“PSG Confidential” : vol de documents, services secrets… Le club parisien, repaire de “barbouzes”

“PSG Confidential” : vol de documents, services secrets… Le club parisien, repaire de “barbouzes”

Les articles journalistiques pullulent sur le PSG, ses stars, son recrutement, son schéma tactique et sa stratégie sportive. Laurent Valdiguié, grand reporter à Marianne, et François Vignolle, coordinateur des enquêtes du groupe M6, ont choisi d’aller voir ailleurs, dans les coulisses politiques du club de football et de son propriétaire, l’émirat du Qatar. Et c’est passionnant. Dans PSG Confidential (Robert Laffont), on retrouve un Nicolas Sarkozy hyper-influent, “président bis” derrière l’inébranlable Nasser al-Khelaifi. On découvre surtout des luttes d’influence insoupçonnables, batailles homériques pour convaincre le gouvernement de valider un transfert, pour assister à un match dans les loges VIP du Parc des Princes, véritables ambassades du Qatar à Paris, ou pour obtenir de la mairie de Paris la vente du mythique stade.

Pendant plusieurs années, le PSG a surtout été infiltré par d’étranges officines. Une enquête policière a mis au jour un réseau de renseignement privé, aux multiples ramifications. Un lobbyiste a lui été accusé d’avoir pactisé avec les services secrets des Emirats arabes unis, pour porter préjudice au Qatar, avant d’être lui-même détenu dans l’émirat. Extraits.

Ministère de l’Intérieur miniature

Des policiers du renseignement, de la sécurité publique se sont assis, quelques années durant, aux premières loges du Parc. Car Malik Naït-Liman, ancien de la Direction générale à la sécurité intérieure (DGSI), à l’époque “référent supporter” du PSG version qatarie, les y aurait conviés.

Une vaste enquête, ouverte en juillet 2021, menée par trois juges d’instruction, cherche à établir si cet ex- agent du renseignement aurait remercié en places ou en goodies une quinzaine de policiers qui auraient pu fournir des informations sur des “ennemis du PSG”. Des adresses, des états civils, des casiers judiciaires, contre la promesse de voir jouer Mbappé et Neymar, assis au meilleur endroit ? Une activité totalement illégale, baptisée, dans le jargon policier, “la tricoche”.

Dans une synthèse de cinquante-sept pages, la DGSI et l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), saisies pour une enquête judiciaire, indiquent que Malik Naït-Liman aurait pu mener des “missions spéciales”… à la demande de Nasser al-Khelaïfi. Sous le sceau de l’anonymat, un ancien cadre du club y affirme même que NAK validait en personne la liste des invités du carré “du premier au dernier rang”.

Le mis en cause a toujours nié de quelconques barbouzeries mais dit avoir fourni des places à des collègues avec qui il avait développé des rapports au fil des années, et ce, sans aucune contrepartie.

Qui au PSG était au courant que des membres de la police avaient investi cet espace ? Le carré aurait-il été non seulement un réseau d’influence, mais aussi un repaire de barbouzes ?

“J’ai été un tocard”

[…] “Moi, j’étais une petite main qui n’avait pas conscience de ce qu’elle faisait et pourquoi. J’ai été crédule. Maintenant je prends conscience de tout ça et je me dis : mais pourquoi ? J’ai été un tocard.”

Ce 27 septembre 2022, Malik Nait-Liman accuse le coup. Il est 19 h 30, sa quatrième audition de garde à vue s’achève. À la fin de la deuxième, la veille, l’ancien policier a lâché une autre phrase lourde de sens, comme pour résumer ces heures de face-à-face tendu avec d’anciens collègues : “Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de sollicitations que j’ai reçues. Mais quand ça émanait du président Nasser al-Khelaïfi, je ne pouvais pas refuser. C’est impossible de refuser. J’avais peur de me faire virer. Vous ne savez pas comment il traite les gens.”

Viré, Malik Nait-Liman vient de l’être. Depuis le 15 septembre 2022, cet ancien flic dont le rêve de gosse a toujours été de “travailler pour le PSG” est devenu un paria. À double titre. De la police et du club, ces deux anciennes familles qu’il chérissait.

Et le voilà au centre d’une enquête tentaculaire dans laquelle se mélangent des soupçons de corruption, d’espionnage et de barbouzeries en tout genre.

Lors des auditions, il doit jongler avec une foule de sujets, autant d’éléments retrouvés dans ses ordinateurs, ses téléphones ou son dictaphone.

Il est question de dossiers montés de toutes pièces pour éliminer des rivaux, de documents glanés dans des enquêtes judiciaires, d’écoutes téléphoniques, de sonorisations sauvages, d’enregistrements clandestins, et même de vidéos intimes.

Enregistrements

Un invraisemblable bric-à-brac dont le point commun est de se dérouler dans les coulisses du club parisien, là où Malik Nait-Liman est soupçonné par les policiers d’avoir composé une sorte de ministère de l’Intérieur miniature, avec opérations de renseignement, retours d’ascenseur, coups tordus. Une enquête sur l’épouse d’un diplomate qatari, soupçonnée d’avoir par le passé travaillé comme escort girl, aurait même été planifiée !

