Les leçons de Robert Badinter, par Abnousse Shalmani

Les leçons de Robert Badinter, par Abnousse Shalmani

“Je frémis d’horreur quand je pense que Robert Badinter a vécu assez longtemps pour prendre connaissance des massacres du 7 octobre et de la vague d’antisémitisme qui a suivi. Je n’ose imaginer quelle vague de souffrance l’a emporté, lui l’amoureux de la France, l’amoureux de la République. Puisse l’amour d’Elisabeth et le dialogue ininterrompu qu’il a entretenu à la fin de sa vie avec Victor Hugo lui avoir apporté apaisement et réconfort.” C’est par ses mots d’une force aussi émouvante que juste que Philippe Val a rendu hommage à Robert Badinter sur les ondes d’Europe 1. Philippe Val rappelle non seulement le passé tragique de la famille Badinter, de ce fils qui a assisté à l’arrestation de son père lors de la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon, père qui ne reviendra pas, assassiné dans le camp d’extermination de Sobibor, mais aussi son amour pour la France qu’il a contribué à rendre plus républicaine, à hauteur des ambitions portées par les Lumières, au nom de la liberté et de la justice. Il n’y a ni ressentiment ni vengeance chez Robert Badinter, mais la volonté de prouver, par les actes, par le droit, que la République est un combat qui ne souffre aucune exception.

Devenu le grand avocat qu’il était, puis l’emblématique ministre de la Justice qui n’a pas seulement aboli la peine de mort mais aussi dépénalisé l’homosexualité ou encore amélioré le droit des victimes comme ceux des prisonniers, Robert Badinter a gardé en tête, avec un entêtement qui l’honore, une certaine idée de l’Homme et de sa dignité, un refus de laisser les vagues contradictoires et passionnelles de l’opinion publique rogner la grandeur des idées républicaines, par peur, lâcheté, passion morbide ou banal effet de mode. Ainsi, il aura combattu tous les fanatismes, qu’ils prennent le visage de l’extrême droite, de l’extrême gauche ou de l’islamisme. Rien ne saurait jamais justifier de réduire la justice au nom d’un idéalisme qui imagine bâtir des lendemains heureux sur les cadavres des hypothétiques ennemis.

Robert Badinter était un homme de justice. Lors du procès de Klaus Barbie, il a en main l’ordre de déportation de son père signé par ce criminel de guerre allemand qui vient d’être condamné mais non pas à la peine de mort que Badinter a abolie. Robert Badinter pense alors que son père aurait été fier de lui. “Le sang se lave avec des larmes et non avec du sang”, écrivait Victor Hugo. Badinter se sera aussi opposé à Serge Klarsfeld sur la question de la libération, pour raisons de santé, de Maurice Papon, condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité. Badinter pensait “qu’il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime”.

Il ne suffit pas de se draper de grands principes, il nous faut les appliquer, malgré cette pulsion de mort si humaine qui crie vengeance et que l’on espère être un soulagement, alors qu’elle n’est qu’un lent poison. Il nous faut, par un effort ardu, murmurer justice – qui est aussi le refus d’oublier comme de pardonner. Car on ne pardonne pas davantage en tuant, on empêche la cicatrisation donc l’avenir, on ressasse sa douleur en la transformant en une arme morbide qui finira par se retourner contre soi-même. Au nom de la justice, Robert Badinter refusait aussi la sacralisation de la parole de la victime. On ne badine pas avec le droit, et il est plus difficile de tenir son humanisme que de balayer ses principes par facilité et pour complaire à ceux qui préféreront toujours les raccourcis qui ne consolent qu’un temps. Le temps de piétiner des principes qui fondent la civilisation. Quand on en prend conscience, il est trop tard, l’Etat de droit s’est lézardé déjà.

Robert Badinter, c’était aussi la laïcité qui est une réconciliation et un humanisme : “La laïcité n’est pas seulement le corollaire nécessaire de la liberté d’opinion de l’égalité entre croyants de toutes les confessions et non-croyants. La laïcité est aujourd’hui dans la République le garant de la dignité de chacune et de chacun. Jean Jaurès disait déjà en 1905 que la “laïcité, c’était la fin des réprouvés”. Là s’inscrit le sens premier de la laïcité : je te respecte au-delà de nos différences de religion ou d’opinion comme de sexe, de race ou d’orientation sexuelle parce que tu es comme moi un être humain, tu es mon frère ou ma sœur en humanité.” Merci M. Badinter.

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