Rachat de Believe : les coulisses de la bataille qui agite l’industrie musicale

Rachat de Believe : les coulisses de la bataille qui agite l’industrie musicale

“Believe doit rester indépendant”. Son rachat aurait “des conséquences destructrices”. Le syndicat de producteurs et distributeurs indépendants UPFI ne mâche pas ses mots dans la tribune qu’il consacre au sort incertain du poids lourd français de la musique, Believe. Coté à Euronext Paris depuis 2021, le groupe souhaite aujourd’hui s’en échapper. Et ce projet commençait à prendre en forme autour de l’offre d’un consortium composé de son fondateur Denis Ladegaillerie, d’un investisseur actuel, TCV, et du fonds suédois EQT. Mais l’affaire s’est corsée, en mars, quand Warner Music Group (WMG) a fait part de son intérêt pour Believe, indiquant envisager une offre plus généreuse. “Un rachat par Warner serait un désastre”, estime Vincent Frerebeau, patron du label Tôt ou Tard, qui a produit Vianney, Yael Naim ou encore Vincent Delerm et dont Believe détient une participation minoritaire.

Que la bataille boursière autour de Believe provoque un émoi si vif est révélateur. Révélateur en premier lieu de la place qu’a prise Believe dans le monde de la musique. Si le groupe n’est pas très connu du grand public, il est le symbole d’une vraie success story française. En 2005, les Spotify et Deezer ne sont pas nés. L’industrie tire encore une partie écrasante de ses revenus de la vente de CD. Denis Ladegaillerie fait alors le pari de monter un groupe totalement focalisé sur la distribution de musique en ligne. A l’époque, personne n’y croit. Depuis, le rouleau compresseur du streaming est passé : 500 millions de personnes dans le monde sont désormais abonnées à ces plateformes, telles Spotify ou Deezer, qui donnent accès sur abonnement à un immense catalogue de titres. “Le streaming représente aujourd’hui 67 % des revenus de l’industrie musicale”, souligne Pierre Niboyet, directeur des relations avec l’industrie au sein de Music Tomorrow, cabinet de conseil spécialisé dans l’innovation musicale. La voie risquée empruntée par Believe s’est avérée l’autoroute du succès.

Le groupe a pris une avance technologique que ses concurrents peinent à rattraper. Il s’est même payé le luxe de remonter la chaîne de valeur, de la distribution à la production, en rachetant Naïve et en développant des labels maisons. “Believe propose désormais une offre très complète. Des services basiques de distribution pour les artistes qui veulent se promouvoir eux-mêmes – voire des amateurs que cela amuse de mettre un titre sur Spotify ou Deezer. Puis une offre plus riche pour les artistes qui commencent à prendre de l’envergure, et veulent être davantage accompagnés. Toutes les données dont Believe dispose lui permettent d’identifier des talents prometteurs, que le groupe et ses différents labels peuvent alors décider de produire”, souligne Joy Sioufi, partner chez GP Bullhound qui a conseillé Believe par le passé.

Believe, la “major” alternative

Avec ses 1 900 salariés, et son réseau d’experts dans plus de 50 pays, le groupe n’est plus une simple licorne française. “Believe est devenu un géant mondial de la musique, une sérieuse alternative aux trois majors”, souligne l’expert. Sa stratégie à l’international est d’ailleurs ingénieuse. “Ils se sont bien placés depuis plusieurs années sur les marchés émergents, particulièrement en Asie Pacifique et en Afrique qui pèsent pour 25 % du chiffre d’affaires et ont encore grandi de 15 % en 2023”, précise Pierre Niboyet.

Mais l’émotion provoquée par une possible offre de Warner sur Believe n’est pas que le reflet de l’envergure prise par le Français. Elle est aussi révélatrice du malaise dans lequel le monde de la musique se trouve aujourd’hui plongé. Après l’énorme claque du “Peer to Peer” et le boom de téléchargements pirates que cette technologie a suscité, les artistes se battent désormais pour survivre dans la jungle du streaming. Un système qui présente certains avantages, mais a fait voler leur modèle économique en éclat. Avant, les artistes devaient convaincre des producteurs de dépenser de l’argent pour enregistrer leurs CD et vinyles. “Aujourd’hui, tout le monde peut mettre de la musique en ligne sur Spotify. C’est à la fois enthousiasmant et infernal car vous êtes perdus dans une multitude de titres”, observe Vincent Frerebeau.

La temporalité a, elle aussi, radicalement changé. Historiquement, les artistes percevaient une part significative de leurs revenus dans les mois suivant la sortie de leur CD, voyant de fait très vite si ce dernier avait été un succès. Le système d’abonnement mensuel aux plateformes bouleverse tout cela. Ici, les revenus s’additionnent au compte-goutte, stream après stream. Avec des revenus qui se situent autour de 0,0035 centime d’euros l’écoute, il faut souvent plusieurs années pour cumuler les millions de streams qui rendront le projet rentable. “Il est devenu bien plus simple de diffuser sa musique, mais beaucoup plus dur d’en vivre”, résume François Welgryn, auteur de chansons et créateur du label InTenSe. L’industrie s’est, dans le même temps, fortement concentrée. “La petite dizaine de multinationales de la musique des années 1990 s’est réduite à 3 grosses entités”, pointe Vincent Frerebeau. Le trio Warner, Sony et Universal.

