Management : du “quiet quitting” au “quiet firing”, la réalité derrière l’emballement médiatique

Management : du “quiet quitting” au “quiet firing”, la réalité derrière l’emballement médiatique

Vous êtes fâché avec votre travail au point d’être passé en mode “quiet quitting” ? Vous avez déjà claqué la porte et renforcé les rangs du “big quit” ? A moins que vous ne soyez toujours en poste à vous morfondre dans le “resenteeism”… Si ces phrases et leurs néologismes anglais vous donnent le tournis, c’est normal. Depuis quelques années, de nouveaux concepts liés au monde du travail se succèdent sur les réseaux sociaux, faisant l’objet de mèmes, débats entre spécialistes RH et articles d’analyses dans les rubriques management de la presse mondiale. Le plus souvent en provenance des pays anglo-saxons, ces prétendues nouvelles tendances du monde professionnel correspondent-elles à une quelconque réalité en France ?

Commençons par le “big quit” ou “great resignation” – grande démission, en français -, la démission massive qui s’est produite aux Etats-Unis à la sortie de la crise sanitaire du Covid-19. Si côté français, une tendance similaire a bien été observée entre fin 2021 et début 2022, la Dares a conclu à un niveau de démissions “haut sans être inédit, ni inattendu compte tenu du contexte économique”. Le service de statistiques du ministère du Travail y voyant alors le reflet du “dynamisme du marché du travail, et une situation dans laquelle le pouvoir de négociation se modifie en faveur des salariés”.

Corollaire du “big quit”, le “quiet quitting” – la démission silencieuse – a commencé à faire du bruit début 2022, se répandant comme une traînée de poudre chez les internautes. Derrière ce terme, des employés qui, “manquant d’enthousiasme” au travail, font “le minimum d’efforts possible pour tenir jusqu’à la fin de leur journée”, expliquait la même année le magazine Forbes, actant par là même “une nouvelle norme” du monde du travail.

Questionnements sur le sens du travail

Mais ce désengagement est-il seulement mesurable ? Pas vraiment. Une enquête de la Dares publiée en octobre dernier indiquait simplement que 36 % des actifs en 2022 avaient au moins un motif d’insatisfaction vis-à-vis de leur emploi. Dans une autre publication datant de mars 2023, le même organisme constatait que 37 % des salariés (en 2019) ne se sentaient pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite, en raison de leur santé physique ou mentale. “On observe de plus en plus de personnes qui s’interrogent sur l’intérêt de s’investir corps et âme dans le travail et sur la place de celui-ci dans leur vie”, analyse Frédéric Faure, chercheur associé à l’université de Rennes II. Rien de bien inédit pour autant. “C’est un phénomène qui a déjà été observé dans le passé, notamment dans le prolongement de mai 1968 : à l’époque, on disait qu’on ne voulait pas perdre sa vie à la gagner”, souligne le psychologue du travail.

Pour les chercheurs Coralie Perez et Thomas Coutrot, auteurs de Redonner du sens au travail – Une aspiration révolutionnaire (2023), “la pandémie, qui a mis au premier plan du débat public le sujet de l’utilité sociale des métiers (les activités “essentielles”), a certainement renforcé le questionnement, en germe depuis quelques années, sur le sens du travail.” Lequel s’appuie, selon eux, sur trois piliers : utilité sociale (“mon travail est utile aux autres”), cohérence éthique (“je ressens la fierté du travail bien fait”) et capacité de développement (“je peux développer mes compétences”). Or, pour Frédéric Faure, ces piliers sont aujourd’hui particulièrement “fragilisés” par diverses évolutions comme “l’externalisation, qui pénalise la capacité de développement des salariés”.

On aurait tort cependant de voir dans ce désengagement un mouvement libérateur. Il traduirait davantage une volonté de “se protéger”, selon Frédéric Faure : “C’est un pis-aller : on voudrait pouvoir s’investir plus, mais on sait qu’il n’y aura pas forcément de retour, alors on craint de souffrir davantage.”

Et contrairement aux idées reçues, la nouvelle génération n’est pas la seule concernée par la tentation du désengagement. Un rapport du think tank Terra Nova et de l’Apec publié en février conclut que “les jeunes sont prêts majoritairement (et plus significativement que leurs aînés) à effectuer des tâches qui vont au-delà du simple respect des obligations prévues par leur contrat de travail”. “Ils formulent les mêmes attentes envers le travail que les plus âgés : la rémunération, l’intérêt des missions, et l’équilibre de vie”, pointe le rapport.

Quid du “resenteeism” ? Ce concept, inventé l’an dernier par l’entreprise américaine RotaCloud, désigne le fait de rester dans son emploi bien qu’on y soit malheureux. Sur X et LinkedIn, de nombreux internautes ironisent : “On n’appelait pas ça’quiet quitting’il y a encore quelques mois ?”. Pour RotaCloud, le “resenteeism” va plus loin, puisque les salariés qui en souffrent ne prennent pas seulement du recul, mais entretiennent en plus du ressentiment à l’égard de leur entreprise et le font savoir. Là encore, rien ne permet de mesurer la chose.

Et que dire du “quiet firing”, pointant une incitation à la démission par de mauvais traitements ? Un concept qui n’a “aucun fondement scientifique”, selon Christophe Nguyen. Ce psychologue du travail juge toutefois “positif” que les gens osent dénoncer des situations abusives.

Des termes qui révèlent les nouvelles attentes des salariés

Vous avez peut-être aussi entendu parler du “quiet hiring”, qui renvoie à une promotion interne sans que les moyens (hausse de salaire, formation) accompagnant cette montée en puissance aient forcément été déployés. “Payer la même chose pour plus de travail”, résume Career Kueen, coach en carrière, sur son compte TikTok aux plus de 650 000 abonnés. Sous la vidéo, en commentaires, des centaines de personnes livrent leur expérience personnelle en la matière.

Pour le psychologue Frédéric Faure, là encore, la chose n’est pas nouvelle, mais reflète cette “tendance à se dire que les compétences techniques étant censées s’acquérir facilement, tout le monde est interchangeable dans l’entreprise.” Si Terra Nova et l’Apec constatent dans leur rapport commun que les jeunes manifestent “un récurrent désir de formation et d’évolution professionnelle”, reste à accompagner convenablement cette progression : “la surcharge de travail est une réalité, il y a une intensification qui conduit à une hausse de l’épuisement au travail”, souligne Christophe Nguyen.

On aurait aussi pu vous parler du “rage applying” (le fait d’évacuer sa frustration contre son employeur actuel en postulant de manière compulsive à plusieurs offres) ou du “conscious quitting” (quitter son travail car l’entreprise ne respecte pas ses valeurs, par exemple sociales et environnementales)… Qu’ils caractérisent ou non les nouvelles modes du monde du travail, ces termes et le buzz qui les entoure ont au moins un mérite, selon Christophe Nguyen : “Révéler les nouvelles attentes des salariés vis-à-vis de leur emploi et l’importance qu’ils attachent à la question du bien-être et de la santé psychologique au travail.”

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