#MeToo à l’hôpital : quand le sexisme plombe l’attractivité des professions de santé

#MeToo à l’hôpital : quand le sexisme plombe l’attractivité des professions de santé

Blanche aurait dû devenir médecin. C’était son rêve, jusqu’à ce qu’un interne se dresse sur son chemin, un jour de stage, alors qu’elle commence ses études de médecine, après avoir arraché le concours. Elle a alors 21 ans. Il doit lui expliquer les gestes de base des examens médicaux. Au lieu de simplement lui montrer ce qu’elle doit faire, il en profite pour se plaquer contre elle, la toucher, la frotter. Il lui susurre “vilaine”, “tu es mignonne”. Son agression, Blanche en parle à visage découvert dans Des blouses pas si blanches, un documentaire qui doit être diffusé le 5 mai sur M6. Des fêtes où subsiste le bizutage aux salles de gardes dont les fresques exhibent des chefs de service distribuant des fellations, en passant par les affaires de viol, les réalisateurs Grégoire Huet et Marie Portolano y racontent l’ampleur du sexisme. D’hôpitaux en hôpitaux, de salles de garde en blocs opératoires.

Le documentaire paraît en plein “#MeToo des hôpitaux”, une série de dénonciations des atteintes aux femmes déclenchée par l’infectiologue Karine Lacombe. La semaine dernière, elle confiait à Paris Match avoir été harcelée par Patrick Pelloux, un confrère apprécié des hautes sphères, proche du président François Hollande. Depuis, les témoignages sur le système hospitalier, longtemps peu féminisé et à la direction tenue par des hommes, inondent le débat public.

Misogynie ambiante

Comme Blanche, de nombreuses autres soignantes se disent “dégoûtées” du métier à cause de la misogynie ambiante. C’est ce que raconte notamment Agnès Buzyn. En 2017, alors ministre de la Santé, l’ancienne médecin avait rendu public son harcèlement, dans la foulée de l’affaire Weinstein. Si l’hôpital n’est pas le cinéma, “beaucoup de femmes ne veulent pas y faire carrière” à cause de ce qu’il s’y passe, analyse-t-elle pour L’Express.

Agnès Buzyn a donc préféré partir. Partir plutôt que subir ces confrères qui l’imaginent avec un “fouet et des bottes”. Qui lui enjoignent de “s’asseoir sur leurs genoux”, colères à l’idée qu’elle soit leur cheffe. Qui la considèrent comme un frein, en dépit de compétences connues et reconnues. “Il fallait en rire, sinon on était des mal baisées. Mais ça me dégoûtait, j’allais manger avec les patients à la cafétéria”, raconte l’ancienne ministre d’Emmanuel Macron, encore atterrée.

Agnès Buzyn, comme les autres médecins et infirmières qui témoignent aujourd’hui, parle d’un “univers focalisé sur le sexe”, d’un “sexisme ambiant”, “insupportable”, qui rend les carrières beaucoup plus âpres que celles des hommes. A l’écran, Marie Portolano, à l’origine des révélations sur le journaliste sportif Pierre Ménès, cite un baromètre Ipsos paru en 2023 : “8 femmes médecins sur 10 affirment avoir été victimes de comportements sexistes, 1 sur 3 de gestes inappropriés.”

“Libération de l’écoute”

La journaliste a reçu des centaines de mails suite à son premier documentaire, sur le sexisme dans le sport, lui demandant de se pencher sur la situation à l’hôpital. “Tout était sous nos yeux, comme dans le cinéma. Peut-être faudrait-il parler de libération de l’écoute, plutôt que de la parole. Car tout se passe comme si d’un coup, on prenait enfin acte de ce que racontent les victimes”, observe Marie Portolano, marquée par la minimisation des faits. “Ce n’est pas très grave”, lui répètent les accusés.

Combien sont-elles, comme Blanche ou Agnès Buzyn, à avoir raccroché la blouse, traumatisées ? “Ces agressions systématiques participent à la pénibilité du travail”, souligne Pauline Bourdin, présidente de la Fédération des étudiant·e·s en sciences infirmières, principale association représentative du métier. Un poids, alors que les horaires à rallonge, les horreurs des urgences et les faibles rémunérations, surtout en bas de l’échelle, dissuadent déjà de s’engager dans ce service public en pénurie de main-d’œuvre depuis des années.

L’association a mené une étude, de son côté : “59,2 % des étudiant·e·s en sciences infirmières ont déjà pensé à arrêter leur formation. La première raison d’arrêt de formation est due aux terrains de stage. Or, 1 étudiant sur 6 a été victime d’agression sexuelle durant sa formation, le calcul est vite fait”, détaille Pauline Bourdin. D’autant plus que les hommes aux postes hiérarchiques ont tendance, dit-elle, à ignorer les alertes. “Il faudrait s’habituer, comprendre, alors qu’on parle d’actes punis par la loi !”

Condamnant des “écarts”, le ministre actuel de la Santé, Frédéric Valletoux, a annoncé le 12 avril se réunir avec les principaux représentants du système hospitalier sur le sujet, alors qu’un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans son ensemble a déjà été mis en place. Les échanges devraient débuter le 29 avril, selon nos informations. Pauline Bourdin prévient : “On attend de nouvelles solutions, plus concrètes, et surtout, une tolérance zéro.”

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