Livres : Josée Kamoun ou l’art de la traduction

Livres : Josée Kamoun ou l’art de la traduction

“Lorsque je sentirai mes forces s’amenuiser, j’entreprendrai la traduction de Moby Dick, celle que j’ai toujours voulu faire, 700 pages d’une difficulté à la mesure de la bête […] De cette façon […], je suis sûre de mourir à l’ouvrage, et cette idée me réjouit.” Nous n’en sommes pas là, Josée Kamoun est bel et bien vivante, qui nous offre un passionnant Dictionnaire amoureux de la traduction (Plon).

Grande traductrice, à l’égal d’un Brice Matthieussent, d’un Olivier Mannoni ou encore d’une Annie Morvan, pour ne citer qu’eux, Josée Kamoun, 74 ans, agrégée d’anglais et docteure es lettres, s’est faite la passeuse d’une cinquantaine d’ouvrages dont ceux de John Irving, de Richard Ford, de Jonathan Coe, d’Aldous Huxley, d’Orwell, de Kerouac ou encore de Philip Roth – auquel elle consacre ici des pages croustillantes, relatant leur première rencontre, à New York, autour de la traduction de Pastorale américaine, et leurs nombreuses collaborations jusqu’aux suspicions “d’infidélité” (alimentées par l’entourage de l’auteur), qui la poussèrent à jeter l’éponge. Philip Roth, qui ne parlait pas un mot de français, mettait notamment en doute sa traduction de “Everybody knows” par “Il est de notoriété publique”.

Bourré d’anecdotes mais aussi de propos plus savants, son volumineux Dictionnaire traite avec fougue de toutes les chausse-trappes et des diverses difficultés rencontrées tout au long d’une vie d’archéologue de la langue. Comment traduire le parler populaire ou le patois, comme celui de L’Amant de Lady Chatterley, de D. H. Lawrence ou de Tandis que j’agonise, de William Faulkner ? Les gros mots (on apprend à cette occasion que le français propose l’argot le plus vaste du monde) ? Les onomatopées, qui n’ont rien d’universel ? Et Les titres ? Le you anglais ? Les noms propres, aussi curieux que cela paraisse (la question s’est notamment posée pour la compréhension d’un jeu de mots à propos de la serveuse Shirley Knott (surely not) dans l’Expo 58 de Jonathan Coe) ? La poésie ? Les textes sacrés ? Et comment retraduire (Le Meilleur des mondes ou 1984) ?

“L’ombre de l’auteur”

Les entrées se succèdent, les problématiques se déploient, moult exemples (et polémiques passées) à l’appui. On retiendra aussi l’entrée consacrée à la difficulté de traduire L’Etranger de Camus (l’une des œuvres les plus traduites au monde) pour atteindre le dépouillement de l’original, ainsi des quatre versions anglo-saxonnes successives.

Josée Kamoun n’élude rien, ni les procès en appropriation ni le recours à l’intelligence artificielle, au gain de temps plus que douteux, selon elle. “Traduire c’est mettre en tension deux langues, deux ‘milieux’, deux cultures”, note la traductrice, qui se définit comme “auteur sans l’être, ombre de l’auteur, chien d’aveugle du lecteur”. Malvoyants ou pas, on remercie tous les chiens d’aveugle.

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