L’hydrogène naturel, mirage ou miracle de la transition énergétique ?

L’hydrogène naturel, mirage ou miracle de la transition énergétique ?

C’est coloré, une révolution. En politique comme dans l’énergie. Reste à savoir de quelle teinte, finalement, se parera celle tant annoncée de l’hydrogène. On ne compte plus les promesses qui peinent à se confirmer pour ce gaz, le plus léger de tous les éléments chimiques, qui doit permettre de décarboner de nombreux pans de l’industrie et des transports. Le “noir”, produit avec du charbon, et le “gris”, à partir de gaz naturel, tous les deux très émetteurs de gaz à effet de serre, n’ont jamais été considérés comme une solution d’avenir. Au contraire, selon la France, de l’hydrogène “rose”, généré par électrolyse avec de l’électricité nucléaire, donc bas-carbone – une position que ne partagent pas un certain nombre de pays européens.

S’il y a un hydrogène qui concentre plus largement les espoirs, au point d’être qualifié de “révolution”, c’est bien le “vert”, élaboré avec des énergies renouvelables. Mais l’euphorie se heurte aux réalités du marché. Désormais, l’espérance d’une décarbonation de grande ampleur se drape de “blanc”. Aussi appelé hydrogène naturel ou natif, il est généré par divers phénomènes, comme des interactions entre l’eau et certaines roches (fer, magnésium) ou grâce à la radioactivité de la croûte terrestre. Il n’a donc pas besoin d’être produit : un avantage considérable que la France ne veut pas laisser filer.

Une révolution tient souvent à peu de chose. Celle de l’hydrogène naturel doit beaucoup… au hasard. A une explosion provoquée par la cigarette d’un technicien malien à proximité d’un forage dans le village de Bourakebougou, en 1987. A défaut de trouver de l’eau, il a aidé à prouver, bien des années plus tard, que l’hydrogène existait bien sous forme gazeuse à l’état naturel. Ce gisement est actuellement le seul exploité au monde. Aucun mégot n’a été le vecteur du hasard dans le bassin minier lorrain : la sérendipité a fait son œuvre. Au printemps 2023, alors qu’ils cherchaient du méthane dans le sous-sol de Folschviller, une commune proche de la frontière allemande, deux directeurs de recherche du laboratoire GeoRessources de Nancy, en collaboration avec La Française de l’énergie, ont plutôt trouvé une ressource potentielle d’hydrogène naturel. Elle pourrait être, d’après leurs calculs, l’une des plus importantes du monde.

“Ne pas rester les bras croisés”

Cette découverte, couplée à une convergence d’événements, a provoqué “une bascule aux yeux du grand public mais également en termes d’activités”, reconnaît Yannick Peysson, responsable de programme R & D à l’IFP Energies nouvelles, de plus en plus contacté par des industriels. Il évoque la multiplication des permis d’exploration aux Etats-Unis et en Australie ou le lancement, l’été dernier, de premiers forages chez ces derniers. Sans oublier l’investissement de plusieurs millions de dollars de Bill Gates dans une société américaine, Koloma, qui mise sur ce filon. Après avoir modifié son code minier en 2022 pour inclure l’hydrogène naturel à la liste des ressources exploitables, la France veut aussi passer à la vitesse supérieure. Emmanuel Macron a promis, en décembre, des “financements massifs” pour explorer ce potentiel du sous-sol national. Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait accordé un premier permis d’exploration, dans le Béarn (Pyrénées-Atlantiques), à la société TBH2 Aquitaine. Cinq autres sont en attentes.

“Nous n’avons pas beaucoup de ressources naturelles en France, alors quand on a une géologie assez prometteuse, il ne faut pas rester les bras croisés”, assure Isabelle Moretti, chercheuse à l’université de Pau. Enthousiaste, la vice-présidente du pôle énergie de l’Académie des technologies n’en reste pas moins pragmatique : “On ne produira pas plus d’hydrogène que le Qatar ne fait de gaz. Ce n’est pas une solution miracle, mais ça fera partie du mix énergétique.”

De nombreuses incertitudes demeurent sur la quantité disponible, sa capacité de renouvellement sous terre, son exploitation, son coût – bien inférieur à celui de l’hydrogène “vert”, promettent déjà les industriels – ou son déploiement… “Raisonnablement, à l’horizon 2035-2040. Avant, il y a beaucoup de travail et il faut que les entreprises aient des succès de production”, prévient Yannick Peysson. “Il reste pas mal de verrous scientifiques et technologiques à faire sauter”, confirme Olivier Joubert, directeur de la Fédération hydrogène du CNRS (FRH2) et chimiste à l’Institut des matériaux de Nantes Jean Rouxel.

Les Etats-Unis et l’Australie investissent

Bien que des zones à fort potentiel aient été identifiées (Pyrénées, Lorraine, Massif central), les connaissances des systèmes géologiques contenant de l’hydrogène naturel doivent être précisées. D’où l’intérêt de ces explorations ciblées pour comprendre les mécanismes de formation et les flux, même si elles présentent, comme tout projet similaire touchant le sous-sol, des enjeux d’acceptabilité sociale. “Il faut poursuivre à la fois les analyses de terrain, l’investissement dans les sociétés qui vont faire de la prise de permis et la recherche qui permet d’affiner les concepts. Si on y arrive, on peut imaginer en France une source d’énergie complètement décarbonée qui permettrait d’alimenter toute la part de demande énergétique liée à l’hydrogène”, projette Yannick Peysson.

Le pays bénéficie, dans cette course, d’une position privilégiée à défendre. Les Français étaient très présents aux trois premières éditions du H-Nat, un jeune sommet dédié à cette ressource. Un signe de la qualité de sa recherche qui, forcément, attire les autres nations. “Beaucoup de nos jeunes chercheurs sont recrutés par des centres de recherche et entreprises américaines ou australiennes, constate Isabelle Moretti. L’argent investit y est très supérieur à la France.” Qu’il s’agisse de deniers publics ou privés. L’hydrogène naturel n’est, pour l’heure, même pas évoqué dans la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, qui devrait être entérinée en ce début 2024 – sûrement en raison de l’état actuel des connaissances. Aucune ligne de financement n’y est donc dédiée, et cette perspective paraît encore plus lointaine après le récent coup de rabot de l’exécutif dans les programmées liés au climat et à l’énergie. Idem au niveau européen. Et les entreprises françaises qui se lancent, souvent des petits acteurs issus de grands groupes pétroliers, ne peuvent pas (encore) compter sur le portefeuille d’un Bill Gates bleu-blanc-rouge.

“Il serait dommage de ne pas mettre quelques dizaines de millions pour l’hydrogène naturel étant donné toutes les possibilités de cette source d’énergie”, observe Olivier Joubert. Les laboratoires de recherches et les start-up ne peuvent qu’acquiescer. La révolution de l’hydrogène “blanc” n’était pas la plus attendue en France, il faudra encore patienter pour en voir la couleur.

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