Politique énergétique française : le temps perdu ne se rattrapera pas

Politique énergétique française : le temps perdu ne se rattrapera pas

“L’homme pressé”. De la presse d’extrême gauche aux magazines people, Gabriel Attal a déjà gagné son surnom, emprunté au roman éponyme de Paul Morand. “Atermoiements” et “hésitation” ne font pas partie de son vocabulaire. Pourtant, ce tempo presto que le nouveau Premier ministre entend imprimer à l’action gouvernementale, les acteurs du monde énergétique l’attendent encore. En témoigne la saga de la programmation pluriannuelle de l’énergie et du projet de loi censé la préparer, dit de souveraineté énergétique… qui n’en finit pas de ne pas sortir. De quoi parle-t-on ? De rien de moins que la mise en musique du fameux slogan répété à l’envi depuis des mois : faire de la France “le premier pays à sortir des énergies fossiles”, objectifs chiffrés et délais à l’appui.

A l’évidence, le remaniement et, surtout, le retour de l’énergie dans le giron de l’industrie après quinze ans d’exil au ministère de la Transition écologique, ne facilitent pas un processus fluide. Rien d’étonnant à ce que le nouveau ministre chargé de l’énergie, Bruno Le Maire, veuille imprimer sa marque sur un texte attendu. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est qu’il semblerait que la dernière mouture du texte soit vidée de ce qui en formait le fondement même. Cette grande loi devait être à l’énergie ce que la loi de programmation militaire est à la défense – des ambitions, des programmes, des budgets. Or, tout le volet programmatique de la loi a sauté, y compris les objectifs de production énergétique, du nucléaire comme des renouvelables. Voilà qui est peu courant dans un pays où les crises se règlent à coup d’”un chèque, une loi” – si possible une “grande” loi portant le nom du ministre qui la défend !

Cette coupe claire, Bruno Le Maire la justifie par la nécessité de prendre plus de temps pour “le travail de consultation”… qui dure pourtant depuis des mois. Et si la vérité n’était pas plutôt à chercher ailleurs ? Le fait est que cette programmation, longtemps attendue, tombe à contretemps : la France s’échine depuis des mois, à Bruxelles, à substituer à l’objectif de proportion d’énergies renouvelables prévu pour 2030 un objectif d’énergie bas carbone, qui laisserait chaque Etat membre libre de définir la part du nucléaire et celle des renouvelables. C’est un enjeu majeur de la discussion qui s’ouvre au sein de l’UE sur les objectifs climatiques et énergétiques pour 2040. Si Gabriel Attal est un homme pressé, Bruno Le Maire est un homme expérimenté. Le premier est, comme le héros de Morand, capable de s’ennuyer, “comme dans la grammaire allemande, à attendre le verbe”. Le second, à l’inverse, connaît bien l’allemand, et les Allemands : il sait que ce sujet est un irritant pour ceux auxquels, avec sa casquette de ministre de l’Economie, il doit faire avaler les couleuvres budgétaires de la France.

Et que dire de la filière nucléaire ?

La difficulté est qu’il est aussi ministre de l’Industrie. Or, toute l’industrie énergétique aimerait travailler dans un cadre clair et de long terme, d’autant que financer des projets bas carbone, très capitalistiques, est devenu un sport de combat dans un monde aux taux d’intérêt élevés. C’est le cas de la filière de l’éolien offshore, en train de se faire damer le pion par la Chine. Et que dire de la filière nucléaire ? Oui, le pouvoir exécutif continue de déclarer sa flamme à l’atome, mais, pour l’heure, l’industrie n’a aucune commande ferme, et, surtout, la politique de redéveloppement du nucléaire civil souffre d’hémiplégie. On parle beaucoup de réacteurs, mais où sont les nécessaires décisions sur les technologies du cycle du combustible ? Rappelons les mots du patron de l’Autorité de sûreté nucléaire, Bernard Doroszczuk, en décembre 2022, devant le Sénat : “Dans vos discussions, vous devez avoir une approche systémique […]. On ne peut pas séparer la production électronucléaire de l’aval ni de l’amont du cycle, ni non plus de la gestion des déchets. C’est l’ensemble du système qui doit faire l’objet d’une vision intégrée et d’une programmation.”

L’industrie de l’énergie est une industrie du temps long, mais, à force de temps lent, on accumule le temps perdu. Et celui-là ne se rattrapera pas.

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