Les surprenants résultats de la semaine de quatre jours aux Emirats arabes unis

Les surprenants résultats de la semaine de quatre jours aux Emirats arabes unis

Le 30 janvier, le Premier ministre français a créé la surprise en annonçant une expérimentation de la semaine de quatre jours dans toutes les administrations, dont les ministères. Traditionnellement associée à la gauche politique et considérée comme la suite logique de la réduction du temps de travail, cette idée apparaît souvent comme la prochaine conquête sociale, non loin du revenu universel. Gabriel Attal a souligné l’utilité sociétale qu’elle pourrait revêtir, permettant notamment aux parents divorcés de se libérer du temps pour s’occuper de leurs enfants.

L’idée est dans les cartons depuis longtemps. Pensée par Pierre Larrouturou en 1993, on la retrouvait déjà dans la loi Robien, balayée ensuite par les 35 heures. La gauche n’a jamais tiré un trait dessus, comme en témoigne l’annonce récente du président de la métropole de Lyon, l’écologiste Bruno Bernard, de généraliser cette mesure à l’ensemble des agents de cette collectivité.

Si cette mesure a parfois le vent en poupe sous nos latitudes, comme le prouvent les expérimentations dans les pays scandinaves, en Belgique, au Portugal, en Allemagne et même au Royaume-Uni, elle se heurte à des obstacles culturels ou officiellement “organisationnels”. Elle ne concerne très souvent que des métiers tertiaires qui ont vu le télétravail se généraliser en leur sein. A l’inverse, pour les métiers manuels, l’ajustement du temps de travail relèverait quasiment de la mission impossible. Vraiment ? Dans ces conditions, la semaine de quatre jours perd largement de sa portée sociale. Elle pourrait même aboutir à un accroissement des inégalités liées aux conditions de travail, arguent ses opposants.

Un exemple nous invite à reconsidérer nos considérations culturelles : ce sont les Emirats arabes unis (EAU) qui révolutionnent à bas bruit leur modèle social. Depuis 2022, le pays du Golfe a adopté une semaine de quatre jours et demi. L’objectif : s’aligner sur les places financières internationales tout en préservant les pratiques religieuses musulmanes, au premier rang desquelles le jour du vendredi, consacré à la prière. Si les motivations sociales et idéologiques n’entrent que secondairement en jeu, il reste ce fait : le pays va plus loin que n’importe quel autre sur le sujet.

Une économie très libéralisée

Dans les administrations émiraties, les horaires légaux de travail sont désormais de 7h30 à 15h30 du lundi au jeudi et de 7h30 à midi le vendredi. De nombreux aménagements sont prévus, mais la norme est celle-ci depuis le 1ᵉʳ janvier 2022 pour le secteur public, très important dans le pays. Le gouvernement fédéral a indiqué qu’il s’agissait de favoriser l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, mais a immédiatement précisé que le sermon du vendredi serait désormais effectué à 13h15, ce qui permet aux musulmans de s’y rendre. Les écoles, universités et entités publiques sont les premières à adopter ce rythme, mais les entreprises suivent également au compte-gouttes. Le système a été présenté publiquement, afin de rassurer le secteur marchand comme étant en ligne avec la vision des émirats d’augmenter la compétitivité des entreprises et le dynamisme du commerce international, tout en gardant le rythme des réformes, notamment en matière de transition postpétrole.

Ce modèle hybride a rencontré un succès remarquable, la plupart des services publics mais aussi de grandes entreprises, telles que le géant pétrolier Adnoc et le leader des télécommunications Etisalat, ayant choisi de jouer le jeu. Si beaucoup d’entreprises privées restent pour l’instant sur un rythme de cinq jours, l’initiative a connu un fort retentissement et a été relayée par Bloomberg et le Financial Times, médias peu connus pour leurs penchants sociaux.

En définitive, si ce modèle fonctionne aux Emirats arabes unis, c’est grâce à sa grande flexibilité et aux multiples possibilités de l’adapter. C’est aussi parce que l’économie des émirats est très libéralisée et que la plupart des systèmes de garde d’enfants, mais aussi d’éducation et de santé sont dérégulés. Il est donc beaucoup plus simple pour les secteurs concernés de s’adapter rapidement aux nouveaux rythmes de travail.

Il est temps pour les pays européens de cesser leur nombrilisme. Les innovations, même sociales, surviennent désormais ailleurs dans le monde, y compris dans les environnements les plus libéraux et les plus probusiness. Bien sûr, chez nous, il faudra réinvestir – et il est temps ! – dans des services de garde d’enfants, publics et sérieux. La bataille du temps de vivre est à ce prix-là, elle n’est pas finie et son inspiration peut, de façon surprenante, venir de loin.

* Arnaud Lacheret est professeur de sciences politiques à Skema Business School et membre du centre de recherche Skema Centre for Global Risks.

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