[…] Autre découverte de l’enquête, Malik Nait-Liman avait l’habitude d’enregistrer certains interlocuteurs. Comme cette fois où il se renseigne auprès d’un de ses contacts sur “les activités nocturnes des joueurs”… Entrons donc dans le détail. D’après la DGSI, ce jour-là, son interlocuteur, un supporter, lui raconte “les boîtes de nuit que fréquentaient les joueurs de l’équipe, qui fournissait de la drogue et des prostituées, ainsi que les rémunérations des joueurs pour se rendre dans tel ou tel établissement”. Interrogé, Malik Nait-Liman répond avoir remis une note à son supérieur, Michel Besnard, à ce sujet. Prudents dans l’écriture de leur rapport et sur la véracité de ces déclarations, les policiers se gardent de livrer les noms et les détails de cette conversation.

Qui serait de la dynamite si les faits étaient avérés. Ils notent aussi un autre enregistrement où il serait question d’une mystérieuse “sphère d’influence” “au sein du club, avec “des gens au service des achats” et “tout un système mis en place””… Là encore, si c’était exact, quelle ambiance !

Les hommes de la DGSI ne s’arrêtent pas au seul cas PSG dans l’enquête à ramifications qu’ils mènent depuis qu’ils ont mis au jour la vaste documentation de Malik Nait-Liman. D’autres dossiers les intriguent.

Dont ils dressent une liste pour le moins impressionnante. Où il est question d’un ancien journaliste du Canard enchaîné qui aurait mené des investigations sur la vie privée de Valérie Trierweiler, l’ancienne compagne de François Hollande ; d’un richissime homme d’affaires saoudien qui aurait versé à un ex-ministre de la Santé socialiste des commissions en marge d’un projet de l’institut Pasteur à La Mecque ; des dessous de l’affaire Lafarge, le cimentier français aux prises avec la justice pour des faits de financement du terrorisme après avoir laissé tourner une cimenterie en Syrie20, dans la zone d’influence de Daesh. Que faisaient tous ces fichiers dans les archives de Malik ? À quoi servaient-ils ? Sur quoi reposaient-ils ? Du vrai, du faux, du vent, du partiel, du partial ? Un fourre-tout.

L’affaire Benabderrahmane

[…] Dans l’ombre du PSG, un homme risque sa tête. Il se nomme Tayeb Benabderrahmane. Mais tout le monde l’appelle “Tayeb” par proximité pour les uns, par facilité pour les autres.

C’est l’un des personnages les plus secrets, et probablement le plus sulfureux de l’histoire du PSG. Dans son sillage, loin des terrains de foot, il est question d’espionnage et d’affaires d’Etat. “On me qualifie souvent de bombe atomique mobile”, dit-il en souriant, installé dans le salon d’un hôtel de la porte de Clichy, juste en face du tribunal judiciaire parisien.

Soucieux de son image et de sa réputation, Tayeb Benabderrahmane a créé un site internet à son nom… et à sa gloire. Dans un style hagiographique, il s’y présente comme “un entrepreneur, investisseur, philanthrope et consultant international”. “Son influence et son action transcendent les frontières géographiques et culturelles”, annonce le texte d’autopromotion.

Un portrait flatteur qui tranche avec celui du “criminel” recherché par le Qatar, qui l’a condamné à mort !

À ses côtés, deux autres hommes sont promis au peloton d’exécution. Eux aussi, apprenant la sentence à Paris, sans jamais avoir su qu’ils étaient jugés à Doha, sont tombés des nues.

Zouhir Boudemagh, un homme d’affaires franco-algérien, se dit étranger aux histoires du PSG et du Qatar. Il affirme avoir découvert avec stupeur sa condamnation à mort.

Le troisième condamné à la peine capitale se nomme Hicham Karmoussi. Ancien majordome marocain de Nasser al-Khelaïfi, son homme de confiance même, lui aussi a pris connaissance après coup de la sentence de la justice qatarie. Avec effroi.

“Fusillés jusqu’à ce que mort s’ensuive”

Dans un jugement daté du 31 mai 2023, les trois hommes ont en effet été condamnés “à être fusillés jusqu’à ce que mort s’ensuive”, accusés d’avoir tenté “de saboter la Coupe du monde de 2022” et de “conspiration avec un Etat étranger”, en l’occurrence, les frères ennemis du Qatar, les Emirats arabes unis.

Un jugement du Conseil suprême prononcé au nom de “Sa Majesté le sheikh Tamim Bin Hamad al-Thani”.

Depuis leur condamnation à mort, Benabderrahmane, Boudemagh et Karmoussi évitent tout simplement de prendre l’avion et de passer une frontière. Par peur d’une fiche Interpol et d’un mandat d’arrêt international délivré par Doha qui entraîneraient leur arrestation.

Mais comment ce trio s’est-il retrouvé dans un si mauvais roman d’espionnage ?

