Médicaments anti-obésité : un défi de taille pour les pouvoirs publics

Médicaments anti-obésité : un défi de taille pour les pouvoirs publics

Anne-Sophie Joly “n’a pas choisi d’être grosse”. La présidente du Collectif national des associations d’obèses le dit avec force dans un livre-manifeste à paraître le 22 février. Une fois en “situation d’obésité“, elle a tout tenté pour en sortir. Des régimes à la pelle, puis un anneau gastrique. Efficace pendant vingt ans, avant que des soucis de santé ne l’obligent à le faire retirer. Les kilos sont revenus, mais une autre opération est exclue. Son seul espoir désormais : les nouveaux médicaments contre l’obésité, qu’elle attend avec impatience – comme beaucoup des patients qu’elle représente.

Premier à avoir été autorisé aux Etats-Unis et en Europe, le Wegovy est déjà commercialisé outre-Atlantique et dans plusieurs pays européens (Norvège, Danemark, Islande, Allemagne, Royaume-Uni et Suisse). Mais pas en France. Un choix du laboratoire Novo Nordisk, qui déploie au niveau international un plan de distribution “responsable”. Comprendre : contraint par des capacités de production pour l’instant insuffisantes. Etienne Tichit, le directeur général de Novo Nordisk France, indique toutefois que ses seringues amaigrissantes devraient être disponibles dans le courant de l’année : “C’est ce que nous souhaitons. Nous sommes dans l’attente d’un go de la direction du groupe, et des autorités sanitaires françaises.” Une chose est sûre, cette arrivée ne manquera pas de susciter de nombreux débats, tant sur le prix que sur les conditions de remboursement de ces produits. “On peut facilement anticiper que les dépenses liées à ces médicaments pourraient dépasser le milliard d’euros par an en quelques années si les produits sont admis au remboursement, donc il va forcément y avoir un sujet”, calcule Jean-Marc Aubert, président du cabinet Iqvia France et ancien directeur délégué de l’Assurance-maladie.

Dans l’Hexagone, seuls 10 000 Français en bénéficient déjà grâce à une procédure d’exception appelée “accès précoce”. Mais, depuis le 30 septembre, plus aucun nouveau patient ne peut être inclus, et, pour les 10 000 personnes traitées, l’accès aux injections – fournies à titre gracieux par le laboratoire – est garanti seulement jusqu’en octobre 2024. La suite dépendra des négociations entre l’industriel et les autorités sanitaires. Et il n’y a guère d’alternative : le concurrent direct développé par l’américain Eli Lilly (Mounjaro) vient à peine d’obtenir une autorisation en Europe et n’est pas encore commercialisé.

Le bras de fer a commencé

En attendant, certains n’hésitent pas à détourner Ozempic, le “petit frère” de Wegovy, moins dosé et normalement réservé aux diabétiques. “Ce mésusage semble plutôt concerner des personnes de corpulence normale mais désirant simplement perdre quelques kilos”, constate toutefois un pharmacien. Elles se les font prescrire par des médecins peu regardants, ou recourent à de fausses ordonnances. Mais, d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), seulement 1,4 % des quelque 270 000 patients sous Ozempic ne seraient pas diabétiques. Le phénomène resterait donc limité, même si, de l’aveu de l’ANSM, ces chiffres sont probablement une sous-estimation.

Le Wegovy sera-t-il remboursé ? Un premier examen du dossier par la Haute Autorité de santé à la fin de 2022 n’avait pas permis d’aboutir. A l’époque, les experts avaient jugé les données insuffisantes, notamment sur ses bénéfices cardiovasculaires et sur sa tolérance à long terme. Ils avaient donc autorisé son remboursement, tout en jugeant qu’il n’apportait pas “d’amélioration du service médical rendu”. Une appréciation qui mettait le laboratoire en mauvaise posture pour aller ensuite négocier le prix de son médicament avec le gouvernement. L’industriel avait alors retiré le dossier. Des données supplémentaires ayant été publiées depuis, il s’apprête à le déposer à nouveau.

L’investissement massif de Novo Nordisk en France (2,1 milliards d’euros annoncés pour son site de Chartres) devrait bien sûr faciliter les discussions. Mais le Wegovy est cher : 1 350 euros pour un mois de traitement sur le marché américain. Même si les prix sont traditionnellement bien inférieurs en Europe, l’addition restera lourde. L’objectif des autorités est donc de restreindre la prescription aux malades qui en ont le plus besoin. “Environ 17 % des Français sont en situation d’obésité, aucun système de santé ne peut couvrir les dépenses pour une part aussi large de la population”, reconnaît Etienne Tichit. Selon toute vraisemblance, une “population cible” sera définie au-delà d’un certain degré d’obésité, encore à déterminer.

Qui doit en bénéficier ?

L’enjeu ensuite : faire respecter cette règle. “C’est plus difficile en France, car les pouvoirs publics ont peu de moyens de contrôle sur les prescriptions”, constate Jean-Marc Aubert. Une autre bataille se joue donc actuellement : savoir quels médecins seront autorisés à signer des ordonnances de Wegovy. Avec la Haute Autorité de santé, les spécialistes de l’obésité plaident pour que le produit leur soit réservé. “Les généralistes vont avoir une pression énorme des patients, y compris de ceux qui ne sont pas obèses”, s’inquiète le Dr Muriel Coupaye, ancienne présidente de l’Association française d’étude et de recherche sur l’obésité. Sans surprise, le laboratoire milite, lui, pour que tous les médecins puissent le prescrire.

Car plus encore que le remboursement, c’est bien l’accès au traitement qui va conditionner le niveau de ses ventes. A leur grand étonnement, les dirigeants de Novo Nordisk ont en effet découvert que, pour la première fois, des patients étaient prêts à payer de leur poche pour un médicament innovant. C’est le cas en Norvège ou au Danemark, où environ 100 000 Danois s’offrent le sémaglutide sur leurs deniers personnels, selon le Financial Times. Dans ce schéma, les patients français inclus dans la fameuse “population cible” verraient leurs dépenses prises en charge par la Sécu, et les autres, un peu moins obèses, financeraient eux-mêmes leurs médicaments. Un changement radical de modèle économique certes intéressant pour le laboratoire, mais qui laissera de côté les plus défavorisés. Justement ceux qui sont le plus touchés par l’obésité…

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