Un “idéal qui finit mal” : l’erreur de Macron sur le communisme

Un “idéal qui finit mal” : l’erreur de Macron sur le communisme

Pour célébrer l’entrée des Manouchian au Panthéon, Emmanuel Macron s’est illustré par un éloge singulièrement kitsch du communisme. Après avoir évoqué sans aucune distance l'”idéal communiste” embrassé par Manouchian et, en passant, mis sur le même plan “1789” et “1793”, il a fini par déclamer avec emphase : “Parce qu’ils sont communistes, ils ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine, enfants de la Révolution française, guetteurs de la Révolution universelle”. Comme révélé dans nos pages, le premier personnage de l’Etat s’est même trouvé “très fier” de sa “trouvaille”, “car le communisme part d’un bon sentiment, d’un idéal qui certes finit mal”, selon l’explication de texte fournie par l’un de ses “stratèges”.

Surprenante de la part d’un dirigeant supposément “ultralibéral”, cette posture s’avère cependant fréquente au sein de la gauche et de l’extrême gauche en Europe, qui justifient ainsi leur indulgence et même leur admiration à l’égard d’une idéologie dont le bilan humain s’élève pourtant à plusieurs dizaines de millions de morts.

De même, la figure de Karl Marx, le concepteur du communisme comme système politique, reste largement épargnée par les critiques. La visite de sa maison natale à Trèves, transformée en musée, se révèle à ce titre instructive. Aucune mention n’y est faite des nombreuses critiques, notamment libérales et conservatrices, qui ont répondu aux analyses et propositions de l’Allemand réfugié à Londres de son vivant. La Russie bolchevique se voit consacrer le quart d’une pièce, la Chine de Mao la moitié d’un quart, aucune mention n’étant faite du goulag ou du laogai ! En réalité, peut-on apprendre, ces régimes ont honteusement instrumentalisé une idée belle et généreuse, “la libération universelle de l’humanité [étant] le principal moteur” des idées de Marx lesquelles, depuis le XIXe siècle, ont peut-être inspiré des dictateurs mais surtout des sociaux-démocrates.

“L’omelette ultime”

Quid de 1989 ? Commentant une couverture du Sunday Times Magazine datant de la fin de cette année-là et titrant “RIP communism” [“Que le communisme repose en paix”] sous la photo du monument funéraire de Marx au cimetière de Highgate, une légende s’agace : “De tels titres présentent Marx comme le symbole du communisme, font de lui un bouc émissaire et le déclarent fini”. En réalité, rétorque le musée, “l’effondrement de l’Union soviétique en 1989/90 marque un tournant mais pas la fin : au XXIe siècle, la pauvreté mondiale et les crises politiques et économiques ravivent la recherche de leurs causes structurelles, [que] Marx [avait entreprise]”. En d’autres termes, la réflexion de Marx reste à la fois valide et légitime.

On ne peut réduire le Marx philosophe au co-auteur du Manifeste du parti communiste. Son apport intellectuel s’est révélé majeur dans la mesure où, dans un XIXe siècle en pleine transition politique, il a su éclairer l’influence des conditions de vie concrètes des individus sur leur vision du monde. En revanche, l’impact de l’auteur du Capital sur l’ensemble des régimes communistes, de leur conception du pouvoir à l’orchestration des réformes collectivistes, s’avère manifeste. Si l’on ne choisit pas ses lecteurs et aficionados, il est tout de même étonnant qu’un nombre non négligeable de ceux de Marx aient façonné des systèmes politiques pareillement inhumains.