Valise de documents

[…] En octobre 2017, des policiers de l’office anti-corruption hexagonal, accompagnés de magistrats du Parquet national financier, perquisitionnent dans les locaux de beIN à la recherche de documents sur les droits médias de plusieurs Coupes du monde, en Russie, au Qatar et aux États-Unis. Dans ce dossier, Jérôme Valcke est “soupçonné d’avoir accepté des avantages indus en lien avec l’octroi de droits médias dans certains pays”, notamment la location d’une villa en Sardaigne.

Hicham Karmoussi se souvient de cette perquisition comme du début des ennuis judiciaires de son patron. “Ce jour-là, j’ai reçu un appel d’une personne qui m’a dit que NAK demandait que je fasse le ménage en urgence dans son appartement, de peur que la police ne vienne perquisitionner cet endroit.” Nasser étant en déplacement au Qatar, son fidèle Karmoussi s’exécute à la hâte. Il remplit trois grosses valises noires de marque Tommy, rassemblant tout ce qu’il trouve dans chaque pièce de l’appartement. Et il prend les documents conte- nus dans le coffre de la chambre du président du PSG. Seul problème, à la fin de ce grand ménage, les trois valises, pesant une quarantaine de kilos chacune, plus le matériel informatique, des iPad et des téléphones, ne rentrent pas dans sa Citroën DS4. Il ne peut en charger que deux sur trois.

“J’ai appelé Tayeb pour qu’il vienne récupérer la valise qui ne logeait pas dans la voiture”, se souvient l’ancien majordome. Pourquoi Tayeb ? Parce que ce dernier lui avait déjà donné “pas mal de coups de main”, assure Karmoussi. Une fois pour des travaux de peinture, une autre, pour la pose d’un parquet. Tayeb a toujours quelqu’un pour dépanner. Ne dirige-t-il pas aussi une société de déménagement, utilisée à plusieurs reprises par le PSG lors des arrivées de certains joueurs, comme pour le transfert des meubles de Thiago Silva ? Pas étonnant donc que Karmoussi l’appelle pour récupérer cette troisième valise qui ne rentre pas dans son véhicule !

Contenu brûlé

Avec les deux autres valises noires, Hicham Karmoussi se rend au domicile d’un ami journaliste en banlieue parisienne. Là, à l’abri des regards, le contenu est brûlé dans le jardin. “On avait déjà essayé dans la baignoire de l’appartement parisien de Nasser, mais ça faisait trop de fumée, c’était impossible”, nous dit-il. Il affirme avoir récupéré “cinq ou six téléphones” de NAK dans l’appartement à sa demande et en avoir conservé deux siglés “PSG” sur leur coque arrière.

La troisième valise, elle, se retrouve chez Tayeb. Un mois plus tard, ce dernier est prié de la ramener à NAK. Y a-t-il jeté un coup d’œil, ou même imprimé des copies de ce qu’elle contenait ? Impossible à dire. “Quand il l’a rendue, Nasser et moi, nous avons broyé à l’aide d’une machine tous les documents que contenait cette troisième valise”, indique Karmoussi. Tâche pour laquelle une broyeuse aurait été spécialement achetée.

Ce jour-là, Nasser al-Khelaïfi inspecte son appartement “nettoyé” et met la main sur une clé USB qui avait échappé au ménage de son majordome. “Il me l’a donnée en me demandant de la détruire, raconte Karmoussi. Je l’ai mise dans une poche de mon pantalon et je l’ai oubliée, jure-t-il. En rentrant au Maroc, ma femme, au moment de lancer une lessive, l’a retrouvée. Je l’ai rapportée à Paris et l’ai donnée à Malik qui en a fait une copie.”

Fin du premier épisode de 2017. Que contenait la clé remise à Malik ? “Des vidéos intimes”, croit savoir Karmoussi.

Négociations à 25 millions d’euros

[…] Selon l’acte d’accusation qatari, en 2018, Tayeb et Zouhir Boudemagh se rendent à Marbella, en Espagne. Devant un émissaire des Emirats arabes unis, le premier aurait prétendu détenir des documents compromettants, notamment sur les relations entre le Qatar et la Fifa, qu’il serait prêt à négocier. L’émissaire lui fait suivre deux billets d’avion pour Abu Dhabi. Voilà Tayeb et Zouhir dans un palace de la capitale des Emirats.

Un premier rendez-vous aurait été organisé dans une salle de réunion de l’hôtel avec trois hommes en civil qui ne se présentent pas mais appartiennent vrai- semblablement aux services secrets. D’après le même acte d’accusation des Qataris, Tayeb aurait proposé de vendre le téléphone de NAK contre vingt-cinq millions d’euros. Mais les émissaires auraient voulu s’assurer des “informations” contenues dans l’appareil avant de débourser le moindre centime.

À la réunion suivante, quarante-huit heures plus tard, Tayeb aurait persisté à refuser de montrer quoi que ce soit sans avoir l’argent. Et le trio d’émissaires aurait quitté la pièce au bout d’un quart d’heure. Et n’aurait plus jamais donné suite…

[Malik Nait-Liman, Tayeb Benabderrahmane, Zouhir Boudemagh et Hicham Karmoussi, dont il est question dans ces extraits, demeurent présumés innocents. Ils contestent un certain nombre des faits qui leur sont imputés.]

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