L’AMF tape du poing sur la table

Comme eux, Believe ne verse pas dans la philanthropie. Lorsqu’il fait le pari de produire un artiste, c’est qu’il y pressent un potentiel à exploiter. Et les musiciens trop “niche” trouvent, ici comme ailleurs, porte close. Alors que l’industrie a essuyé coup sur coup deux séismes numériques et voit déferler sur elle le tsunami de l’intelligence artificielle, avec ses fausses voix clonables en 15 secondes et ses mélodies programmables à l’envie, Believe présente, toutefois, un aspect rassurant pour les “petits”. “L’entreprise a fédéré des milliers d’indépendants, ce qui donne du poids à cette communauté lorsqu’elle doit négocier à la table des géants du streaming”, fait valoir le patron du label Tôt ou Tard.

Mais la Bourse est la Bourse, et l’affaire Believe rappelle qu’il faut en respecter les règles. Le consortium formé par Denis Ladegaillerie, TCV et EQT pour racheter Believe a des arguments à faire valoir. “A l’heure où les majors licencient, cette option offre de belles perspectives de développement à Believe dans le respect de ses équipes et de son indépendance. Elle a d’ailleurs le soutien du Comité social et économique, et d’actionnaires représentant 72 % du capital”, fait valoir une source proche de l’alliance. Il n’empêche : son modus operandi a fait lever quelques sourcils.

“Ils ont fait leur affaire entre amis, dans leur coin”, confie un analyste parisien. Le prix proposé de 15 euros par actions laisse les professionnels perplexes. “Le cours d’introduction de Believe en 2021 est de 19,50 euros. Le groupe assure avoir deux ans d’avance sur son plan d’affaires, ce qui semble en effet le cas. Dès lors, comment justifier un prix de sortie à 15 euros ?”, interroge Pascal Quiry, professeur de finance à HEC Paris et coauteur du Vernimmen, la “bible” des praticiens du secteur.

Fin février, quand Warner montre des marques d’intérêt pour Believe, le consortium tente même d’écarter l’importun en lâchant du lest sur l’une des conditions à son offre, histoire d’accélérer le processus. L’AMF tape alors du poing sur la table et impose au groupe d’ouvrir sa data room à Warner pour qu’il puisse prendre une décision éclairée. La major a jusqu’au 7 avril pour déposer son offre.

Des prix d’introduction en Bourse surestimés

“Il y a des raisons de penser qu’ils en feront une. Racheter Believe est cohérent pour un groupe comme le leur, vu ce que Believe propose et les synergies possibles entre les deux entreprises. Warner est une maison sérieuse, elle n’agiterait pas cette option par malice”, juge un professionnel du secteur. La partie promet d’être intéressante. Si Warner y va, il aura fort à faire pour convaincre les actionnaires. Et son offre sera examinée de près par les autorités de la concurrence. S’il jette l’éponge, le consortium devra sans doute améliorer sa proposition. Dès lors qu’un prix de 17 euros par action a été évoqué, il risque d’être difficile de convaincre tous les actionnaires que celui de 15 euros est adéquat.

“La séquence peut réveiller l’intérêt d’autres acteurs”, souligne également Jean-François Delcaire, le gérant du fonds HMG Découvertes. Quel que soit le vainqueur, la bataille autour de Believe rappelle en tout cas que la vie des pépites technologiques sur la place de Paris n’est pas un long fleuve tranquille. “La Bourse parisienne est toujours en mutation et dans une phase d’éducation des institutionnels sur les nouveaux modèles économiques d’entreprises technologiques telles que Believe”, souligne un expert. La remontée des taux d’intérêt a également changé la donne. “Actuellement, les petites et moyennes valeurs sont davantage sous pression”, observe Jean-François Delcaire

Pascal Quiry note de son côté que la place de Paris fait face à “un problème de fond”. “85 % des entreprises qui y ont été introduites depuis 2014 affichent aujourd’hui un cours inférieur à leur prix d’introduction, rappelle le professeur de finance. Ce qui laisse à penser que ce dernier est trop souvent surestimé. Le nombre d’acteurs bancaires est plus important chez nous qu’aux Etats-Unis. Cette concurrence accrue les incite sans doute à surpromettre des niveaux d’introduction, pour emporter le mandat. Les entreprises ont ensuite du mal à délivrer les résultats attendus”. Quand la haie est plus haute que celle de ses concurrents, difficile de franchir la ligne.

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