Les NGT, l’autre champ de bataille du monde agricole

Les NGT, l’autre champ de bataille du monde agricole

Un œil sur les champs et l’autre sur le Parlement européen à Strasbourg. Cette semaine, le monde agricole saura si l’Europe s’engage ou non sur la voie prise par l’Amérique et une partie de l’Asie au sujet de l’édition génomique des plantes cultivées. Le Vieux Continent semble bien parti pour adopter – sous conditions – de nouvelles règles autorisant la mise sur le marché de plantes ayant subi une mutagenèse ciblée, c’est-à-dire une modification légère de leur ADN, sans apport de matériel génétique extérieur – comme c’est le cas pour les OGM.

Plus précisément, les nouvelles techniques génomiques de catégorie 1 (NGT1), jugées sans impact négatif sur la santé et l’environnement car elles pourraient apparaître naturellement ou être produites par sélection conventionnelle, échapperaient aux contraintes qui pèsent sur les OGM. Elles feraient l’objet d’une inscription dans une base de données, et verraient leurs semences étiquetées. À l’inverse, les NGT de catégorie 2, qui comptent au moins une vingtaine de modifications de gènes, continueraient à être considérées comme des OGM. Enfin, aucun produit issu des NGT ne pourrait être labellisé “bio”.

“Cette approche, si elle était validée, donnerait à l’Europe un cadre proche de celui qui existe déjà dans beaucoup de pays”, note Rémi Bastien, président de l’Union française des semenciers. Même si le volet concernant les NGT2 s’annonce moins permissif qu’aux États-Unis. Pour autant, le Conseil des ministres devra lui aussi donner son aval. Or, le débat est loin d’être tranché autour de ces techniques qui soulèvent autant d’espoirs que de craintes. Dans un rapport récent, plutôt favorable au développement des NGT, l’Académie des technologies souligne la complexité du sujet. “Il n’est pas facile de faire la part des choses entre ceux qui veulent tout interdire, reprenant les arguments anti-OGM, et ceux qui ont tendance à embellir les effets possibles de ces nouveaux outils”, note Bernard Chevassus-au-Louis, le pilote de ce texte. Sur le papier, les NGT possèdent un champ d’application très large : amélioration du rendement des cultures, résistance des plantes aux températures élevées ou aux herbicides, photosynthèse améliorée…

“Mais en pratique, tout ne sera pas réalisable”, prévient Pierre Barret, ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Le rendement des cultures ou la tolérance des plantes à la sécheresse obéissent à de nombreuses variables. Rien ne dit que l’on saura reproduire dans les champs les résultats prometteurs obtenus en laboratoire. “L’Europe n’a sans doute pas vocation à développer des espèces résistantes aux herbicides, celles-ci se destinant plutôt à l’agriculture industrielle. En revanche, la résistance durable aux maladies constitue une piste de recherche intéressante, permettant de rester dans le cadre de l’agroécologie”, précise le chercheur.

Ne pas rater le train

“L’adaptation de nos cultures n’est pas le seul enjeu, ajoute Georges Freyssinet, président de l’Association française des biotechnologies végétales. Il en va aussi de notre compétitivité sur le long terme. Plusieurs exemples montrent que les différences de réglementations entre pays ont un impact économique non négligeable. Par exemple, avec le développement hors d’Europe du coton génétiquement modifié résistant aux insectes, l’Espagne et la Grèce ont de grandes difficultés avec leurs cultures plus traditionnelles. En entrant dans l’UE, la Roumanie a fait une croix sur son soja GM résistant aux herbicides et importe désormais cette légumineuse. En France, le maïs génétiquement modifié résistant aux insectes n’est pas autorisé alors qu’il l’est en Espagne, ce qui désavantage les producteurs français par rapport à ceux situés de l’autre côté des Pyrénées”.

Mais en dépit de ces distorsions, une partie du monde agricole continue de regarder les NGT d’un mauvais oeil. C’est le cas de la Confédération paysanne, qui dénonce un manque de traçabilité et un risque de confiscation des semences – via les brevets – par quelques multinationales. “La traçabilité pose un certain nombre de défis. Il n’existe pas d’outils scientifiques permettant de certifier qu’une plante est issue des NGT ou non”, confirme Pierre Barret. Pas de système non plus permettant, comme pour les médicaments, de remonter aux consommateurs en cas de problème. Les analyses de risques seront réalisées en amont des cultures. “N’oublions pas qu’il existe des réglementations concernant les semences et qui empêchent de mettre n’importe quoi sur le marché”, rappelle Georges Freyssinet.

“Sur le plan économique, il est crucial que l’Europe tire la leçon des OGM et qu’elle se penche très sérieusement sur la question des brevets afin d’éviter la formation de monopoles”, estime Bernard Chevassus-au-Louis. Corteva, un mastodonte du secteur issu de la fusion des deux plus grosses firmes mondiales de l’agrochimie, Dow et DuPont, semble avoir déjà remporté la bataille. Cette société détiendrait déjà une quasi-exclusivité sur l’utilisation des NGT pour le développement de nouvelles semences. “C’est la prime au premier entrant. Cependant, il reste de la place, à terme, pour les acteurs européens”, assure Rémi Bastien. A condition d’agir vite. A l’étranger, les premiers produits issus des NGT déboulent déjà dans les magasins. Au Japon, une tomate ayant des effets bénéfiques sur le stress et le sommeil. Aux Etats-Unis, une salade ayant perdu son goût amer ou encore des frites sans acrylamide, une substance cancérigène qui se forme à la cuisson… “Irons-nous dans la même direction ? Nous avons, en Europe, un choix de société à faire”, explique l’académicien Bernard Chevassus-au-Louis. Avec un impératif : ne pas rater le train.

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