Réduire le déficit public : pourquoi les efforts du gouvernement risquent d’être vains

Réduire le déficit public : pourquoi les efforts du gouvernement risquent d’être vains

L’Histoire bégaie, y compris en matière de finances publiques. Lorsque Christian Eckert intègre le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le 9 avril 2014, en tant que secrétaire d’Etat au Budget, il se voit confier une mission pour le moins complexe : mener à son terme le plan d’économies de 50 milliards d’euros annoncé quelques mois plus tôt par le Premier ministre. Il hérite alors d’un certain nombre de tâches laissées inachevées par son prédécesseur, Bernard Cazeneuve, parti Place Beauvau. “Ce fut un moment difficile. Quand on maigrit, c’est simple au début, mais ensuite, il devient de plus en plus compliqué de perdre des kilos”, raconte l’ancien ministre. L’une des mesures alors mises en œuvre porte sur la réduction des dotations des collectivités locales. Une erreur, admet-il avec le recul. “On a raboté tout le monde, sans distinction, alors que l’on aurait mieux fait de réformer ces dotations avec plus de ciblage. Procéder de manière uniforme a provoqué beaucoup de dégâts.”

Dix ans plus tard, même combat. La confirmation par l’Insee, le 26 mars, du dérapage du déficit public à 5,5 % du PIB, contre les 4,9 % initialement prévus par Bercy, accentue un peu plus la pression sur l’exécutif qui continue de viser un retour sous les 3 % en 2027. D’après la Cour des comptes, il faudrait au moins 60 milliards d’euros d’économies pour y parvenir, autant dire une montagne. Et lorsqu’on est au pied du mur, rien de tel que d’invoquer de vieux serpents de mer pour détourner l’attention. Acculé par la dégradation des finances publiques, le gouvernement cherche donc des pistes, tous azimuts, pour sortir la France de la zone rouge.

Les collectivités locales ont bon dos

Anticipant l’officialisation de la sortie de route budgétaire, Bruno Le Maire avait appelé dès le début du mois de mars à mettre à contribution les collectivités locales. Un goût de déjà-vu. “En 1986, un rapport commandé par Charles Pasqua concluait que leurs dépenses évoluaient plus vite que celles de l’Etat et qu’il fallait les réduire”, se souvient Michel Bouvier, président de l’association pour la Fondation internationale de finances publiques (Fondafip). Sauf que le contexte a changé. En 2022, les collectivités ont dégagé un excédent de 4,8 milliards d’euros, après 4,5 milliards en 2021. Dans le même temps, le solde négatif de l’Etat a déraillé à 148,4 milliards d’euros, en hausse de près de 4 milliards d’euros. “Ce n’est pas simple. Globalement, les collectivités ne se portent pas si mal, elles vont même mieux que l’Etat. Mais leurs situations, localement, sont très diverses. Les taxer de manière indifférenciée n’est sûrement pas le bon choix”, juge un ancien haut responsable de la Cour des comptes.

Les collectivités, elles, voient cette offensive comme une menace pour leur autonomie fiscale et financière. Elles gardent en travers de la gorge la suppression de la taxe d’habitation et celle, progressive, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). “Ce ne sont pas les mairies qui ont demandé que la taxe d’habitation soit nationalisée. Depuis 2010, si l’Etat avait simplement respecté sa parole et n’avait pas modifié les mécanismes, 71 milliards d’euros auraient pu renflouer les caisses des collectivités, et l’Etat n’aurait pas eu à compenser”, pointe David Lisnard, le maire de Cannes et président de l’Association des maires de France.

Autre enjeu invoqué : le besoin de répondre aux enjeux de la transition énergétique. Lors de sa dernière coupe budgétaire, le gouvernement a réduit de 400 millions d’euros le montant du fonds vert – destiné aux collectivités locales – pour 2024. “Elles sont pieds et poings liés parce qu’elles dépendent beaucoup des dotations de l’Etat et n’ont que peu de ressources propres. Doit-on privilégier la soutenabilité des finances publiques au détriment du bon fonctionnement des communes, des départements et des régions ?”, s’interroge Michel Bouvier. “De plus en plus, l’Etat met sous tutelle les collectivités. Plus il a grossi, plus il leur a enlevé de l’autonomie, moins il a été efficace et plus les comptes se sont dégradés”, assure de son côté David Lisnard.

