“Vine Street”, un polar fiévreux dans le Londres crépusculaire des années 1930

“Vine Street”, un polar fiévreux dans le Londres crépusculaire des années 1930

Il est parfois difficile de définir à quoi tient le charme d’un polar. Il en est ainsi de Vine Street de Dominic Nolan, publié chez Rivages. Résumé d’une phrase, la banalité guette puisqu’il s’agit de l’enquête menée par un policier londonien après la mort d’une femme qu’il refuse de classer en suicide ; pendant des décennies, il court après un tueur en série surnommé “le brigadier”. Mais l’amateur averti de roman noir ne se laissera pas tromper par les étiquettes. Tueur en série, polar historique, grande saga… le roman est bien plus que ce à quoi sa présentation veut le réduire. Les nombreuses pistes ouvertes depuis le meurtre originel entraînent le lecteur sur des chemins inattendus.

Certes, on est heureux de suivre la quête du tueur et de découvrir quel visage lui a dessiné l’auteur. On se laisse porter par les péripéties, au fil d’une intrigue extrêmement complexe, sans toujours en comprendre les ressorts, mais là n’est pas l’important. Il n’est pas non plus dans le côté “saga historique”. Car si le roman s’affiche comme se déroulant sur plusieurs périodes – 1935, 1963 et 2002 – la première compte en réalité beaucoup plus que les autres. C’est là, avant la Seconde Guerre mondiale, puis pendant les années où Londres n’en finit plus d’être bombardée, que se noue l’essentiel de l’intrigue. 1963 et 2002 sont des éclairages cruciaux, destinés à tromper, puis à éclairer avec habileté le lecteur, mais ces années n’occupent qu’un nombre réduit de pages sur les près de 700 que compte le livre.

Ces critiques apparentes n’en sont pas. La force de Vine Street est ailleurs, dans l’atmosphère qu’il dégage. Ce qui emporte et séduit, c’est de vivre au rythme du Londres des années 1930. Ou plutôt d’un quartier de Londres, celui de Soho, avec ses clubs de jazz et de striptease, où les voyous en tous genres se croisent et se font la guerre, où les prostituées sont importées de France, où les pègres maltaises, yiddish, italiennes se surveillent et s’entretuent, où l’on rencontre, à l’occasion d’une soirée, les sœurs Mitford, personnages réels, qui se sont rendues célèbres pour les fâcheuses relations de certaines d’entre elles avec les nazis.

Le tout sous le regard de policiers non exempts d’immoralité. Certains se noient dans ces ruelles, dans l’alcool, le sexe ou la corruption, d’autres y survivent en adoptant des méthodes qui sont loin d’être régulières. Dans cette ambiance d’avant-guerre, que l’écriture sans gras de Dominic Nolan fait revivre à la manière d’un excellent chef déco, il y a aussi des espions allemands, français ou britanniques, qui jouent parfois aux voyous quand ce n’est pas l’inverse, mélangeant les genres avec allégresse.

Triangle aux sentiments troubles

Au milieu de ce beau monde évoluent les héros de Dominic Nolan, inclassables parce qu’à la fois détestables et attachants, obstinés et désinvoltes. Ils sont trois à se perdre dans cette enquête où, chaque fois que l’on croit trouver un indice ou un témoin, une bombe tombe au mauvais endroit, où, dans l’immédiat après-guerre, on ne retrouve plus les repères familiers d’une rue, disparue dans les bombardements. Leon Geats d’abord, policier de la brigade des mœurs et des night-clubs, qui se fond dans le quartier avec un naturel peu commun. Ne commence-t-il pas le roman réveillé par sa partenaire alors qu’il dort complètement éméché dans sa cage d’escalier ? Mais aussi Mark Cassar, toujours impeccablement habillé pour mieux cacher le secret qu’il n’assume que tard le soir, lorsqu’il danse avec des hommes dans la fumée des clubs. Et Billie, femme flic dont les deux sont amoureux et avec laquelle ils forment un triangle aux sentiments troubles. Une femme effacée, qui se révèle un peu plus forte et importante au fil des pages.

Avec ce Vine Street, Dominic Nolan, dont c’est le premier texte traduit en français mais dont les précédents romans sont de facture plus classique, effectue une incursion remarquable dans le paysage noir. Il se range aux côtés des créateurs de Peaky Blinders ou d’un Ian Rankin des origines pour l’ambiance d’un monde britannique fait de briques rouges, de pubs et de violence. Bien plus que d’un James Ellroy auquel l’éditeur a cru bon de le relier. Car chez Dominic Nolan, tout n’est pas aussi désespéré que chez l’auteur américain, l’amour et l’humanité ont encore leur raison d’être. Ils s’incarnent par l’attachement à une mère qui relie encore à la vie, par la force d’un nounours qui console une enfant confrontée trop tôt à la mort violente. Comme de petites lueurs d’espoir dans un monde pourtant très noir.

Vine Street par Dominic Nolan, trad. par Bernard Turle. Rivages, 672 p., 24,90 €.

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