L’Europe en “économie de guerre” : les limites du plan Breton

L’Europe en “économie de guerre” : les limites du plan Breton

Les mots claquent comme des coups de canon. “La Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur méthodique de la déstabilisation du monde qui n’hésite pas à menacer son environnement mais aussi plus directement nos intérêts”, a lancé, martial, Emmanuel Macron. Alors que le chef de l’Etat n’hésite plus à évoquer l’envoi de troupes en Ukraine, sur le front de l’économie aussi, le ton est encore monté d’un cran. A Bruxelles, un autre Français, Thierry Breton, le commissaire européen à l’industrie et au numérique, est à la manœuvre. “Nous devons passer en économie de guerre” a déclaré avec emphase l’ancien dirigeant d’Atos, autoproclamé commissaire à la Défense.

Les usines d’armement européennes ont beau tourner à plein régime, elles n’arrivent pas à augmenter suffisamment les cadences de production pour satisfaire les besoins. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, affirmait même récemment que sur le million d’obus promis par l’Europe il y a un an, 30 % seulement auraient été livrés. Même si ce chiffrage est contesté par Thierry Breton, les retards de livraisons sont patents. L’industrie européenne de l’armement est certes puissante, mais elle est encore trop fragmentée et mal organisée pour répondre à ces commandes de masse.

Résultat, depuis le début de la guerre en Ukraine, près des trois quarts des armes achetées par les 27 Etats membres l’ont été auprès d’entreprises non européennes et en grande partie américaines… Dans le camp d’en face, Vladimir Poutine a réorienté en un temps record sa machine économique : les dépenses militaires représentent désormais quasiment 30 % des dépenses de l’Etat et près de 6 % du PIB du pays.

La réponse de l’Europe ? Le plan Breton, qui ambitionne de rééditer en matière de défense ce qu’il a réussi sur les vaccins au moment du Covid. Avec une idée simple : mettre nos forces en commun. Par exemple, signer avec les industriels de l’armement, comme on l’a fait avec les laboratoires pharmaceutiques il y a quatre ans, des contrats d’achats anticipés dans lesquels l’Union européenne avancerait l’argent aux industriels, leur permettant d’investir plus vite et plus largement dans de nouvelles usines et de nouveaux équipements. Ou subventionner la relocalisation de certaines activités qui ont disparu en Europe. Comme la production de poudre – bien utile pour les canons ! – dont nos approvisionnements viennent en grande partie… de Chine. Là encore, le parallèle avec la relocalisation des usines de paracétamol ou de principes actifs interpelle.

Où trouver 100 milliards ?

Problème, le plan Breton risque de se heurter à une réalité aride : l’argent. Pour permettre la montée en puissance de notre industrie de défense, il faudrait au bas mot près de 100 milliards d’euros, d’après les estimations de la Commission européenne. Or un peu partout sur le Continent, l’utilisation précautionneuse des deniers publics – pour ne pas dire la rigueur budgétaire – est à l’agenda de tous les gouvernements. En France, où Bercy vit sous la menace des agences de notation, Bruno Le Maire a annoncé dernièrement 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires dans les dépenses publiques cette année.

Alors, où trouver l’argent ? C’est là, qu’il faut regarder dans le rétroviseur. Dans l’histoire, une “économie de guerre” s’est toujours appuyée sur trois leviers de politique économique, actionnés à tour de rôle, parfois les trois simultanément. La planche à billets, l’épargne forcée et l’impôt. En 1942, le Congrès américain votait une loi autorisant la Réserve fédérale à acheter directement des obligations du Trésor tandis que Roosevelt, en 1944, portait le taux d’impôt sur les “super riches” à près de 94 %. En France, au moment de la Première Guerre mondiale, l’Etat incitait la population à “offrir son or” pour financer l’effort de guerre et le ministre des Finances de l’époque, après des mois de batailles politiques acharnées, inventait le premier impôt sur les bénéfices. En 1941, c’est par le biais de la régulation bancaire que l’Etat imposait aux banques d’investir près de 60 % de leurs actifs en titres de dette publique.

Aujourd’hui, La France rêve d’un nouveau grand emprunt européen. Mais les 27 Etats membres se sont pour l’heure révélés incapables de trouver les recettes nécessaires au remboursement du précédent grand emprunt européen de 750 milliards d’euros, lancé en juillet 2020 au moment du Covid. Les traités européens interdisent un financement direct des Etats par la Banque centrale européenne, limitant de fait l’arme de la planche à billets. Quant aux augmentations d’impôts, en France, le sujet est radioactif. Reste l’épargne des ménages. Dans l’hexagone, le sujet du fléchage des fonds du livret A vers les industriels de l’armement est en discussion depuis des mois. Le Conseil constitutionnel a déjà retoqué un premier projet de loi. Et un nouveau texte né au Sénat ces derniers jours est de nouveau sur la table, mais Bercy freine des quatre fers…

Pour réarmer l’Europe et intensifier le soutien à l’Ukraine, un de ces trois verrous devra bien finir par sauter. Sinon, il ne restera plus aux Européens que les mots et les coups de menton.

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