“Moi, le glorieux” : Mathieu Belezi ou l’obsession algérienne

“Moi, le glorieux” : Mathieu Belezi ou l’obsession algérienne

Le fœtus, dans le ventre de sa mère, est-il perméable à des odeurs, des lumières, des voix, bref, à un pays… ? Mathieu Belezi, conçu en Algérie alors que son père y faisait son service militaire en tant que parachutiste en 1953-1954, en émet l’hypothèse. Allez savoir si ce n’est pas pour complaire à son interlocutrice de la place de la Bastille, à Paris, qui, à l’occasion de la publication de Moi, le glorieux, s’étonne de son obsession algérienne, lui, qui, né à Limoges et vivant à Rome, a parcouru la planète mais n’a jamais mis les pieds sur la terre d’Albert Camus…

Plus sérieusement, Mathieu Belezi explique sa tétralogie, commencée en 2008, par un manque sidéral, à ses yeux, d’ouvrages sur la colonisation. “En France, qui parle de la conquête algérienne ?, s’enflamme l’auteur, à sa manière, mezza voce. Sur la fin de l’Algérie française, nous avons Laurent Mauvignier, Jérôme Ferrari, Erik Orsenna et quelques autres, mais sur les cent ans de turpitudes précédents, pas grand monde, à l’exception d’une poignée d’historiens tels Pierre Darmon et son formidable Un siècle de passions algériennes. 1830-1945, (Fayard, 2009), Catherine Brun (in la revue Mémoires en jeu) ou encore Annie Rey-Goldzeiguer (Aux origines de la guerre d’Algérie, La Découverte). Reste que l’amnésie continue. Emmanuel Macron a tout de même osé parler récemment ‘d’histoire d’amour’ avec l’Algérie. Une expression pour le moins maladroite, c’est une histoire de massacres, ce n’est pas une histoire d’amour.”

“L’histoire d’amour”, Mathieu Belezi la vit avec son nouvel éditeur du Tripode, le fougueux Frédéric Martin, qui s’est enthousiasmé en 2022 pour son œuvre (quelque 20 romans tout de même) et pour Attaquer la terre et le soleil, dont aucun de ses grandes maisons historiques (Albin Michel, Flammarion) ne voulait. Ce roman, qui narre les atrocités commises dans les années 1840 à travers les voix de Séraphine, venue s’installer en Algérie avec son mari, et d’un soldat de l’armée française a notamment reçu le prix du Livre Inter 2023. Résultat : 70 000 exemplaires vendus, alors que ses précédents opus naviguaient entre les 2 000 et 4 000 ventes, et des cessions de droits au cinéma et dans neuf langues. Et Mathieu Belezi de passer de l’ombre à la lumière, paré quasiment des habits de l’auteur culte. “Qu’on parle de moi me perturbe énormément, confie l’écrivain, un peu à l’instar de Nicolas de Staël lorsque le succès américain lui est tombé dessus et qui disait alors : ‘Depuis que ça se vend, c’est foutu, j’ai perdu mon univers et mon silence […] revenir en arrière ! N’être personne pour les autres et tout pour moi-même.’ Est-ce pour cela que je n’ai rien écrit depuis un an ?”

Un roman baroque aux accents du réalisme magique

A défaut d’écrire, Belezi tricote. Ainsi a-t-il repris Les Vieux Fous, le deuxième volet de sa tétralogie publié en 2011 et qu’il a scindé en deux, comme prévu initialement, avec d’un côté Moi, le glorieux, écrit à la première personne par un grand colon, Albert Vandel, ogre mégalomaniaque, et de l’autre, Le Temps des crocodiles (illustrations de Kamel Khélif), récit, à la troisième personne, de la conquête sanglante du désert par ce même capitaine Vandel. Quoi de plus contrasté que le frêle Mathieu Belezi et le monstrueux Albert Vandel, 140 ans et 140 kilos de chair coloniale, chasseur de lions, de femmes et d’Arabes ? Et pourtant, c’est bien la voix de ce monstre burlesque, richissime à force de spoliations, qui l’a habité tout au long de l’écriture de ce roman baroque aux accents du réalisme magique des Garcia Marquez, Carpentier, Onetti, si chers à l’auteur.

Le romancier fait vivre à son antihéros un siècle de folies et de débauches en tous genres (son “braquemart de 24 centimètres” jamais au repos) au fil de scènes épiques – dont celles du viol d’une baronne juive et du massacre de sa famille, du dîner gargantuesque offert au président Doumergue lors de la fête du Centenaire en 1930, de sa victoire sur “le plus féroce des lions”, de son combat contre les insurgés de 1871 ou encore de sa fuite à la Ubu Roi, entouré de ses vieux fous, vers l’apartheid sud-africain. Mathieu Belezi, qui prend le lecteur à la gorge, pourrait lui aussi faire figure de vieux fou, mais de vieux fou génial dont la langue, puissante, avec son torrent de mots et ses figures de style rageuses, emporte l’admiration.

Moi, le glorieux, par Mathieu Belezi. Le Tripode, 332 p., 21 €.

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