Médailles de l’Assemblée nationale : cette méconnue “légion d’honneur” des citoyens ordinaires

Médailles de l’Assemblée nationale : cette méconnue “légion d’honneur” des citoyens ordinaires

Souvent, elles n’occupent qu’une demi-page dans le quotidien régional, une photo dans un local un peu triste, permanence parlementaire ou siège associatif, une dizaine de personnes autour d’un élu, quelques croissants, du café, parfois un verre de l’amitié. Mais peu importe que ces cérémonies n’aient pas les honneurs de la presse nationale, ni ceux des ors de la République, dans les circonscriptions, elles font événement. En ces temps où les députés cherchent une manière de faire de la politique autrement, de garder un lien avec le terrain, de ne pas être taxés de déconnexion avec les électeurs, ils redécouvrent le charme de distribuer les “médailles de l’Assemblée nationale”, des décorations sans décorum, un temps tombées en désuétude.

Hier, les députés pouvaient cumuler les casquettes de parlementaire et de maire et décerner des médailles de la Ville à leurs concitoyens méritants. La réserve parlementaire leur permettait aussi de manifester leur soutien à des initiatives locales. Privés de ces deux outils, il leur a fallu imaginer d’autres moyens de montrer que, bien que siégeant à Paris, ils n’en oubliaient pas pour autant la vie de leur circonscription. Plus distinction que décoration, la médaille de l’Assemblée nationale a l’avantage d’être à l’entière discrétion des députés. Aucune limite de nombre ne leur est fixée, il leur suffit de choisir le modèle parmi les trois proposés, d’y faire graver le nom de la personne concernée et de s’acquitter d’une somme variant de 11,60 à 47,10 euros.

A l’inverse de la Légion d’honneur, la médaille de l’Assemblée nationale, qui arbore l’hémicycle sur une face, la façade sur l’autre, n’a rien d’officiel. Elle n’est régie par aucune règle, si ce n’est celle de la volonté de marquer une reconnaissance. En mai 2023, Yaël Braun-Pivet, la présidente du Palais Bourbon, récompensait la cinéaste Euzhan Palcy, réalisatrice de Rue Cases-Nègres ou Une saison blanche et sèche, peu connue en France, mais honorée d’un oscar d’honneur en 2022, par ses mots : “La médaille de l’Assemblée nationale n’est pas de celles que l’on porte sur la poitrine, accrochée à un ruban. […] C’est surtout une marque de reconnaissance de la Représentation nationale qui vous encourage à continuer.”

Ni héroïsme, ni ancienneté, du dévouement à la Cité

Présidents d’association, sportifs médaillés, anciens combattants ordinaires, jeunes bénévoles, maires dévoués… les députés composent librement la liste des récipiendaires. Ils ont souvent en commun un engagement associatif, gratuit et chronophage. Et la caractéristique de ne pouvoir être récompensés d’une autre manière parce que ne rentrant ni dans les cases de l’héroïsme extraordinaire, ni dans la longévité nécessaire à l’obtention de certaines récompenses.

“Qu’il s’agisse de la Légion d’honneur, de l’ordre du Mérite ou de l’ordre du Mérite agricole, les formalités sont un peu longues. Quant aux médailles militaires, il y a des quotas à respecter pour les militaires d’active et les anciens combattants. Beaucoup de ceux que j’ai décorés, souvent âgés, n’auraient pas eu de reconnaissance des institutions de la République sans cette médaille”, raconte Régis Juanico, député PS de la Loire entre 2007 et 2022, qui affiche sur son blog la liste de sa cinquantaine de récipiendaires, avec pour chacun une petite biographie. “Dans des circonscriptions comme la mienne, avec 230 communes et beaucoup d’associations de taille moyenne, il n’est pas facile d’obtenir des récompenses. La médaille de l’Assemblée, ce n’est pas officiel, mais c’est républicain”, ajoute Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement national de la Somme.

Roger Vicot, député PS du Nord, a récompensé en janvier une dizaine de concitoyens. Parmi eux, Hiba Gouizi, 19 ans, vice-championne du monde de karaté mix et de kempo, et Maurice Debras, 81 ans, jardinier bénévole. “Sans ces milliers de bénévoles, nos villes seraient différentes. Et on n’en parle jamais”, note-t-il. Delphine Lingemann, députée Renaissance du Puy-de-Dôme, a profité de ses vœux de début d’année pour honorer un club de basket d’un quartier populaire, un club de rugby féminin, un organisateur de compétition cycliste… Un panel qui répond à une subtile répartition géographique et humaine : “Il fallait une diversité pour que tout le monde puisse se dire : “ah, tiens, untel a été récompensé”.

