Management : où commence et où s’arrête la loyauté au travail ?

Management : où commence et où s’arrête la loyauté au travail ?

Il y a le droit et il y a les devoirs. A la confluence des deux dans le contrat de travail, la loyauté. Souvent citée, rarement définie. Un indice, toutefois : “Par principe, tous les salariés d’une entreprise sont soumis aux principes de loyauté et de discrétion pendant toute la durée de leur contrat de travail”, indiquaient maîtres David Guillouet et François Hubert du cabinet Voltaire Avocats, dans une conférence sur les clauses de confidentialité et de non-concurrence ainsi que sur le secret des affaires (avril 2023). Ne pas divulguer à l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur, conserver une discrétion de bon aloi, se taire, même si on a envie de raconter, tout est encadré. Et puis est arrivée une décision de la Cour de cassation, le 22 décembre 2023. Oubliée, sa jurisprudence de 2011 par laquelle une preuve obtenue de manière déloyale devait être déclarée irrecevable par le juge civil. Un renversement jurisprudentiel, un tsunami en matière de preuves : tout ce que vous pouvez sortir comme écrit, photographier, enregistrer, filmer à l’insu de votre adversaire pourra être retenu contre lui, si c’est nécessaire à votre défense. Il ne le sait pas, s’est énervé, a dit ce qu’il ne fallait pas : tant pis pour lui, silence on enregistre. “I’m a picker/I’m a grinner/I’m a lover/And I’m a sinner”, c’est l’hommage de Steve Miller Band au Joker. Ce nouveau virage pourrait crisper les relations spontanées et rompre cette fragile trêve des rapports sociaux, dans un sens comme dans l’autre. Que reste-t-il de la valeur loyauté, en termes de rapports humains ?

Renvoi d’ascenseur ?

En dehors du droit, il existe en effet une multitude de situations auxquelles est à chaque moment confronté le triptyque salarié, manager et entreprise. Le contrat formalise la relation. Après, c’est du savoir-être. Ne pas voler la place de celui qui a permis d’être engagé est le premier commandement. “Tu ne le tueras pas.” L’aider, le seconder, continuer à lui parler même s’il est ostracisé, le deuxième. Renvoyer l’ascenseur, quand on obtient une promotion, même après des années et alors qu’on a changé de service à plusieurs reprises, le troisième. Parfois, on monte si haut qu’il peut y avoir conflit de loyauté entre ce que l’entreprise va faire et le sort de celui qui nous a mis le pied à l’étrier. L’idéal serait que l’on préserve les intérêts du second sans trahir ceux de la première. On peut soit défendre son mentor malgré l’opposition d’un nouvel actionnaire, soit lui préparer une sortie convenable, par exemple en activant son réseau afin qu’il rebondisse, ailleurs, en seigneur.

A quel moment peut-on s’exonérer de cette fidélité ? Elle devrait demeurer. Cela ne s’apprend pas dans les formations mais ça permet de construire une légende et la réputation de celui qui l’honore. Le quatrième commandement est d’avoir la même loyauté avec son équipe pour la protéger même si on ne peut rien dire quand la direction change de cap. Ne pas mentir mais faire passer des messages quand des licenciements se préparent, alors qu’un collègue a découvert le bien de ses rêves et va s’endetter.

Partir, est-ce loyal ?

Rester loyal envers soi-même est le cinquième. On peut changer, cela arrive. Ou bien l’entreprise dérive, la gouvernance change et les valeurs autrefois prônées n’existent plus : la loyauté envers soi oblige à prendre une décision. Le lanceur d’alerte ne se veut pas délateur. Rester en demeurant fidèle à son employeur ou bien partir en restant loyal à ce que l’on est. Chacun est confronté à ce choix au moins une fois dans sa vie privée et dans sa carrière. Payer ses traites et oublier pourquoi on a combattu ou se démettre pour ne pas se soumettre à un système qui ne convient plus ? Peut une nouvelle fois se poser la question de prendre la place de son chef puisqu’on estime ne plus rien lui devoir. Deux options pour ce sixième commandement : se regarder en face ou accepter qu’on est un traître. Déloyal à un humain, à une équipe, mais loyal à l’entreprise.

Septième commandement : ne pas charger négativement une entreprise et des collègues qu’on quitte, ne pas se perdre en stratégies revanchardes, ne pas insulter le passé. Huitième commandement : ne pas utiliser ce qui ne nous appartient pas, les inventions, les adresses, fruits du travail d’autres. Le mensonge et le vol, les fils rouges quand on parle de loyauté. La loi les punit, la morale les réprouve. Neuvième commandement : utiliser ses contacts pour rebondir ou remonter une équipe. La question du débauchage se pose. Mais celle de la loyauté appartient désormais à l’autre, que l’on veut recruter. Dixième commandement : ne pas l’influencer car c’est alors à lui seul de répondre.

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