Marine Le Pen et l’AfD : les coulisses d’un déjeuner polémique

Marine Le Pen et l’AfD : les coulisses d’un déjeuner polémique

Un déjeuner de réconciliation. Mardi 20 février, à deux pas de l’Arc de Triomphe, Marine Le Pen et Jordan Bardella ont déjeuné, en toute discrétion, à la table d’Alice Weidel, la coprésidente de l’AFD, parti d’extrême droite allemand allié européen du Rassemblement national au sein du groupe ID (Identité et démocratie). Parti qui a fait parler de lui, en novembre, pour avoir participé à une réunion avec des néonazis près de Postdam où aurait été évoqué un projet de “remigration”, c’est-à-dire de déportation massive de 2 millions de personnes étrangères ou de “citoyens non assimilés”. La révélation de cette réunion par le média Correctiv avait provoqué des manifestations d’ampleur en Allemagne.

Au Parlement européen, on avait pourtant désamorcé. Le président de la délégation RN, Jean-Paul Garraud, avait convoqué une réunion : attention, avait-il averti, l’article de la presse allemande était tronqué, son contenu mensonger, et l’AfD n’avait rien à se reprocher ! Un point de vue que ne partageait manifestement pas Marine Le Pen. Interrogée à ce sujet le 25 janvier en marge de ses vœux à la presse, cette dernière s’était empressée de prendre ses distances avec ses alliés européens : “Je suis en total désaccord avec la proposition qui aurait été discutée ou aurait été décidée dans le cadre de cette réunion”, avait-elle assuré. Et d’ajouter : “Nous serons amenés à discuter des divergences, et voir si ces divergences ont ou n’ont pas des conséquences sur la capacité que nous avons à nous allier dans un même groupe.”

Fureur parmi les eurodéputés qui craignent encore la rancune de l’AfD. “Ça a été géré depuis Paris par des personnes qui ne connaissent rien aux affaires européennes et ne se rendent pas compte des conséquences, peste un frontiste. Si on joue aux cons et qu’on se comporte comme des personnes insupportables, on peut se retrouver sans groupe dans trois mois.” A l’heure actuelle, l’AfD détient 9 sièges au sein du groupe ID, contre 18 pour le RN, et les deux formations d’extrême droite pourraient tabler sur un doublement de leurs élus lors de l’élection du mois de juin. Le projet de remigration en partie fomenté par l’AfD est donc largement relativisé. Au sein du groupe, on se plaint d’une gestion trop parisienne des enjeux européens, et d’un manque de concertation. “On n’a aucune idée de comment cette ligne a été choisie, et c’est tout le problème, les trois quarts des décisions sont prises à Paris pendant que Garraud regarde passer les mouches.”

Condamner sans répudier, prendre ses distances en déjeunant

Aucune voix ne s’est pourtant élevée véritablement en interne. “Critiquer Marine Le Pen ? C’est Jeanne d’Arc qui a parlé, raille un frontiste. Le crime de lèse-majesté est encore un peu possible sur Jordan (NDLR : Bardella) mais sur Marine impossible.” Certains pointent du doigt des proches de la députée du Pas-de-Calais, notamment Thibaut François (ancien secrétaire général du groupe frontiste au Parlement européen) ou Jean-Philippe Tanguy, accusés de vouloir saboter les relations du groupe avec l’AfD. “S’il y a des personnes qui portent ce plan de remigration dans leur cœur, qu’ils prennent position, rétorque ce dernier. Tous ceux qui ont pris la parole en bureau de campagne étaient sur la position de Marine Le Pen et Jordan Bardella.” Quant à Thibault François, aujourd’hui conseiller du parti sur les affaires européennes, il est celui qui a organisé le déjeuner réunissant Marine Le Pen, Jordan Bardella et la co-présidente de l’AfD Alice Weidel, ce mardi, sur lequel le RN a bien pris soin de ne pas communiquer.

“Marine Le Pen avait précisé qu’elle demanderait des explications à l’AfD, ce n’était pas un déjeuner secret, désamorce Thibaut François, mais l’occasion de discuter de tous ces sujets.” Le plan de “remigration” et sa présence au sein du programme de l’AfD ont donc été abordés, et le déjeuner s’est conclu sur un accord : Alice Weidel transmettra par écrit des explications à Marine Le Pen. Celui-ci sera transmis au Bureau exécutif qui statuera sur la pertinence de continuer, ou non, à siéger avec l’AfD au Parlement européen. Courageux mais pas téméraires, on précise au RN qu’aucune décision ne devrait être prise avant le 9 juin, en assurant qu’il ne s’agit “évidemment pas” d’une réconciliation, pensez-vous ! Condamner sans répudier, prendre ses distances en déjeunant. A trop côtoyer le président, Marine Le Pen se serait-elle laissée tenter par la praticité du “en même temps” ?

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *