Nucléaire : le parcours inattendu de Julia Cantel, étoile montante de la filière française

Nucléaire : le parcours inattendu de Julia Cantel, étoile montante de la filière française

Mais qu’est-ce qui fait courir Julia Cantel ? La fierté de travailler sur le plus gros chantier nucléaire d’Europe de l’Ouest ? Le désir de montrer que les femmes peuvent embrasser avec succès une carrière scientifique et technique, même quand elles ne viennent pas d’un milieu social privilégié ? Les deux, assurément.

A 38 ans, cette figure montante de la filière nucléaire française, chargée par EDF de la sûreté sur l’énorme chantier de Hinkley Point C, à l’ouest de Londres, semble investie d’une mission. Quand elle ne s’occupe pas de neutronique ou de thermohydraulique sur la future centrale britannique, elle promeut l’énergie de l’atome partout où elle passe. Devant les dirigeants d’entreprise, les élus, les étudiants, sur son compte LinkedIn aux 23 000 abonnés et même, à l’occasion, en maternelle ! Le jour de cette rencontre, Julia Cantel revient d’un déplacement à l’université de Cambridge. Quelques jours auparavant, elle planchait devant les futurs ingénieurs de l’Ecole de chimie de Paris, “la meilleure dans son domaine”. C’est là, en troisième année, que sa passion pour le nucléaire a véritablement éclos, avec l’ouverture, par curiosité autant que par défi, d’un ouvrage sur la transmutation des actinides mineurs.

“Renvoyer l’ascenseur”

Que raconte-t-elle à ses nombreux auditoires ? “Du factuel, jure-t-elle. Souvent, les étudiants ne se rendent pas compte des avantages du nucléaire en matière de bilan carbone. Par ailleurs, 75 % des jeunes de 24 à 35 ans pensent encore que le nucléaire pollue. Il reste donc beaucoup à faire pour corriger cette image.” Cela tombe bien, Julia Cantel assume son côté professeur. Elle tient aussi à “renvoyer l’ascenseur”. “J’ai la chance d’avoir une bonne situation. Si mon parcours peut inspirer celui d’autres jeunes femmes, alors c’est parfait”, confie celle que rien ne prédestinait à percer dans cet univers.

Collège difficile en banlieue parisienne – on ne saura pas lequel, pour ne pas stigmatiser l’endroit –, parents immigrés italiens travaillant dans l’assistance sociale… Au lycée, Julia envisage une inscription en BTS esthétique-cosmétique, avant que son professeur principal ne l’incite à s’orienter vers une filière scientifique. Pour ne pas “gâcher” ses bons résultats. Ce coup de pouce du destin, elle ne l’oubliera jamais. Même quand sa notoriété décolle avec une série de distinctions : 1ᵉʳ prix Fem’Energia, en 2020, 1ᵉʳ prix Femme ingénieure de France, en 2023, année où elle fait son entrée dans le top 3 mondial des femmes de moins de 40 ans travaillant dans le nucléaire, selon l’association Women in Nuclear (WIN)…

Lors d’un sommet franco-britannique au palais de l’Elysée, en 2023, elle donne un discours sur le climat devant Emmanuel Macron et le Premier ministre Rishi Sunak. “Le soir même de l’événement, elle m’a appelée, confie Isabelle Poli, présidente d’honneur de WIN France. Elle m’a dit : ‘Tu sais ? Ils m’ont applaudie, moi !'” Comment pouvait-il en être autrement ? En plus d’être un bourreau de travail, partout où elle passe, Julia Cantel fait l’unanimité. “Elle allie technicité, leadership et ouverture d’esprit”, égrène François Goulain, directeur délégué à la sûreté du parc nucléaire d’EDF et ancien patron de la centrale de Gravelines, dans le Nord, où la jeune femme a travaillé quatre ans avant de s’envoler pour l’Angleterre.

La performance grâce aux “soft skills”

Sa façon de manager, en particulier, a marqué les esprits. “Au sein de son équipe, les décisions se prenaient de manière collégiale. Elle avait également mis en place un moment d’échange quotidien, intitulé ’C’est pas sorcier’, durant lequel elle dissertait sur un sujet particulier lié à son activité. A l’époque, c’était inédit. Grâce à ses méthodes collaboratives, elle a sensiblement réduit l’accidentologie sur les opérations de maintenance”, se souvient l’ancien directeur du site de Gravelines. Ces innovations lui vaudront d’ailleurs un prix. Et des liens indéfectibles avec les membres de son équipe. “C’était une expérience incroyable. Quatre ans après, on s’envoie encore des SMS”, confirme Julia Cantel. François Goulain acquiesce : “Travailler sur ‘la géante’ [le surnom donné à la centrale nordiste], ça marque. C’est comme dans la marine : il y a plusieurs bâtiments nucléaires, mais un seul Charles de Gaulle.”

A Hinkley Point C, Julia Cantel poursuit sa carrière dans les gabarits hors normes. A terme, la centrale fournira de l’électricité à 6 millions de foyers pendant soixante ans. “Le jour de la pose du dôme, nous avons regardé l’événement en famille, avec mon mari, lui aussi à EDF, mon fils de 9 ans et mes deux filles de 7 et 4 ans. Je n’ai aucun doute sur le fait que le chantier va aboutir. Les quatre générateurs de vapeur sont fabriqués. 70 % des équipements qui seront installés sur l’unité 1 ont été livrés,”, précise la jeune femme. Un optimisme à toute épreuve ? “Elle a le don de transformer un problème en challenge à résoudre, par la force du collectif”, assure François Goulain.

“On a besoin de gens comme elle, s’enthousiasme Isabelle Poli. Souvent les femmes s’autocensurent. Beaucoup pensent qu’elles ne sont pas capables de travailler dans le nucléaire ou d’accéder à des postes à responsabilité. Or, si elles croisent sur leur chemin quelqu’un comme Julia qui leur dit que c’est possible, cela change tout.” Car le plafond de verre reste une réalité. Si les femmes sont 24 % à travailler dans le nucléaire, leur taux de présence tombe à 10 % dans les postes de management et à moins de 5 % dans les comités exécutifs. Certes, les choses bougent. La France compte, par exemple, quatre femmes directrices de centrale. Un record. “Mais il faut aller plus loin, confie Julia Cantel. La filière a besoin d’embaucher 100 000 personnes en dix ans. Le message est clair : on ne pourra pas le faire sans les femmes.”

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