Russie : les bombes planantes, l’arme fatale de Moscou pour défaire l’Ukraine

Russie : les bombes planantes, l’arme fatale de Moscou pour défaire l’Ukraine

Après une immense explosion, un large panache de fumée noire s’élève dans les airs au-dessus de la ville fortifiée de Vouhledar, en ce début avril. Quelques instants plus tôt, une bombe planante russe a percuté de plein fouet cette cité en ruines, âprement défendue par les Ukrainiens depuis plus de deux ans. Très destructrices, ces bombes ont vu leur usage exploser ces derniers mois sur le front ukrainien. A une cinquantaine de kilomètres au nord-est, à Avdiivka, il en serait tombé plus d’une soixantaine quotidiennement au plus fort de la bataille, avant que les forces de Kiev ne décident de quitter la ville mi-février face à la menace d’un encerclement.

Ce déluge de feu est parti pour durer. Selon l’état-major ukrainien, l’armée russe a déjà largué plus de 3500 de ces bombes depuis le début de l’année, soit seize fois plus qu’en 2023. Moscou a l’avantage d’avoir du stock. “A l’origine, ce sont des bombes basiques datant de l’ère soviétique, que la Russie possède en très grand nombre, détaille Mykhailo Gonchar, président de l’institut ukrainien Centre for Global Studies Strategy XXI. Mais les modèles actuels ont été modernisés par l’ajout d’ailes et d’un module de guidage, afin de gagner en portée et en précision.” Un système connu sous le nom d’UMPK, venant se greffer à la bombe.

Grâce à cette évolution, les pilotes russes ne sont aujourd’hui plus contraints de les larguer à la verticale au-dessus de leur cible – comme les bombardiers de la Seconde Guerre mondiale -, mais peuvent faire feu à longue distance, sans risquer de se faire abattre par les défenses antiaériennes ukrainiennes. “La portée de ces bombes va maintenant de 50 à 70 kilomètres, note Mykhailo Gonchar. Les avions russes peuvent donc généralement rester hors de portée de nos batteries de missiles sol-air.” A moins, pour Kiev, de rapprocher ses rares systèmes au plus près de la ligne de front et de leur faire courir un risque accru de destruction.

Bombes de gros calibre

Les forces de Moscou ont d’ores et déjà pu mettre à niveau toute une panoplie de bombes de gros calibre, telles les FAB-250 (250 kilos), les FAB-500 (500 kilos) ou les FAB-1500 (1,5 tonne). Pour des frappes toujours plus dévastatrices. “La FAB-1500 contient 675 kilos d’explosifs, relève Jean-Christophe Noël, ancien officier de l’armée de l’air et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ces bombes sont particulièrement adaptées pour venir frapper des cibles fixes de grande dimension, comme un poste de commandement, un bunker ou un dépôt de munitions.”

Un bombardier russe Su-34 équipés de bombes FAB-500 dotées d’un kit UMPK, dans le sud de la région de Donetsk, le 18 mars 2024.

De quoi accentuer la pression sur les forces ukrainiennes, à l’heure où Kiev construit en urgence un réseau de 2 000 kilomètres de fortifications sur le front, face à la crainte d’une intensification des assauts russes cet été. “L’ennemi a considérablement augmenté l’activité de ses avions, en utilisant des KAB [NDLR : bombes dotées d’un système UMPK], des bombes aériennes guidées qui détruisent nos positions”, a concédé fin mars le commandant en chef des armées ukrainiennes, Oleksandr Syrsky. In fine, pourraient-elles briser les lignes de défense mises en place par Kiev ? “Elles ne suffiront pas à elles seules, mais les Russes s’en serviront probablement pour essayer de les affaiblir, juge Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et expert aéronautique. Ce sera un outil de plus pour tenter de percer localement.”

D’autant qu’au-delà de leur pouvoir de destruction ces bombes bénéficient d’un avantage de poids : leur prix. “Contrairement à un missile rempli d’électronique, elles ne sont pas très coûteuses, abonde Jean-Christophe Noël, de l’Ifri. Le kit permettant de transformer la bombe est relativement simple à fabriquer.” A titre de comparaison, les kits des Joint Direct Attack Munitions (JDAM) de l’armée américaine – permettant eux aussi de transformer des bombes simples (dites lisses) en bombes planantes, et dont certains ont été livrés à Kiev dès mars 2023 – sont estimés à 21 000 dollars l’unité, contre 1,5 million pour un missile ATACMS.

Difficiles à détecter

Vrai fléau, ces bombes volantes sont en outre difficiles à détecter et à intercepter, “dans la mesure où elles ne sont pas propulsées et n’émettent pas de chaleur, souligne Xavier Tytelman. Cela demande des systèmes lourds dotés d’un radar – dont les Ukrainiens manquent sur le front.” Tout le défi pour les forces ukrainiennes est de parvenir à détruire les avions qui les larguent. L’une des raisons derrière les appels répétés de Volodymyr Zelensky en faveur d’une hausse des livraisons de défenses antiaériennes à longue portée. “Je ne vous dirai pas combien de systèmes Patriot nous possédons. Je peux dire que pour couvrir complètement l’Ukraine à l’avenir, il est préférable d’avoir 25 systèmes Patriot, avec de 6 à 8 batteries chacun”, a encore insisté le président ukrainien, le 6 avril, à la télévision.

Au-delà, les avions F-16 promis par plusieurs pays européens – attendus en Ukraine cet été – pourraient aussi se révéler d’une aide précieuse. “Grâce à leurs missiles air-air à longue portée, que nous avons demandés à nos partenaires européens et américains, ils pourraient réduire l’activité des forces aériennes russes”, confirme Mykhailo Gonchar. En attendant, les Ukrainiens composent avec ce qu’ils ont. Le 5 avril, Kiev a annoncé avoir détruit six appareils russes et endommagé sévèrement huit autres sur la base aérienne russe de Morozovsk, grâce à des frappes massives de drones. La menace ne va toutefois pas disparaître de sitôt. En mars, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a annoncé “la production de masse” de bombes FAB-3000, capables d’emporter jusqu’à 1 400 kilos d’explosifs…

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