En d’autres termes, les “moyens” mis en oeuvre pour parvenir à cet “idéal” loué par Emmanuel Macron se sont toujours avérés cruels. Du temps de Lénine puis de Staline, certains communistes occidentaux (ou apparentés) niaient l’existence de la répression, des purges et des camps. D’autres estimaient, et ils furent de plus en plus nombreux au fur et à mesure de l’amoncellement des cadavres, que quelques “œufs cassés”, pour reprendre les termes ironiques du philosophe Isaiah Berlin, valaient bien la concoction de l’”omelette ultime”. Marx, de son côté, dans La Guerre civile en France, avait fait de la guerre civile, c’est-à-dire l’élimination de ses ennemis, le critère révolutionnaire par excellence. Puis, au milieu du XXe siècle, la gauche non communiste a cru pouvoir accuser le goulag sans invalider sa matrice politique. Même si les œufs n’auraient pas dû être cassés, l’omelette restait désirable. C’est cette même position qu’Emmanuel Macron a défendue devant le Panthéon.

Photographie présentée dans la Maison de Karl Marx, à Trèves (Allemagne).

La négation du “propre”

Or c’est bien là que le bât blesse. Le caractère systématiquement répressif des révolutions communistes suggère que leur nocivité réside précisément dans les idées qui les ont inspirées. En d’autres termes, l’omelette ultime a très mauvais goût. Se fixer comme visée politique l’instauration d’une société parfaitement égalitaire, sans classes ni salariat et, pour ce faire, réaliser la mise en commun totale des moyens de production, revient à faire abstraction d’une aspiration humaine fondamentale, celle de disposer de biens “propres”. Pris au sens que le philosophe anglais John Locke a donné à ce terme, ceux-ci ne désignent pas seulement la propriété matérielle d’un individu mais aussi sa vie, sa liberté, son corps ou encore sa conscience, autrement dit, pour reprendre les termes de François Gauvin, “tout ce qui lui permet de se connaître lui-même, de savoir ce qu’il veut et de se sentir responsable de ce qu’il fait”. Pour réaliser le communisme, de fait, il ne suffit pas de collectiviser les moyens de production, il faut contraindre les individus à renoncer à leurs aspirations propres, c’est-à-dire à eux-mêmes.

La sauvegarde du propre n’implique pas de privilégier exclusivement la compétition entre les hommes sur leur coopération ; bien au contraire, elle implique la recherche d’un équilibre entre deux tendances contraires. Mais faire fi de la compétition pour imposer la coopération revient à empêcher l’être humain, et partant toute société, de s’épanouir, tout en ouvrant la voie à la prise de pouvoir par les personnalités les plus autoritaires. En voulant supprimer tout instinct compétitif, on se condamne à l’exacerber.

Que le communisme ait entraîné d’immenses contraintes sur les êtres en chair et en os, persécutés, emprisonnés et mis à mort, ne s’avère donc pas une conséquence involontaire mais l’essence même de ce projet épouvantable. Or si l’inhumanité de cette idéologie a été amplement dénoncée par ses victimes, ses témoins et ses historiens, ces milliers de pages écrites, lues et commentées n’ont pas suffi à mettre un coup d’arrêt aux arguties tentant vainement de distinguer les “bonnes intentions” marxistes de leurs résultats calamiteux. Il faut donc, une fois de plus, rappeler que les moyens employés pour réaliser ces prétendues bonnes intentions ne s’avéraient pas inhumains malgré elles mais bien à cause d’elles. Pour paraphraser Jean-François Revel, “le communisme, c’est le nazisme, les bons sentiments en plus”.

Remettre la réalité sur ces pieds, en l’espèce, ne vise pas seulement à rappeler la vérité historique. L’enjeu est moral, politique et géopolitique. Mentir sur l'”idéal communiste”, c’est insulter la mémoire de ses dizaines de millions de victimes. C’est justifier a priori tout mouvement politique prétendant, aujourd’hui et demain, faire avancer sa vision du “bien” au détriment de l’intégrité d’autrui. C’est, enfin, fragiliser notre position face à la Russie et à la Chine, deux pays qui n’ont pas tout à fait rompu avec leur passé communiste et semblent en avoir conservé une insensibilité profonde envers la dignité humaine. Il n’a échappé à personne que ces deux puissances ne nous veulent pas du bien. Or réécrire en rose l’histoire du communisme, c’est leur signifier que nous ne croyons pas vraiment aux valeurs que nous ne cessons de leur opposer.

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