Pourquoi la biologie du comportement humain n’est pas l’ennemie du progrès social

Pourquoi la biologie du comportement humain n’est pas l’ennemie du progrès social

D’où viennent les différences entre les hommes et les femmes ? A cette question, il existe généralement deux types de réponses. La première consiste à arguer que les différences entre les deux sexes sont exclusivement naturelles et que rien ni personne ne pourra y changer quoi que ce soit. La deuxième lui objecte qu’au contraire, les disparités entre les sexes ne sont que le produit de constructions sociales. Pour atteindre l’égalité, il suffirait de changer les représentations. Voilà qui nous plonge dans l’un des antagonismes les plus anciens de l’histoire de la pensée : l’opposition entre nature et culture.

Pour Stéphane Debove, docteur en biologie et psychologie de l’évolution de l’Ecole normale supérieure, ce débat est non seulement dépassé, mais il contribue à entretenir deux erreurs opposées : nier entièrement le rôle que jouent dans notre comportement soit l’acquis, soit l’inné.

Sur sa chaîne YouTube Homo Fabulus (31 000 abonnés), le chercheur devient vulgarisateur et tord le cou aux caricatures dont est la cible son champ de recherche, la psychologie évolutionnaire (une branche de la psychologie qui étudie comment les processus cognitifs, émotionnels et comportementaux humains ont été façonnés par la sélection naturelle à travers l’évolution).

Dans son dernier livre À qui profite (vraiment) la génétique ?*, Stéphane Debove s’adresse à tous ceux qui, comme l’indique le sous-titre “Pourquoi la biologie du comportement humain ne condamne pas le progrès social”, s’inquiètent des répercussions politiques de la biologie du comportement humain, définie comme “un ensemble de champs s’intéressant aux bases biologiques des comportements”. Ces recherches ne risquent-elles pas en effet d’empêcher tout progrès social ? Pour Stéphane Debove, rien n’est plus faux. En effet, cette crainte, compréhensible mais infondée, s’enracine dans la prégnance, dans l’imaginaire collectif, de cette opposition insidieuse entre social et biologique.

Les biologistes, écrit-il, n’adhèrent en aucun cas à un déterminisme génétique total, mais plutôt au consensus “interactionniste” : “comme tous les êtres vivants sont le résultat de gènes immergés dans des environnements, tous nos traits sont à la fois génétiques et environnementaux”.

Pour illustrer cette opposition, Stéphane Debove prend l’exemple du bronzage. Notre capacité à bronzer dépend de mécanismes codés par les gènes qui permettent la production de mélanine. Or les normes d’une société peuvent encourager ou non le bronzage, et un individu peut décider de s’exposer plus ou moins au soleil. Les facteurs biologiques et sociaux ne s’excluent pas, et la reconnaissance de l’influence des gènes n’implique pas l’impossibilité de changer notre degré de bronzage. Il est donc fallacieux d’affirmer, comme le font certains, que la biologie du comportement humain justifierait et renforcerait les stéréotypes sexués responsables d’inégalités et de discriminations. Pour Debove, l’existence de différences entre individus ne légitime en aucun cas la discrimination de ces derniers. Il rappelle ainsi, à la suite du philosophe écossais David Hume, qu’il est impossible de dériver des jugements éthiques à partir de simples faits empiriques, et qu’on ne peut pas déduire ce qui devrait être de ce qui est.

Cette confusion répandue, qui a des conséquences concrètes, nuit en réalité aux causes progressistes.

Par exemple, de nombreux mouvements féministes sont vent debout contre la biologie du comportement parce qu’elle suggère que la prééminence relative des hommes dans la sphère publique n’est pas seulement le fruit d’une construction culturelle et sociale, mais également le “produit de stratégies évolutives servant des intérêts reproductifs”, écrit-il. Autrement dit, si les hommes tendent à se concurrencer les uns les autres, c’est en partie pour attirer des partenaires, elles-mêmes privilégiant les hommes à statut élevé, mieux à même de protéger leur progéniture commune.

En ignorant ce fait pourtant documenté par la littérature scientifique, ces militants ne vont pas seulement à l’encontre de la “guillotine de Hume”, ils se privent d’une meilleure compréhension du phénomène qu’ils combattent et, par ricochet, d’un moyen d’inciter les individus à agir sur leur vie et d’améliorer l’efficacité des politiques publiques.

Espérons que cette contribution bienvenue de Stéphane Debove permettra de bousculer un débat public encore trop imprégné de constructivisme social, en donnant voix au chapitre à des travaux académiques souvent trop méconnus du grand public. Et de faire comprendre, une bonne fois pour toutes, que “les études en génétique ne vont pas faire perdre du pouvoir explicatif aux sciences sociales mais leur en faire gagner”.

*Stéphane Debove, À qui profite (vraiment) la génétique ? : Pourquoi la biologie du comportement humain ne condamne pas le progrès social, 173 pages, 11,90 euros.

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