Pourquoi les ruptures amoureuses font-elles si mal ? Les réponses de la science

Pourquoi les ruptures amoureuses font-elles si mal ? Les réponses de la science

Inondé par les eaux boueuses du chagrin, il arrive que le cœur se mette à gonfler. L’organe cesse alors de battre et se fige dans une forme ovale, rond au centre, pointu à l’extrémité. Un syndrome, équivalent biologique du “cœur brisé”, que les médecins japonais, les premiers à l’avoir décrit, désignent par ces quelques mots : “Tako-tsubo”. C’est le nom de ces jarres que les pêcheurs de l’archipel jettent aux océans pour appâter les céphalopodes. Ovales, rigides et creuses, elles aussi.

Ces cœurs “pièges à poulpe” que l’on dessine dans les comptes rendus médicaux depuis la fin des années 1970, le montrent : dans les cas les plus extrêmes, il est possible de mourir d’une peine amoureuse, l’un des stresses susceptibles de déclencher un Tako-tsubo. Amants naïfs, qui soupent ce mercredi pour célébrer la Saint-Valentin prenez donc garde : l’amour, le vrai, celui qui remplit les jambes de coton, laisse un vide des plus encombrants lorsqu’il s’en va.

L’autre claque la porte et c’est tout un monde qui se retrouve à la rue. En plus d’anéantir les projets communs, la rupture et la solitude qui l’accompagne mettent un terme à la tempête de dopamine et d’opioïdes naturels qui donne cette fougue à l’idylle bourgeonnante. Sans ces hormones, en pic au moment du béguin, fini l’euphorie. “On passe du paradis à l’enfer”, commente Donatella Marazziti, psychiatre à l’université de Pise, en Italie.

Le fascinant mystère de l’amour

Comme de plus en plus de scientifiques, la spécialiste se fascine pour la chimie de l’amour, et les bouleversement qu’elle entraîne dans le corps. Le phénomène reste étonnamment mystérieux aux yeux de la science, malgré les avancées de la neurologie, et ses scanners de plus en plus performants. “Nous ne sommes qu’au début de l’aventure”, reconnaît la spécialiste, auteur d’une revue de littérature sur le sujet, publiée dans la revue Advances in Experimental Medicine and Biology en 2021.

Mais les scientifiques s’accordent tout de même sur une chose : le sentiment amoureux correspond à une impulsion physiologique, au même titre que la pulsion sexuelle ou certains mécanismes parentaux. La construction sociale ne fait pas tout. Voilà pourquoi cet “état de conscience altéré”, comme disent les savants, est décrit dans quasiment toutes les sociétés, comme le rapportait dès les années 1990, l’anthropologue américaine Helen Fisher, grande spécialiste de la romance.

Depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale dans les années 2000, les chercheurs s’échinent donc à démêler les différentes réactions à l’origine de cet irrésistible élan. Un casse-tête, tant le phénomène est complexe, intriqué. Pour simplifier l’équation, deux périodes sont souvent distinguées : celle du romantisme, le pouls qui s’accélère, les tremblements, les pensées intrusives, l’obsession. Et celle de l’attachement, plus tardif, plus subtil, mais tout aussi délicieux. Dans ce dernier cas, c’est surtout l’ocytocine et les vasopressines qui interviennent, entre autres.

S’accoutumer à l’extase

On passe généralement de l’un à l’autre, d’un “stress” ou d’une “peur” – c’est à ça que ressemble l’amour sur le plan anatomique – à une sensation de complétude : “La phase romantique ne dure en moyenne qu’entre 6 mois et deux ans, puis s’estompe pour laisser place au plaisir stable et suave du compagnonnage amoureux”, précise Donatella Marazziti. Tout se passe alors comme si l’on s’accoutumait à l’extase. Si bien que certains chercheurs osent désormais comparer la pesanteur de la rupture à un “sevrage”.

