Pourquoi le gouvernement devrait s’inspirer de la méthode Pompidou, par Nicolas Bouzou

Pourquoi le gouvernement devrait s’inspirer de la méthode Pompidou, par Nicolas Bouzou

Le cinquantenaire de la mort de Georges Pompidou a été peu célébré. Christophe Tardieu et David Lisnard ont publié un essai inspiré sur la modernité de l’ancien président (Les leçons de Pompidou, aux Éditions de l’Observatoire) ; Michaël Miguères et Pierre Manenti ont organisé à l’Assemblée nationale un colloque où sont intervenues personnalités politiques et intellectuelles. En dehors de ça, pas grand-chose à noter.

Lors de ce colloque, le député de la majorité Benjamin Haddad observait même à regret qu’aucune personnalité politique ne se revendiquait de Pompidou alors même que la figure de De Gaulle était à l’origine de récupérations constantes, plus ou moins légitimes, parfois même par des gens qui n’hésiteraient pas à jeter la France dans les bras de la Russie comme Pétain a vendu notre pays à l’Allemagne.

Indépendance et puissance

Tirer des leçons de l’ère pompidolienne pour aujourd’hui doit se faire avec prudence. La société a changé. L’émergence de l’Asie, l’islamisme, l’économie de l’endettement, l’arrivée des chaînes d’infos en continu et des réseaux sociaux ont profondément influencé la nature des défis auxquels nous faisons face comme le cadre public dans lequel s’exerce la politique. Il y a pourtant trois éléments de méthodes de Pompidou qui restent valables et auxquels nos dirigeants feraient bien de réfléchir.

Le premier relève du sens donné à la politique. La politique industrielle volontariste ou la politique budgétaire précautionneuse menées sous l’ère Pompidou n’avaient pas seulement la prospérité en ligne de mire mais aussi une certaine idée de la France et du rôle qu’elle devait jouer dans le monde. Pour Pompidou comme pour son prédécesseur, des finances publiques en ordre étaient une condition de l’indépendance, de la crédibilité, de l’influence et donc de la puissance. Aujourd’hui, la politique économique est “dé-finalisée”. On “avance”, on “réforme”, on “modernise” sans savoir pourquoi. Ce défaut est encore plus visible au niveau européen. L’Union européenne se vit toujours comme un marché à défendre, sans avoir de conscience de son rôle dans le monde. Si tel était le cas, son premier acte politique en matière d’intelligence artificielle (l’IA Act) n’aurait pas été un mouvement de stricte régulation mais de soutien au développement de ce secteur.

Vision à dix ans

Le deuxième enseignement de Pompidou est la nécessité de relever le nez pour voir loin. De fait, nos gouvernants passent leur vie à gérer les urgences et à régler les problèmes du jour, voire d’hier. Seulement, les questions d’innovation, d’éducation, de finance publique exigent de voir à cinq ou dix ans. D’où l’importance d’avoir une vision – en quoi l’on en revient au premier enseignement – qui ancre une politique dans une direction. Prenons un exemple concret. Le gouvernement vient d’annoncer une série de mesures pour améliorer l’accès des Français aux soins : taxe “lapin”, prescription de certains antibiotiques par les pharmaciens, expérimentions pour permettre à nos concitoyens d’accéder directement à certains spécialistes. Très bien. Ces mesures vont dans le bon sens. Mais elles ne s’inscrivent pas dans une vision de notre système de santé. On répare le système du XXe siècle, sans jamais réfléchir à ce qu’est la santé au XXIe siècle, à l’ère des biotechnologies et de l’intelligence artificielle.

Politique de l’offre décomplexée

Le troisième enseignement de Pompidou commande de s’attaquer à la racine des problèmes plutôt qu’à leurs conséquences. Comme en a témoigné son conseiller industriel Bernard Esambert, Pompidou savait que le développement économique et social de la France trouvait sa source dans les entreprises, raison pour laquelle il a conduit une politique de l’offre décomplexée. Loin de l’image d’Epinal des grands programmes industriels, Esambert raconte que Pompidou aimait recevoir des patrons de PME, qu’il écoutait attentivement pour leur faciliter la vie (le fameux “arrêtez d’emmerder les Français”).

Le résultat, c’est que, de 1969 à 1973, les performances économiques de la France ont surpassé la moyenne de celles des pays développés et l’industrie et le commerce extérieur se sont épanouis. Un Etat à sa place et bien géré et la liberté économique au service de grandes ambitions : des idées simples et éternellement pertinentes.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères

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