journal italien La Reppublica, Marine Le Pen assurait encore qu’un “grand eurogroupe de souverainistes” pourrait voir le jour. Depuis la rentrée de septembre, Jordan Bardella, tête de liste du RN, s’est bien gardé d’y faire allusion. La raison de ce renoncement : des divergences idéologiques et stratégiques qui opposent les différents partis d’extrême droite. Sur la question russe, notamment, mais aussi sur les questions économiques et sociétales, là où les membres d’ECR affichent un positionnement plus libéral conservateur que le groupe ID, et une stratégie de participation plus importante au jeu européen.

Au RN, désormais, on ne parle donc plus de supergroupe, mais de “coalition”. “L’idée a été abandonnée, confirme un cadre. On s’est rendu compte que ce ne serait pas possible, on se tourne plutôt vers une plateforme de collaboration, ou une collaboration vote par vote avec les partis souverainistes.” Encore faut-il s’entendre avec ces alliés putatifs. Les élus polonais du PiS, par exemple, régulièrement cités par le RN, ont voté contre les amendements portés par ces derniers en février dernier à propos des allégations d’ingérence russe dans les processus démocratiques de l’Union européenne, et dans lesquels les frontistes se défendaient, en raison du prêt contracté auprès d’une banque russe notamment, de toute proximité avec la Russie.

Même en interne, certains s’agacent donc de cette idée de “coalition” qu’ils qualifient d’”argument marketing”. “C’est du bidon, une plateforme de collaboration, ça n’a aucune réalité institutionnelle”, s’agace un frontiste, qui précise que des collaborations vote par vote existent déjà. Côté RN, on évacue le sujet en précisant que “rien ne peut se décider avant le 10 juin”, lendemain de l’élection. Jordan Bardella, lui, préfère se concentrer sur sa campagne nationale que sur son potentiel isolement à venir au Parlement européen. Mardi 23 avril, une soirée était organisée à Bruxelles par le groupe ID. Le président du groupe, l’Italien Marco Zanni, a prononcé un petit discours d’encouragement. Jordan Bardella, lui, n’a pas fait le déplacement.

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