Il faut dire que, comme les stupéfiants, l’amour remodèle le cerveau. Drastiquement : “Les changements sont plus importants que ceux qui préparent au comportement maternel durant la grossesse, c’est dire, reprend Donatella Marazziti. L’amour nous change à tel point qu’il est possible de différencier un cerveau amoureux d’un autre rien qu’avec l’imagerie médicale.” A l’IRM, le cerveau éperdu scintille autrement que celui qui n’a jamais connu pareille sensation.

Parmi les zones les plus “modifiées” figure notamment l’aire tegmentale ventrale. Une zone liée à des comportements primaires, comme le fait de boire lorsqu’on a soif ou de manger lorsqu’on a faim. Ces études, menées entre autres par Lucy Brown, grande spécialiste de la biologie des émotions à l’Einstein College of Medicine (New York) sont encore balbutiantes. Difficile d’interpréter exactement ce que l’on voit à l’image. D’autant que les scanners sont réalisés sur un nombre restreint de personnes. Mais ces résultats suggèrent que l’amour peut prendre la forme d’un besoin.

Un besoin, quasiment une addiction

L’idylle reconfigure également le système de récompense, la motivation, le plaisir. Des modifications durables, même en l’absence de stimulation de l’être aimé, et “analogues” à celles engendrées par la toxicomanie, peut-on lire ici et là dans la littérature, comme dans cette étude à partir d’IRMs d’amoureux, publiée en 2020 dans Brain Imaging Behavior. Rompre peut donc profondément perturber le fonctionnement cérébral. Au point de céder à la folie : l’aire tegmentale ventrale est aussi associée à certains troubles psychiatriques.

Les déceptions amoureuses activent aussi les circuits du “craving”, cette envie irrépressible de consommer à nouveau les substances qui nous ont rendu accro. C’est ce qu’explique par exemple cette étude publiée en 2010 dans Journal of Neurophysiology. Le rejet semble par ailleurs être un facteur de risque de comportements addictifs : les mouches à fruit qui ne trouvent pas de partenaires sexuelles – ce qui se rapproche le plus d’une romance chez cet animal – ont tendance à boire quatre fois plus d’alcool que les autres, d’après une étude publiée en 2012 dans Science.

Ainsi, il n’est pas rare de lire dans la littérature scientifique des appels à s’inspirer des mécanismes amoureux pour combattre l’addiction. Comme dans cet article, publié en 2016 dans Frontiers in Psychology et signé par Helen Fisher elle-même. A l’instar de l’abus de substance, il arrive que certains amants poursuivent à corps perdu les premières euphories amoureuses. “Au point de tolérer des comportements agressifs de leur partenaire”, ajoute Donatella Marazziti. L’équivalent biologique des “relations toxiques”, en quelque sorte.

Des bienfaits qui durent

Tout le monde ne perd pas la raison ; la comparaison avec l’addiction a ses limites. De vieux amis peuvent finir si attachés l’un à l’autre qu’ils en deviennent amoureux. C’est aussi ça, l’amour, pas forcément un tourbillon. Et biologique ne veut pas dire obligatoire. Il est possible de ne pas ressentir grand-chose : difficile d’être stimulé lorsqu’on est en mauvaise santé, déprimé, ou addict. Enfin, l’amour dure, contrairement à l’extase artificielle. Les études, comme celle publiée dans Social Cognitive and Affective Neuroscience en 2011 montrent que ses bienfaits peuvent perdurer plus de 20 ans.

Tous ces travaux soulignent le poids de l’amour sur le corps. La raison n’y peut alors pas grand-chose. Tourner la page d’une relation demande bien plus que de la bonne volonté et une volée de “tu verras, ça va aller”. Lorsque les poulpes trouvent la bonne amphore, au gré de leurs pèlerinages au fond des océans, ils ne la quittent plus. Ils s’y accrochent de toutes leurs forces, même bringuebalés par les bateaux de pêche. Comme s’ils ne pouvaient plus s’en détacher. Seule solution pour séparer les céphalopodes de leur cocon, et espérer en faire une salade : les y arracher.

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