Si le gouvernement laisse la porte ouverte au dialogue, il semble, à en croire les récentes déclarations d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire, bien décidé à pousser ses pions. Le bras de fer pourrait alors s’installer. “LR est marginalisé sur le plan national, mais il a encore un pouvoir local. Je ne vois pas ce qui pourrait les conduire à faire des fleurs au gouvernement, de même pour le PS qui a des places fortes dans les territoires”, juge un expert des finances locales. Le débat politico-comptable ne fait que commencer.

Les opérateurs d’Etat, usual suspects

En juillet dernier, Bruno Le Maire avait sonné la première charge. Quelques semaines avant de se plonger dans le projet de loi de Finances pour 2024, le ministre de l’Economie annonçait sa volonté de récupérer 2,5 milliards d’euros dans la trésorerie excédentaire de certains opérateurs d’Etat, dont Pôle emploi – désormais renommé France Travail -, le CNRS ou encore les agences de l’eau. C’est désormais aux budgets même de ces organismes, auxquels est confiée une mission de service public, que l’exécutif souhaite s’attaquer.

Le locataire de Bercy leur a ainsi donné un mois pour faire leur propre revue des dépenses et proposer ensuite des coupes budgétaires. Si le résultat n’est pas satisfaisant, le ministre se réserve le droit de prendre les mesures nécessaires. “Quand on veut leur prendre de l’argent, on les accuse de tous les maux, d’être trop nombreux, trop laxistes. Il faut plaider l’inverse. Historiquement, les opérateurs ont pris de l’importance en raison des déficiences des ministères”, rappelle un ancien cadre du ministère des Finances. Surtout, cette injonction devrait, en réalité, devenir la norme. “Ce serait tout à fait normal, sous l’angle de la démocratie, que l’on procède à une évaluation régulière de ces opérateurs”, estime Michel Bouvier, de la Fondafip. Mais pourquoi se réveiller seulement maintenant ? “De manière générale, on aurait pu faire des économies depuis trente ans. Cela renvoie à la responsabilité de nos gouvernants”, reproche François Ecalle, président de Fipeco et ancien magistrat de la Cour des comptes.

Encore un tour de vis sur l’assurance chômage

Depuis son arrivée à Matignon, il ne s’en est jamais caché : Gabriel Attal veut durcir encore d’un cran les règles de l’assurance chômage, thème récurrent de l’exécutif depuis 2019. Si le projet était bien dans les tuyaux gouvernementaux, le coup de massue budgétaire reçu en début de semaine a de toute évidence accéléré les choses. Invité du 20 heures de TF1 le 27 mars, le Premier ministre a annoncé qu’une nouvelle réforme de l’assurance chômage aurait lieu “cette année”. Les contours ne sont pas encore dessinés avec précision. Gabriel Attal a ainsi évoqué sa volonté de réduire la durée d’indemnisation “de plusieurs mois mais pas en dessous de 12 mois”, contre 18 mois actuellement. Il envisage également la possibilité de toucher au montant de l’allocation-chômage et à sa dégressivité.

Un sérieux tour de vis à venir, au nom de l’incitation au retour à l’emploi. Ce sont pourtant bien deux objectifs à la fois distincts et liés qui entrent en collision : celui du plein-emploi, d’une part, visé pour 2027, et celui d’un déficit public à 3 % – sacro-sainte règle du traité de Maastricht bientôt assouplie -, fixé à la même échéance. Cette nouvelle réforme, la troisième en l’espace de cinq ans, est surtout censée permettre à l’Etat d’alléger sa charge budgétaire. “On a mis en place deux réformes, en 2019 et 2023, et on va en élaborer une autre avant même d’avoir évalué les effets des précédentes”, déplore Christian de Boissieu, professeur émérite à l’université Paris-I et vice-président du Cercle des économistes.

Difficile pour l’instant de chiffrer précisément les économies attendues. Quoi qu’il en soit, l’Etat ira piocher dans les caisses de l’Unédic, excédentaires de 3,6 milliards d’euros, après 4,3 milliards d’euros en 2022. Il a déjà ponctionné 2 milliards en 2023 et compte en prélever 10 milliards de plus d’ici à 2026. L’assurance chômage, bien que fortement reprise en main par l’Etat ces dernières années, est gérée de façon paritaire par l’Unédic, elle-même pilotée par les partenaires sociaux. “Quand vous êtes dans cet ordre de grandeur, vous n’avez pas besoin d’arguments. L’objectif budgétaire est déguisé par une lecture partiale et partielle de la littérature économique, qui ne démontre en rien que les personnes dont la durée d’indemnisation est réduite retrouvent plus vite un emploi. C’est bien un argument d’autorité”, assure l’économiste Bruno Coquet.

