Violence et désinformation : y a-t-il un lien entre les deux ? Par Gérald Bronner

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Trois faits impliquant la violence de jeunes gens à Viry-Châtillon, Montpellier et Tours ont marqué l’actualité ces derniers jours, en particulier parce que l’un d’eux a conduit à la mort d’un adolescent de 15 ans. Il est tentant de voir dans la conjonction de ces trois faits préoccupants quelque chose de hautement significatif. Il se pourrait que ce soit le cas mais, pour le savoir, il conviendrait de prendre une échelle d’observation bien plus longue pour établir, par exemple, si l’existence d’une accélération des phénomènes de violence entre jeunes est réelle, comme certains le décrètent a priori, ou s’il s’agit, en l’espèce, d’une concentration statistique d’événements comme le hasard en produit souvent.

Ce temps de recul est un luxe que la société du commentaire permanent n’autorise plus. Ce que l’on peut accorder à l’analyse, c’est que les faits de violences extrêmes dans un cadre scolaire sont souvent multifactoriels. Dans plusieurs des cas récents, la variable religieuse et la police des mœurs qu’elle inspire à certains adolescents paraissent être impliquées. Une autre variable fait aussi sentir son poids : les conditions numériques de l’expression de cette violence. Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont inventé le harcèlement mais ceux-ci condamnent non seulement les victimes à en être des témoins involontaires permanents, mais encore offrent aux brutes de toutes espèces des possibilités de coalition inédite. Ils autorisent aussi, dans le secret des groupes privés, des formes de radicalisation où chacun s’indigne toujours plus fort que les autres du comportement de la victime dans un mortifère concours de vertu.

Cet ensauvagement numérique est documenté par de nombreuses études qui soulignent, y compris au niveau européen, que la plupart des utilisateurs de réseaux sociaux ont été témoins ou victimes de phénomènes de haine en ligne. Les échanges qu’on dit virtuels, en oubliant qu’il y a des êtres de chair et de sang qui s’y impliquent, incitent à ce que le professeur de psychologie John Suler appelle la “désinhibition numérique”. De la même façon que les flux de crédulité ne demeurent pas confinés dans le monde des écrans, la violence qui s’y fait entendre déborde parfois dramatiquement des smartphones.

Ce sont d’ailleurs les deux risques majeurs que l’on pointe fréquemment à propos de ces outils numériques : les infox et la violence. Y a-t-il un rapport entre les deux ? C’est justement la question que se pose un article paru en mars dans la prestigieuse revue de l’Académie des sciences américaines en convoquant un matériau empirique impressionnant de 8 687 758 messages provenant de 6 832 utilisateurs de Twitter (désormais appelé X), ainsi qu’un ensemble de 14 617 titres vrais et faux provenant de sites web professionnels de vérification des faits. Il s’agissait d’examiner les relations éventuellement significatives entre l’activité des individus partageant les fausses informations et l’usage d’un langage que les auteurs du papier nomment “préjudiciable”. Cette approche est assez inédite car il existe beaucoup de travaux se préoccupant des uns ou des autres mais peu ou pas ayant cherché à considérer leur rapport.

Leurs analyses aboutissent à l’idée d’un lien significatif et fort entre ces deux fléaux des mondes numériques. En moyenne, les messages Twitter contenant des liens vers des sites d’information douteux convoquent aussi des propos haineux. Ces usagers crédules font, plus souvent que les autres, usage d’un vocabulaire fleuri et offensant y compris dans leurs messages non liés à l’actualité. Il resterait à établir un modèle causal qui éclairerait la nature de ces liens. Plusieurs hypothèses sont possibles, comme le fait que l’hostilité du langage et l’adhésion aux infox s’enracinent toutes deux dans un sentiment de frustration, repéré par ailleurs par la littérature, ou bien encore que les personnes toxiques sont particulièrement attirées par l’univers de la fausse information… Tous ceux qui ont essayé d’engager un débat contradictoire avec les crédules de tous poils savent que l’insulte et la menace ne sont jamais loin. Et ici, comme dans certains collèges hélas, la violence franchit parfois le seuil du virtuel.

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