Cela permet aussi de découvrir des initiatives qui se déroulent à quelques kilomètres de chez soi mais que les gens ne connaissent pas.” Régis Juanico, lui, a choisi pas mal d’anciens de la guerre d’Algérie par fidélité à une histoire familiale, même si ses amis politiques ont pu en être surpris : “Mon père et mon grand-père étaient pieds-noirs. Alors c’est vrai que le milieu des anciens combattants n’est pas forcément le plus proche de mes convictions de gauche, mais voilà…”

Parfois, des désaccords politiques

Tous les récipiendaires disent ne pas courir après les honneurs, mais ne cachent pas leur fierté d’avoir été décorés. Hiba Gouizi, de Lomme, apprécie d’avoir reçu sa médaille malgré ses 19 ans : “Je pensais que c’était pour des gens plus âgés, mais le député a aimé mon parcours, ma personnalité.” Nicolas Mallet, président d’Issoire Sport Organisation, était presque plus heureux de recevoir cette médaille que celle de la Jeunesse et des sports, obtenue en 2018 : “C’était plus festif, la remise m’en a été faite par l’ancien député Jean-Paul Bacquet, qui est un passionné de cyclisme. C’était aussi une satisfaction collective pour les nombreux bénévoles autour de moi.”

Même volonté de partager pour Catherine Gaudry, présidente du Secours catholique du Val-de-Marne, décorée par Mathieu Lefèvre (Renaissance) en octobre 2023 : “J’ai dit que je la prenais au nom de nos 450 bénévoles pour faire entendre leur voix.” C’est d’ailleurs cet objet qu’avaient choisi des salariés du département lors d’une réunion régionale pour symboliser un événement important de l’année écoulée. Même si la médaille a pu avoir un goût amer pour certains membres de l’association. L’antenne départementale est, en effet, très engagée dans l’aide aux migrants. Quelques mois avant le début de la discussion parlementaire autour de la loi immigration, elle avait organisé, à la demande du député, une rencontre avec ce dernier, des migrants et des bénévoles. En découvrant le texte voté par la majorité présidentielle fin 2023, quelques semaines à peine après la remise de la médaille, la désillusion l’a parfois emporté.

Les députés se défendent de faire de la politique avec ces décorations, mais celle-ci n’est jamais loin. Le moment est un outil précieux pour communiquer autour de son action de terrain, la presse locale est conviée, et lorsqu’elle ne se déplace pas, les photos prises par les attachés parlementaires finissent opportunément par lui parvenir. Certains élus n’hésitent pas à en faire trop, ils évoquent une “médaille d’honneur” de l’Assemblée, subtile manière de jouer la confusion avec la Légion d’honneur, ou la survendent en évoquant une “médaille grand or”. Les récipiendaires gardent, pour la plupart, un souvenir ému d’avoir été choisis. En particulier, ceux qui avaient l’impression que, jusque-là, personne ne les écoutait.

Les responsables du Rassemblement national, soucieux d’améliorer leur implantation, l’ont compris. En accueillant les nouveaux députés en 2022, Sébastien Chenu leur a rappelé l’existence de la médaille et l’intérêt qu’elle pouvait avoir. Un conseil que Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme, applique en collant aux combats de son parti : en décembre dernier, il a ainsi récompensé plusieurs militants anti-éoliennes. Parmi eux, Colette, qui avait fait le tour des politiques dans l’espoir d’obtenir leur soutien. Sans succès, jusqu’à ce que Jean-Philippe Tanguy la reçoive longuement et lui décerne la médaille : “Il a donné un éclairage aux activités de l’association.” Ou Hubert Delarue, avocat à Amiens, longtemps engagé auprès de Gilles de Robien, à qui Eric Dupond-Moretti avait remis la Légion d’honneur en juin 2022. Membre de Vent de colère Rubempré, un autre collectif d’anti-éolien, il apprécie l’attention : “Nous sommes une toute petite association et c’est le seul qui est venu nous aider. Il nous a donné des sous. Je n’avais pas de raison particulière de l’offenser.” Le trésorier de Colette, lui, a préféré démissionner quand il a su qu’elle acceptait une médaille d’un député RN.

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