Les dessous de la drôle de candidature de Laurent Fabius à l’Académie française

Les dessous de la drôle de candidature de Laurent Fabius à l’Académie française

Tandis que roulent les tambours de la Garde républicaine, descendant l’escalier de pierre, des épées, trois cannes, une jupe gracieuse, celle de Dominique Bona, des pas vifs, d’autres moins, voici les habits verts s’avançant vers leur fauteuil numéroté, ils s’assoient et se comptent : ils sont 13. Treize académiciens présents ce 14 mars pour accueillir la philosophe Sylviane Agacinski, l’épouse de Lionel Jospin, élue en juin au fauteuil 19. Seulement 13 sur 40, cela donne à voir des travées clairsemées, des dizaines de sièges vides. Cela signe la crise boudeuse. Nonobstant ce massif absentéisme, autour de l’immortelle en pantalon, 11e femme à rejoindre la Coupole, c’est la fête, et cocktail à la Maison de l’Amérique latine. Champagne, compliments et quelques rires quand Marc Lambron, fauteuil 38, clame haut que si son “ami” François Sureau, fauteuil 24, est absent de ces mondanités, c’est qu’il leur a préféré la promotion de son dernier livre sur le plateau télévisé de Quotidien. A l’écart de ces peu charitables rieurs, Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, devise avec Laurent Fabius, cravate grenat. Le président du Conseil constitutionnel n’en laisse rien paraître, mais peut-il ne pas songer en cet instant que si tout se déroule comme prévu, dans l’ombre, il sera fin avril le prochain à revêtir le costume brodé de rameaux d’olivier ?

Le lendemain de cette courte trêve, les batailles repartent. C’est que le temps presse autour de l’incandescent fauteuil 16, dont le dernier occupant fut Valéry Giscard d’Estaing. Avant lui, 18 titulaires en quatre siècles : un marquis de Montesquiou, quelques abbés de cour, le petit-neveu de Richelieu, puis Charles Maurras, penseur de l’Action française, suivi du poète-président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, et enfin, de 2003 jusqu’à sa mort en 2020, l’ancien président de la République. Le dépôt des candidatures est fixé au 14 avril. D’ordinaire, ces affaires se préparent pendant des années, le temps d’infinis conciliabules et sourdes manœuvres. Cette tradition de lenteur florentine explosa toutefois en octobre 2021, lorsque François Sureau et Marc Lambron menèrent campagne au pas de charge pour accueillir quai Conti l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, une candidature éclair pour laquelle il fallut même reporter la limite d’âge.

Bousculade dont les académiciens chenus tremblent encore ; quel cirque pour un romancier qui n’est venu que deux fois au fauteuil 18 et qui dut faire traduire son discours de réception en français, c’est dire. Ces amis des usages séculaires se jurent cette fois que pour succéder à Giscard il en ira autrement, tout se fera dans la ouate et selon les bonnes manières. Qui alors pour le fauteuil 16 ? La navigatrice Isabelle Autissier, première femme à avoir accompli un tour du monde en solitaire, membre du corps des Ecrivains de marine, serait une bonne candidate ; le défunt chef de l’Etat, croient savoir certains, aurait adoré qu’une femme s’assoit à sa place. Amin Maalouf, fauteuil 29, et Jean-Christophe Rufin, fauteuil 28, approchent l’aventurière, et “l’idée flotte depuis”, raconte drôlement la postulante. A ses côtés pour lui servir de sextant dans les eaux troubles de la Coupole, Dominique Bona, fauteuil 33, et Erik Orsenna, fauteuil 17, qui signa deux livres avec Autissier. Au mois de janvier, la navigatrice rédige sa lettre de candidature, une par académicien. L’a-t-elle conçue trop hâtivement depuis le port de La Rochelle où elle habite ? Aussitôt s’est-elle déclarée qu’elle est contestée, méchamment chahutée. “Il y a à chaque élection des figurants et des poétesses de province”, pique ainsi Marc Lambron.

