Présidentielle russe : Poutine et les trois candidats fantoches

Présidentielle russe : Poutine et les trois candidats fantoches

Ce dimanche, Vladimir Poutine sera réélu dès le premier tour président de la Fédération de Russie pour six nouvelles années. Nul besoin d’entretenir de faux suspens. La seule interrogation qui subsiste réside dans le pourcentage de voix que le Kremlin aura choisi d’accorder à son autocrate. 71,9 % en 2004, 64,3 % en 2012, 77,5 % en 2018 ; le résultat devrait avoisiner ou peut-être même dépasser les 80 % cette année.

Dans les urnes, les Russes auront en tout cas officiellement bien le choix entre quatre candidats. Aucune voix critique du pouvoir, évidemment, et notamment à propos de l’invasion de l’Ukraine ou de la dérive totalitaire toujours plus oppressante dans le pays. Les candidats trop dérangeants ont ainsi été évincés du scrutin, avec le dernier espoir incarné jusqu’à fin février par Boris Nadejdine, peu à peu devenu une figure d’opposition trop menaçante et pouvant ternir la grande victoire souhaitée par le Kremlin.

Hormis le futur vainqueur, Vladimir Poutine, trois courtisans du pouvoir ont ainsi été autorisés à se présenter : Léonid Sloutski, Nikolaï Kharitonov et Vladislav Davankov. En dépit de leurs étiquettes partisanes affichées (nationaliste, communiste, libéral), ces derniers se démarquent surtout pour savoir qui saura le mieux flatter au mieux l’autocrate du Kremlin. Tour d’horizon des candidats fantoches du scrutin qui s’est ouvert ce vendredi.

Léonid Sloutski, le nationaliste et serviteur du Kremlin

Il fut le premier candidat officiellement autorisé à se présenter face à Vladimir Poutine. “Face” n’est peut-être pas le bon mot, tant Léonid Sloutski est un enthousiaste et fervent soutien de l’autocrate russe. Dès l’officialisation de sa candidature, Sloutski, président du Parti libéral-démocrate de Russie, a annoncé la couleur. “Je ne vais pas appeler à voter contre Poutine. Voter pour Sloutski et voter pour le LDPR, ce n’est absolument pas voter contre Poutine”, avait-il confié à la presse russe. Parmi le florilège de ses déclarations, l’homme de 56 ans a notamment assuré qu’il n’enlèvera “pas de voix au président de la Russie”, a insisté sur “la consolidation de la société autour de Vladimir Poutine qui est absolument sans précédent”, et a confié “rêver d’une victoire de notre opération militaire [en Ukraine], pas d’une victoire face à Poutine”.

Député à la Douma depuis 1999 – dont il est également le président de la Commission des affaires étrangères -, Sloutski est un soutien dévoué de l’invasion russe de l’Ukraine, et d’à peu près tout ce que fait Vladimir Poutine. Il fut notamment parmi les personnalités russes sanctionnées par les Etats-Unis et l’Union européenne après l’invasion de la Crimée en 2014. Et pour parachever son CV, Léonid Sloutski est également accusé de harcèlement sexuel par plusieurs femmes journalistes russes. Des accusations qui n’avaient donné lieu à aucune enquête de la part du pouvoir russe, et qu’il a de son côté toujours démenties.

Cette fidélité à toute épreuve à l’égard du pouvoir lui vaut les bonnes grâces du Kremlin, qui pousserait d’ailleurs pour faire de lui le dauphin de cette élection. C’est en tout cas ce qu’affirmait le journal indépendant russe Meduza début janvier, citant plusieurs sources au cœur du pouvoir russe. Pour parvenir à ce but, pas forcément par une falsification des votes, mais une couverture médiatique qui s’est voulue très favorable à Sloutski. “Trouver une bonne histoire pour lancer sa campagne, le mettre en avant à la télévision, jouer avec son image sur les réseaux sociaux officiels du pouvoir”, affirmait ainsi une source auprès du média indépendant.

Mais cette mission pourrait s’avérer bien complexe en raison… du “manque de charisme” du candidat, des mots de plusieurs officiels cités par Meduza. Aider Sloutski à atteindre la deuxième place sera “difficile” et même “proche de l’impossible”, affirmait même une source gravitant autour de la présidence russe, ajoutant qu’il n’était “pas du tout éloquent”. Ce dernier point est pourtant bien plus souvent une qualité qu’un défaut aux yeux du Kremlin, afin de toujours davantage valoriser son leader suprême.

Nikolaï Kharitonov, le vieux briscard communiste

D’ordinaire, la deuxième place aurait presque dû lui revenir d’office. Âgé de 75 ans et agronome de formation, Nikolaï Kharitonov est le candidat du Parti communiste de la fédération de Russie. Un bord politique représenté à chaque élection depuis la chute de l’URSS, et qui est d’ailleurs systématiquement arrivé en seconde place du scrutin présidentiel russe depuis 1991. Kharitonov avait lui-même d’ailleurs déjà été candidat il y a 20 ans, en 2004, où il avait recueilli 13,8 % des voix.

