Pesticides : le “Nodu”, l’indicateur controversé abandonné par le gouvernement

Pesticides : le “Nodu”, l’indicateur controversé abandonné par le gouvernement

C’est un outil défendu par les ONG environnementales, mais contesté par le syndicat agricole majoritaire FNSEA et l’industrie des pesticides. Le Nodu, l’indicateur que la France utilise actuellement pour mesurer la réduction de l’usage des pesticides, va être abandonné, a annoncé ce mercredi le Premier ministre Gabriel Attal lors d’une conférence de presse.

“Je vous annonce que l’indicateur de référence pour suivre notre objectif de réduction des produits phytosanitaires ne sera plus le Nodu franco-français mais bien l’indicateur européen. C’est conforme à notre volonté d’éviter toute surtransposition. C’était la demande des agriculteurs”, a déclaré Gabriel Attal. Le chef du gouvernement a cependant affirmé ne pas vouloir “renoncer à l’ambition de réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030”, alors que l’exécutif avait annoncé le 1er février la suspension du plan Ecophyto – visant une réduction de moitié de l’utilisation des pesticides d’ici 2030, par rapport à 2015-2017 – “le temps de mettre en place un nouvel indicateur”.

En quoi consiste le Nodu ?

L’indicateur de référence du plan Ecophyto, fondé sur les données des ventes, est exprimé en hectares. Il prend en compte les quantités de substances actives vendues et leur dose de référence – ou “dose unité” – propre à chaque substance. Il évalue “notre dépendance aux pesticides, en évitant les biais liés aux grandes différences de doses homologuées entre molécules”, explique l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) sur son site.

Concrètement, le Nodu divise les quantités de substances actives vendues (en kg) par leurs doses de référence (“dose unité” propre à chaque substance active, en kg par hectare). Cette technique permet d’avoir dans un seul indicateur la somme de substances actives employées à des doses très différentes, explique un récent rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les causes de l’incapacité de la France à réduire l’usage des pesticides. Pour le chercheur Corentin Barbu, joint par l’AFP, le Nodu est l’indicateur “le plus pertinent” : “il permet de prendre en compte à la fois la quantité de substances actives et la dose à laquelle elles sont efficaces, ce qui revient à définir leur degré de toxicité”.

Pourquoi est-il décrié ?

Le Nodu est accusé par des agriculteurs de ne pas refléter les efforts déjà consentis. A la tête des céréaliers, Eric Thirouin qualifie auprès de l’AFP le Nodu de “machine à baffes”. Selon lui, “à partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs. Calculer le nombre de doses utilisées, c’est fausser le résultat.”

Avec le Nodu, si vous remplacez “un produit avec un risque qui est très fort mais qui est autorisé” par “deux ou trois passages d’un produit” moins dangereux, “votre indicateur se dégrade” quand même à cause de l’augmentation de volume, a de son côté déploré dimanche le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, invité de l’émission Questions politiques sur France Inter. Le gouvernement estime aussi que le Nodu ne reflète pas la baisse “de 96 % en dix ans” des pesticides les plus dangereux (CMR-1).

Mais, pour les ONG et la Confédération paysanne, troisième force syndicale du secteur, la relégation du Nodu est une volonté du gouvernement de “changer de thermomètre” pour camoufler “15 ans d’échecs”. Les ONG environnementales avaient indiqué le 12 février que le maintien du principal indicateur de mesure de l’usage des pesticides en France était une “ligne rouge”. “Remettre en cause l’indicateur Nodu, c’est remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des pesticides”, affirmaient huit ONG environnementales dans un communiqué commun signé notamment par Générations Futures, le WWF France, la Fondation pour la Nature et l’Homme ou la LPO.

Selon François Veillerette, de Générations futures, “changer le Nodu” revient à “changer la nature du plan” Ecophyto dans la mesure où abandonner cet outil de mesure ne permettra plus d’évaluer de façon cohérente la trajectoire de réduction des pesticides. Le Nodu “nous permet d’avoir un historique de 15 ans et il nous permet d’aborder l’avenir”, abonde Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la Nature et l’Homme, joint par l’AFP. “Changer le thermomètre, cela n’a pas de sens dans un moment où l’on travaille depuis 15 ans sur la réduction des pesticides”, ajoute-t-il.

Par quoi cet indicateur est-il remplacé ?

L’outil de référence sera donc désormais l’indicateur européen, HRI1. C’est “l’indicateur de risque harmonisé” proposé par la Commission européenne : il multiplie les volumes de substances actives vendues par des “coefficients” censés refléter la dangerosité des divers pesticides, classés en quatre catégories.

Si le lobby des pesticides salue l’effort de cet indicateur pour “prendre en compte la dangerosité plutôt que le volume”, pour Générations Futures, en revanche, le HRI1 est “totalement trompeur” parce que “les coefficients de dangerosité sont trop faibles” et parce que “la classification choisie a pour conséquence de “pénaliser l’agriculture bio”. L’ONG, qui a testé le HR1, affirme par exemple qu’il mesure “le même risque pour un kilogramme d’agent neurotoxique, comme l’insecticide hautement toxique pour les abeilles deltaméthrine, que pour un kilogramme de sable quartzeux”, utilisé en bio pour éloigner le gibier des cultures.

Dimanche, Marc Fesneau avait défendu l’adoption de l’indicateur européen à la place de l’outil français, estimant que la France ne peut “inventer” ses propres indicateurs “à l’écart de l’Europe”. “Nous allons avoir un jour ou l’autre une réglementation européenne sur la réduction des pesticides”, a indiqué Marc Fesneau. “On ne va pas inventer nos indicateurs français à l’écart du reste de l’Europe”, a justifié le ministre, faisant la comparaison avec les indicateurs communs de croissance, de réduction des gaz à effet de serre, ou de santé.

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