La philologue Barbara Cassin, fauteuil 36, épée remplacée par un sabre laser connecté, fait quant à elle part de son bruyant étonnement. Bien qu’elle ait prié par courrier la prétendante de lui dire quels étaient ses livres de chevet, celle-ci ne lui aurait jamais répondu. En eut-elle seulement le temps ? Car cette fois, la houle frappe fort, vent de face. Imagine-t-on, s’indignent en écho quelques voix indignées, que la voileuse prononce l’éloge de Valéry Giscard d’Estaing ? Non, il faut trouver mieux, plus grand, plus statutaire. Isabelle Autissier priée d’attendre un fauteuil moins symbolique, on cherche les parades. L’avocat François Sureau soumet alors le nom de Laurent Fabius, et le propose au fil de ses conversations du jeudi, jour où l’Académie tient séance. Accueillir le président du Conseil constitutionnel, ancien Premier ministre, premier à l’agrégation de lettres classiques, qui, ministre des Affaires étrangères, épuisait lors des trajets en avion ses équipes dans des concours de locutions latines qu’il gagnait à chaque vol, faute de compétiteur, voilà qui ne manquerait pas d’allure, se disent beaucoup. Une excellente idée applaudissent Pierre Nora, fauteuil 27 et Michel Zink, médiéviste du fauteuil 37. Oui, cela aurait du panache, le juge suprême de la dernière élection présidentielle, l’épine dans la semelle de la présidence Macron, planchant lors des séances du dictionnaire.

Les écrivains Marc Lambron, Erik Orsenna et Jean-Marie Rouart, après leur intronisation à l’Académie française en avril 2016.

L’idée chemine et Laurent Fabius, flatté, tenté, laisse bavarder. Que sa candidature circule ne lui déplaît pas, elle calmera les ardeurs d’autres politiques se piquant d’écrire, Dominique de Villepin, Hubert Védrine, tiens même Bruno Le Maire sauront ainsi que leurs rêves verts s’éloignent. Or, s’il y a toujours eu des hommes politiques à l’Académie (Edgar Faure, Senghor, Pierre Messmer, Xavier Darcos, et Giscard) il n’y en eut jamais beaucoup à la fois, et tous auront attendu d’être sortis de la carrière. Ce qui n’est pas le cas du locataire de la Rue Montpensier, dont le mandat s’achève en 2025. A la présidence de la République, sous la protection de laquelle est placée la maison du quai Conti, cette candidature fabiusienne déplaît. La perspective d’un discours de ce dernier, clamant les grandeurs outragées de nos libertés publiques, auquel répondrait, dans une veine certainement plus coruscante encore, l’ancien avocat aux conseils François Sureau, n’amuse guère. classiqu

L’hypothèse Laurent Fabius et l’ombre d’un psychiatre

Le surlendemain de la réception de Sylviane Agacinski, le 16 mars, Le Figaro écrit que Laurent Fabius pourrait se présenter. Aussitôt, la famille Giscard d’Estaing s’émeut. Passe encore de n’avoir pas été informée de l’élection, mais de là à proposer le Premier ministre socialiste au siège de leur mari et père, c’est inconvenant. Le fils de l’ancien président, Louis, s’en ouvre à l’ancienne plume du Figaro, Jean-Marie Rouart, fauteuil 26, le priant de “torpiller” le dossier. Dans le même temps, Anne-Aymone Giscard d’Estaing reprend langue avec Dominique Bona, et lui fait part de son chagrin. Que celui qui fut surnommé le “Giscard de gauche” succède au vrai Giscard de droite lui déplaît, se souvient-on à l’Académie que Fabius en personne essaya de chasser son mari de la Rue Montpensier ? Invité deux jours plus tard, le 18 mars, sur le plateau de CNews, Jean-Marie Rouart dit tout le mal qu’il pense de cette folle idée du petit nouveau, élu en 2020, François Sureau. Depuis quand, s’écrie-t-il devant un Pascal Praud encourageant, les fauteuils seraient-ils dévolus ? Il est absurde de concevoir que le siège de VGE doit revenir à un autre politique, ce n’est pas ainsi que fonctionne l’institution.

