Marina Cavazzana et Karine Rossignol, en croisade contre les maladies génétiques

Marina Cavazzana et Karine Rossignol, en croisade contre les maladies génétiques

Marina Cavazzana est une pionnière des thérapies géniques. Professeure d’hématologie à l’hôpital Necker – Enfants malades et directrice de recherche à l’Institut des maladies génétiques Imagine, elle a consacré sa carrière à développer et tester des traitements de pointe pour lutter contre les maladies immunitaires et sanguines. Certains des médicaments innovants qu’elle a contribué à mettre au point commencent aujourd’hui à arriver sur le marché, à l’instar du Zynteglo contre la bêta-thalassémie, une redoutable pathologie du sang qui touche plus de 300 000 personnes dans le monde.

Marina Cavazzana

“Le principe de la thérapie génique est simple : utiliser les cellules du patient, les corriger en laboratoire, puis greffer ces cellules génétiquement modifiées”, explique cette scientifique de 65 ans, née à Venise d’un père cheminot et d’une mère institutrice. L’autogreffe présente deux intérêts majeurs : aucun donneur n’est nécessaire, et les risques de complications immunologiques, notamment de rejet par les cellules immunitaires du malade, sont nuls. A contrario, une greffe classique de cellules souches partiellement compatibles présente un risque de mortalité de 30 % à trois ans, car il faut de douze à dix-huit mois pour régénérer les globules blancs nécessaires pour lutter contre les agents pathogènes tels que les virus.

Karine Rossignol

En vingt-cinq ans, Marina Cavazzana a pu soigner une cinquantaine de jeunes patients à l’aide de cellules génétiquement modifiées. Un domaine encore émergent de la médecine, dans lequel cette femme dynamique et déterminée peut déjà se targuer de neuf premières mondiales ! En 1999, avec les Pr Alain Fischer (le “M. Vaccin” du gouvernement pendant la pandémie de Covid-19) et Salima Hacein-Bey, elle a traité par thérapie génique un enfant atteint d’un déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X, une maladie dénommée X-SCID due à l’absence de lymphocytes T et de cellules NK. En 2010, elle a participé au développement de la première thérapie génique de la bêta-thalassémie, puis a mené un des premiers essais cliniques visant à évaluer cette thérapie. “Ma motivation, c’est de pouvoir soigner les patients sans leur infliger de traitements lourds avec une toxicité importante”, confie Marina Cavazzana.

“A la fois un bulldozer et un papillon”

La chercheuse et pédiatre confie travailler de cinquante à soixante heures par semaine. Elle trouve un second souffle en pratiquant à ses heures perdues le gyrotonic, le pilates, le tennis, le ski, sans oublier le trek. Quitte à gravir 5 000 mètres sur une montagne, comme au Pérou il y a deux ans. “C’est à la fois un bulldozer et un papillon. Elle est dotée d’une détermination hors norme, mais aussi d’une vraie sensibilité, empreinte de doutes”, témoigne sa collègue et amie Karine Rossignol.

Cette dernière, fille d’enseignants, pharmacienne diplômée d’HEC ayant fait ses armes dans la cosmétique chez Guerlain, L’Oréal et Chanel, a rejoint l’institut Imagine dès sa création en 2006, comme cosecrétaire générale. Un ovni dans le monde hospitalier. “J’en avais assez de vendre des crèmes à des vieilles dames fortunées”, sourit-elle. Ce tournant prend ses racines dans son histoire personnelle. Elle a 13 ans quand, atteinte d’un lupus, une maladie auto-immune, elle apprend qu’elle ne fera “jamais d’études ni d’enfants”. Aujourd’hui mère de trois filles, elle doit sa guérison au Pr Claude Griscelli, de l’hôpital Necker, qui la prit en charge à l’époque, et qu’elle a donc suivi vingt-cinq ans plus tard lors du lancement de l’Institut Imagine.

La contribution de Karine Rossignol a été essentielle. “Nous avions 800 euros sur le compte bancaire en 2006. Nous avons levé 183 millions d’euros en dix ans”, indique ce bourreau de travail à l’optimisme inébranlable et au sourire contagieux. “Karine a une capacité de travail que je n’ai jamais vue ailleurs et un sens aigu des relations sociales. Elle sait tisser des liens avec un technicien, un chercheur ou un président de la République avec le même enthousiasme. Elle a aussi un énorme sens de la fête”, raconte Marina Cavazzana. Leur amitié les a amenées à passer des week-ends pour souffler à Venise, d’où est originaire la chercheuse. “On y a pris un spritz à 11 heures du matin, l’estomac vide”, se souvient-elle.

Il y a six ans, Marina Cavazzana et Karine Rossignol se sont lancé un autre défi. Avec la chercheuse Isabelle André, qui travaille elle aussi à l’Institut Imagine, elles ont créé la biotech Smart Immune. Leur objectif : accélérer la reconstitution du système immunitaire après une greffe, avec la promesse de passer de douze à dix-huit mois à seulement cent jours. “Les cellules renforcées par Smart Immune sont comme des super James Bond !” lance Karine Rossignol, avec son goût pour la vulgarisation. Leur société compte aujourd’hui 25 personnes et a levé 23 millions d’euros depuis sa création en 2017… dont 1 million auprès d’un investisseur de choix, la Fondation Bill & Melinda Gates, qui signait là sa première participation à un tour de table dans l’Hexagone. “La période de vérification a duré douze mois, car il s’agit d’un investisseur particulièrement exigeant. Mais l’opération a donné une visibilité incroyable à notre société”, apprécie Karine Rossignol. L’entreprise a ainsi recruté au poste de responsable médical l’Américain Rahim Fandi, un scientifique chevronné passé par Novartis, Bristol Myers Squibb et AstraZeneca. “Si nous n’avions pas eu Bill Gates au capital, il aurait hésité”, glisse Karine Rossignol.

Smart Immune a également convaincu le Conseil européen de l’innovation. Celui-ci a promis un financement de 17,5 millions d’euros, qui devrait être finalisé l’an prochain. De quoi avancer sereinement vers la phase 2, qui devrait s’achever en 2026. Avec l’espoir, à terme, de soigner “des milliers, voire des dizaines de milliers de patients” dans le monde.

Un article du cahier spécial santé paru dans L’Express du 28 mars.

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