Contrairement à ce que son étiquette politique pourrait laisser penser, le président du Parti communiste est loin d’être en opposition à Vladimir Poutine. Gradé colonel du FSB dans les années 2000, lui aussi est un soutien indéfectible de l’invasion de l’Ukraine, où l’un de ses neveux aurait même trouvé la mort en juillet dernier. Nikolaï Kharitonov se garde bien de critiquer trop directement la politique mise en œuvre par le Kremlin. Il a notamment axé sa campagne en défendant une politique soutenant une hausse de la natalité et d’une plus grande nationalisation des moyens de production, deux thématiques largement défendues par le pouvoir en place. A la Douma, bien que siégeant officiellement dans l’opposition, le Parti communiste reste ainsi un soutien fidèle du parti de Vladimir Poutine, Russie Unie.

Un échange avec Nikolaï Kharitonov, rapporté par la BBC, retranscrit parfaitement la frilosité du candidat à mener sa propre campagne. “Pourquoi pensez-vous que vous seriez un meilleur président que Poutine ?”, lui demande le journaliste Steve Rosenberg. “Ce n’est pas à moi de le dire. Ce ne serait pas correct”, répond alors Kharitonov. “Mais pensez-vous que votre programme est meilleur que celui de Poutine ?” poursuit le reporter. “C’est aux électeurs d’en décider”, rétorque le candidat communiste.

“Mais qu’en pensez-vous ?”, insiste toujours le journaliste britannique. “Ce que je pense n’a pas d’importance. C’est aux électeurs de décider”, clôt alors Kharitonov, ajoutant que Vladimir Poutine “tente de consolider la nation en vue d’une victoire dans tous les domaines. Et c’est ce qui va se passer !”

Vladislav Davankov, vrai ou faux espoir des anti-guerre ?

Dernier candidat en lice, Vladislav Davankov, est le benjamin de cette élection. A 40 ans, celui qui fut d’abord homme d’affaires est devenu député à la Douma en 2021, pour le parti “Nouveau Peuple”. Sur les questions économiques, celui-ci assure porter une vision libérale, plaidant pour davantage de libertés pour les entreprises, un allègement des démarches administratives, ou encore une accélération de la modernisation du pays. Il appelle également à revenir en arrière sur l’interdiction du réseau social Instagram dans le pays, depuis 2022. Il s’est aussi présenté à la mairie de Moscou en 2023, où il avait obtenu 5,3 % des voix.

Mais c’est bien sur le sujet de la guerre en Ukraine que Vladislav Davankov se distingue très légèrement de ses concurrents. Dans un premier temps, son parti politique “Nouveau Peuple” fut le seul à ne pas avoir soutenu la reconnaissance des républiques de Donetsk et de Lougansk au début de l’invasion de l’Ukraine, avant de finalement se rétracter et rentrer dans le rang. Le candidat multiplie également les interventions plus ambiguës sur ce sujet, expliquant successivement vouloir être “pour la paix et les négociations en Ukraine” mais “à partir de nos conditions”, appelant à normaliser les relations avec l’Ouest, ou encore plaidant dans son programme pour la fin de la “persécution des dissidents et de la censure idéologique”.

Davankov fut également le seul candidat à officiellement soutenir la candidature de Boris Nadejdine – qui s’était ouvertement opposé à l’invasion de l’Ukraine et qui fut finalement empêché de se présenter par le Kremlin -, plaidant en faveur du pluralisme politique, et lui accordant même sa signature pour qu’il puisse se présenter pour le scrutin.

Opposant sincère à Vladimir Poutine ou simple marionnette du Kremlin ? Les avis sont partagés au sein même de l’opposition russe en exil. Ainsi, pour Maxim Katz, dissident très populaire sur les réseaux sociaux, Davankov serait le candidat le plus cohérent pour adopter le principe du “n’importe qui sauf Poutine”, une stratégie récurrente de la (vraie) opposition russe visant à soutenir le candidat le mieux placé dans toutes les élections face au parti du maître du Kremlin.

Un point de vue auquel s’oppose fermement Leonid Volkov, un membre influent du clan Navalny. “Il a encouragé l’annexion de la Crimée, il a voté pour l’annexion des régions de Donetsk et de Lougansk. C’est l’un des criminels de guerre, ni meilleur ni pire que Poutine, Sloutski ou Kharitonov”. Ajoutant également que “si nous encourageons tout le monde à voter pour lui, il ne gagnera pas deux pourcents, mais six pourcents. Et l’administration dira fièrement : ‘Voici tous vos votes anti-guerre’.”

Davankov est également critiqué pour avoir joué un rôle important dans une législation visant à interdire la transition de genre en Russie, signe de la répression toujours plus forte en Russie à l’égard de la communauté LGBT. Son parti politique “Nouveau Peuple” est aussi régulièrement accusé d’être une coquille vide alimentée par le Kremlin pour essayer d’affaiblir et diviser le soutien au camp Navalny. Autant dire que même si certains sondages l’annonçaient ces derniers jours en deuxième position de l’élection, on sera bien loin d’une grande victoire de l’opposition à Vladimir Poutine.

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