Russie : Poutine, la dangereuse fusion de Staline et Catherine II

Russie : Poutine, la dangereuse fusion de Staline et Catherine II

“La démocratie ! En Russie, c’est un mot qui fait rire. Vous connaissez l’histoire drôle la plus courte qui soit : Poutine est un démocrate…”. A lire ces mots de Svetlana Alexievitch de 2013 (1), on a presque envie de rire face à la tragico-bouffonnerie des urnes russes : pathétique, cette élection présidentielle s’est soldée non seulement par un score de maréchal pour l’ex-colonel du KGB (87 % des voix) mais aussi par des manipulations et une répression jamais connues depuis son arrivée au pouvoir en 1999.

En un quart de siècle, la Russie s’est transformée d’une démocratie fragile et récente en dictature, avec l’assurance pour le maître du Kremlin de régner plus longtemps que Staline et sans doute que Catherine II, à la tête de la Russie pendant trente et trente-quatre ans. Au petit père des peuples, il a emprunté l’autoritarisme, le culte de la personnalité, la manipulation des foules et la haine de l’Occident. A la “Grande” Catherine, qui étendit l’empire de 500 000 kilomètres carrés et annexa en 1783 la Crimée, ses ambitions territoriales.

Poutine, tsar de Russie, à la légitimité renouvelée par le vote de ses compatriotes. Surtout, l’agresseur de l’Ukraine a les mains libres pour poursuivre ses basses œuvres. Les 140 millions de Russes lui mettront-ils un jour des bâtons dans les roues ? “Le peuple ? Le peuple, ce qu’il attend, ce sont des choses simples. Des montagnes de pain d’épices. Et un tsar !”, devinait déjà Svetlana Alexievitch. La Russie a obtenu les deux : les sanctions occidentales n’ont pour l’heure guère entamé le porte-monnaie des foyers et la propagande massive du Kremlin renforce la fibre patriotique (2). Au point que les trois quarts des Russes soutiennent la guerre en Ukraine, selon le Levada Center. Dans une société paralysée par la peur, le système poutinien n’affiche pour l’heure aucun craquement. Tout juste laisse-t-il entrevoir, à l’occasion de ce scrutin, une volonté accrue de contrôle, signe d’une fébrilité réelle, déjà perceptible lors de la tentative de coup d’Etat par le patron de la milice Wagner, Evgueni Prigojine, en juin 2023.

A moyen terme, les vulnérabilités russes risquent de s’accentuer : démographie déclinante, fuite de la fine fleur du pays à l’étranger, stabilité macroéconomique précaire, et coût de la rupture de liens avec le reste de l’Europe. Mais Vladimir Poutine a promis, au soir de sa réélection, de ne pas se laisser “intimider”. Au fil des ans, l’ex-judoka est parvenu à décimer l’opposition, il n’a “que” 71 ans, et il sait que la crainte de l’inconnu paralyse son peuple. “La Russie a une histoire millénaire et a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante. Nous n’avons pas l’intention aujourd’hui non plus de faillir à cette tradition”, annonçait-il à la conférence de sécurité de Munich en… 2007. Déjà, l’héritier de Staline se sentait tsar dans l’âme…

(1) La Fin de l’homme rouge, par Svetlana Alexievitch (Actes Sud, 2013)

(2) “De Staline à Poutine : genèse et évolution des violences impériales russes”, par Céline Marangé et Juliette Cadiot (Le Grand Continent, 2024)

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