L’efficacité de la dépense publique, un angle mort

Ces ponctions, décidées dans l’urgence, produiront-elles des effets bénéfiques à long terme ? Tant que l’Etat ne se sera pas penché sérieusement sur l’efficacité de la dépense publique, il est permis d’en douter. Un angle mort pour certains, une équation impossible pour d’autres. LOLF, RGPP, EPP… Depuis plus de vingt ans, une myriade d’outils d’évaluation, aux acronymes obscurs, ont fleuri pour tenter de la mesurer, sans jamais s’inscrire dans la durée. “L’Etat n’arrive pas à avoir de la constance dans son approche des finances publiques. Il est obnubilé par le court terme, tandis que le futur est une variable d’ajustement”, estime le député Renaissance Éric Woerth, ministre du Budget entre 2007 et 2010. “L’absence de culture d’évaluation est un problème très franco-français, même si nous ne sommes pas les seuls en Europe à ne pas être très bons dans le domaine”, ajoute Christian de Boissieu.

Aux conclusions, on préfère les effets d’annonce pour marquer le coup politiquement auprès de la population. Les évaluations ne coïncident pas avec le timing d’un gouvernement. Et finalement, leur verdict importe peu. “Cela paraît naturel de s’y intéresser, mais ça ne l’est pas dans notre pays. L’Etat a été organisé de manière bureaucratique : on gère différentes activités avec des réglementations, on crée des procédures, on déploie des moyens humains et financiers. Mais ce qui est au centre de tout ça, ce sont les règles, pas les résultats”, regrette un ancien haut fonctionnaire.

Lorsque des objectifs sont définis, ils sont souvent trop nombreux, pas assez clairs, voire ambigus, pour s’éviter une douloureuse remise en question à l’arrivée. “On donne l’impression de travailler scientifiquement, en mettant des cibles à atteindre dans dix ans, mais personne n’est là pour vérifier si l’Etat a réussi. Le pire, ce sont les lois de programmation : il n’y en a pas une qui soit respectée”, pointe Michel Sapin. Ministre de l’Economie à deux reprises, il voit dans le concept d’efficacité une chimère : “S’il y a bien un sujet impossible, c’est celui-là ! Un service public n’est pas une entreprise, et ne s’analyse pas uniquement en termes de dépenses, de recettes ou de rentabilité.” A l’en croire, “cela ne veut pas dire que toute dépense publique est légitime”, mais que la notion d’efficacité est parfois subjective, selon la sensibilité politique de ses instigateurs.

La question de la temporalité se révèle également centrale. A trop vouloir précipiter les choses, contraint par un agenda politique, on finit par bâcler. Jean-Luc Tavernier, le directeur de l’Insee, craint par exemple que la généralisation du RSA sous conditions – expérimentée dans 47 départements depuis le début du mois -, à partir du 1er janvier 2025, ne se fasse trop rapidement. “Aura-t-on le recul nécessaire pour déterminer si cela fonctionne ou non ? L’Etat est tellement pressé de l’étendre qu’on ne se donne pas le temps de faire l’évaluation”, juge cet ancien de Bercy.

Lorsqu’ils font fausse route, enfin, les pouvoirs publics rectifient rarement le tir. “Il y a assez peu d’exemples où un travail d’évaluation a conduit au redéploiement d’un dispositif. La difficulté principale est politique. Personne ne met en avant l’évaluation comme un moyen d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques. Il y a peu d’incitation à affiner un dispositif parce que cela a peu de portée politique”, observe l’économiste Xavier Jaravel, membre du Conseil d’analyse économique.

Il est pourtant possible de dépenser moins, tout en étant plus efficace. “Si l’on met de l’argent en plus quelque part, on doit toujours mesurer combien cela rapporte socialement et économiquement à la collectivité. L’Etat ne doit pas être seul dans cette histoire. Le Parlement doit y consacrer beaucoup de temps. Le Sénat le fait ponctuellement, mais l’Assemblée jamais. Son fractionnement n’y aide pas”, concède Éric Woerth. Le sujet est d’autant plus crucial que la France se retrouve à un tournant, les transitions énergétique et numérique nécessitant des politiques publiques ciblées. Dernier exemple en date : le Plan Eau et ses 1 000 projets à développer d’ici à 2027, afin d’atteindre un taux de 10 % d’eaux recyclées à la fin de la décennie, peine à décoller un an après son lancement. Lorsqu’il arrivera à échéance, une autre politique publique prendra sans doute le relais. Les objectifs précédents, eux, auront été oubliés.

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