Rejet du Ceta par le Sénat : quel avenir pour le traité de libre-échange ?

Rejet du Ceta par le Sénat : quel avenir pour le traité de libre-échange ?

“Un coup de tonnerre politique” : c’est ainsi que l’élu communiste Fabien Gay a qualifié le rejet au Sénat, jeudi 21 mars, de la ratification du traité Ceta de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, à 211 voix contre 44. Dans un climat d’extrême tension en pleine crise rurale, une alliance de circonstance entre la gauche et la droite républicaine a permis, lors de la “niche” parlementaire communiste, de rejeter cet accord très décrié par une partie du monde agricole. Le Ceta, qui supprime l’essentiel des droits de douane entre UE et Canada, est notamment critiqué par les éleveurs bovins, qui dénoncent une concurrence qu’ils jugent déloyale. Appliqué provisoirement depuis 2017 à l’échelle européenne, il n’avait jamais été soumis aux sénateurs depuis lors.

“Nous disons stop à la concurrence déloyale que nous faisons subir aux producteurs européens en imposant des normes toujours plus draconiennes”, a tonné le sénateur-agriculteur LR Laurent Duplomb. De son côté, la gauche, elle, s’est opposée d’un bloc, le groupe socialiste épinglant notamment un accord “en totale contradiction avec nos engagements environnementaux”, selon son sénateur Didier Marie. A quelques mois des élections européennes, ce rejet de l’un des principaux accords de libre-échange apparaît comme un important revers pour l’exécutif. Quelles en sont les implications concrètes ?

Un prochain passage à l’Assemblée ?

Ce rejet du Sénat ne suffit cependant pas à lui seul à dénoncer l’accord à l’échelle européenne. Il ne met pas non plus un terme à la procédure de ratification du Ceta en France. Pour cela, il faudrait déjà que l’Assemblée nationale se prononce à son tour sur l’accord de libre-échange – ce qu’entendent faire les oppositions. Après leurs collègues sénateurs, les députés communistes ont en effet annoncé leur intention d’inscrire le texte dans leur temps parlementaire réservé – leur “niche” – prévue le 30 mai à l’Assemblée, soit dix jours avant les élections européennes.

Mais rien n’assure que l’exécutif transmette le texte à l’Assemblée nationale suffisamment tôt pour que les communistes puissent l’inscrire à l’ordre du jour. “Le texte sera transmis, mais le moment venu […] lorsqu’on sera sorti du temps politicien électoraliste”, a glissé un conseiller ministériel jeudi soir. Alors qu’en 2019 les députés avaient approuvé de justesse la ratification du Ceta, le camp présidentiel a depuis perdu la majorité absolue au Palais Bourbon, ce qui lui fait craindre un nouveau rejet.

Quelle conséquence pour l’Europe ?

Si un Parlement national acte le rejet du traité, cela pourrait remettre en cause son application provisoire à l’échelle de toute l’Europe. Du moins, en théorie. Car il faudrait pour cela que le gouvernement français notifie la décision de son Parlement à Bruxelles, ce qu’il n’est pas tenu de faire. C’est le cas par exemple du gouvernement chypriote, qui n’a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l’accord de continuer de s’appliquer. Actuellement, dix autres Etats membres n’ont pas non plus terminé le processus de ratification.

Mais il pourrait s’agir d’une décision à double tranchant pour le gouvernement français, en cas de refus de faire part de cette décision à l’instance européenne. Ce geste donnerait la place aux critiques des oppositions, qui pourraient dénoncer un déni démocratique. Pour l’heure, l’exécutif espère encore pouvoir convaincre lors des futurs débats à l’Assemblée nationale. Le débat “n’est pas clos”, a fait savoir le ministère des Relations avec le Parlement, indiquant que le gouvernement apporterait “dans les semaines à venir” des “éclairages nécessaires” pour “poursuivre les discussions parlementaires”.

L’exécutif entend défendre les bénéfices du traité de libre-échange et pourrait s’appuyer sur les chiffres des exportations vers le Canada, en hausse de 33 % entre 2017 et 2023, à 4,2 milliards d’euros (contre 35 % d’augmentation des importations), et sur l’excédent commercial des filières agricoles et agroalimentaires françaises, multiplié par trois sur cette période. Les secteurs viticole et laitier, qui exportent vers l’Amérique du Nord, sont notamment cités parmi les grands gagnants du Ceta.

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