La mèche est allumée. Et nombreux seront-ils à se réchauffer à son feu. Car cette élection présente, entre autres difficultés, celle d’être la deuxième organisée sous la tutelle d’Amin Maalouf, le nouveau secrétaire perpétuel, succédant au quart de siècle de règne autoritaire d’Hélène Carrère d’Encausse. La précédente élection – celle de l’islamologue Christian Jambet – ayant été entièrement organisée par la “tsarine”, avant sa mort, celle du fauteuil 16 est son épreuve du feu. Or l’écrivain libanais, peu coutumier des roueries de sa maison, est en butte depuis l’automne à un sourd procès interne en incompétence. Soutenu par “le clan des professeurs”, soit tous les universitaires rangés derrière Barbara Cassin, il se sait contesté férocement par ceux qu’on surnomme ici “les énarques déchaînés”, principalement Marc Lambron. Qui ne détesterait pas voir Maalouf empêché, acculé, voire rendant son habit brodé, et puis, il ne goûte gère les audaces de son ami François Sureau, élu bien plus récemment que lui, et qu’il juge trop autonome. Torpiller Fabius, affaiblir Maalouf et calmer Sureau, la belle affaire. A ses proches, le voici qui confie être heurté par la candidature, toujours pas déclarée d’ailleurs, du président du Conseil constitutionnel. Ce dernier a encore un an de mandat devant lui, il serait fâcheux pour les institutions de la République qu’il s’affranchisse “pour aller quémander un plumet” de sa position arbitrale en postulant Quai Conti, il observe aussi que si celui-ci était battu, il affaiblirait le Conseil, ne serait-ce pas inquiétant par les temps qui courent ?

François Sureau, murmure-t-il, ne sait pas s’y prendre, trop politique, manquant d’esprit stratège, accumulant les erreurs de novice. A ce stade purulent, la candidature de Laurent Fabius sent le roussi. Et l’aimable Amin Maalouf prend attache avec ce dernier pour lui glisser que le moment n’est pas opportun, le risque d’être battu immense. Soit, mais alors qui pour le fauteuil 16 ? Marc Lambron, quel hasard, a la solution : le psychiatre Raphaël Gaillard, organisateur du couru congrès du cercle L’Encéphale, un club de psychiatres du meilleur niveau. Depuis le parrainage initial d’Yves Pouliquen, médecin académicien mort en 2020, un membre de l’Académie intervient à chacun de ses colloques, de quoi s’allier bien des votes. Aussitôt la lettre de candidature du professeur est-elle envoyée, que circule parmi les immortels, un article de Libération, publié en 2020, décrivant le climat “irrespirable” de l’hôpital Sainte-Anne qu’il dirige. Raphaël Gaillard aurait tenté de faire interner de force une patiente coupable d’avoir inondé de mails son épouse. Et c’est reparti. La règle académique selon laquelle seules les personnes “de bonne compagnie” sont invitées à rejoindre la Coupole serait ainsi malmenée, n’est-ce pas là une candidature délicate ?

President of the French Constitutional Council Laurent Fabius poses in his office during a photo session in Paris on October 19, 2023 (Photo by JOEL SAGET / AFP)

Un obscur rapport sur les anglicismes

C’est dans cet état d’esprit inflammable que les habits verts se retrouvent jeudi 21 mars. Dans l’atmosphère de poudrière, un obscur rapport sur les anglicismes dans les institutions, publié en ligne en février 2022 et jamais imprimé, va mettre le feu. Bien que le sujet ne figure pas à l’ordre du jour, Jean-Marie Rouart choisit de discuter de sa publication sous les couleurs de la maison Plon, un dessein que François Sureau estime du “niveau d’un syndicat d’oléagineux”. Alors que le secrétaire perpétuel Maalouf avait félicité Rouart d’avoir trouvé un éditeur, cette fois il freine et tonne, il est exclu que ce rapport “médiocre” sorte des tiroirs. Barbara Cassin approuve.

Aussitôt, Jean-Marie Rouart l’attaque, l’accusant du pire des crimes : elle défendrait le “plurilinguisme”. En privé, l’académicien vilipende sa consoeur, rappelant sans cesse qu’elle fut la seule membre de l’Académie associée à la Cité internationale de Villers-Cotterêts, lieu muséal inauguré par Macron qu’ici beaucoup considèrent comme un concurrent masqué et tapageur. Les heures passent, mauvaises. Quand le soleil se couche enfin sur ce jeudi belliqueux, certains quittant le quai Conti se dirent qu’élire dans un mois un psychiatre ne serait peut-être pas une si mauvaise idée.

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