4 000 procès en 40 ans : comment Donald Trump utilise les tribunaux pour anéantir ses adversaires

4 000 procès en 40 ans : comment Donald Trump utilise les tribunaux pour anéantir ses adversaires

Lorsque Donald Trump écope en 2006 d’une amende journalière de 1 250 dollars pour avoir planté sur la pelouse de Mar-a-Lago, son club de Floride, un mat avec le drapeau américain de 24 mètres de hauteur, presque le double de la limite légale, il intente un procès contre la municipalité de Palm Beach. Un mat plus court, affirme-t-il, n’exprimerait pas “l’ampleur de son patriotisme”. Il demande 25 millions de dollars de dommages et intérêts. Après négociations, il obtient de garder son mat rogné de trois petits mètres.

Quand le spécialiste Architecture du Chicago Tribune critique son projet de tour à Manhattan de 150 étages censée être la plus haute du monde, il traîne en justice le quotidien et exige 500 millions de dollars de dédommagement. Il lance aussi des poursuites contre Jules et Eddie, deux promoteurs immobiliers sud africains qui ont le mauvais goût de s’appeler… Trump. Il leur demande simplement de ne plus utiliser leur nom. Et il va jusqu’à se retourner contre un de ses cabinets d’avocat disant qu’il l’a pris pour “une vache à lait” et lui a imposé des honoraires excessifs.

Le milliardaire new-yorkais ne rate jamais une occasion de ferrailler dans un prétoire. Ces derniers temps pourtant, c’est lui qui est sur le banc des accusés et dans pas moins de quatre procès au pénal. Le candidat à la présidentielle de novembre est inculpé d’avoir gardé illégalement des documents classifiés, essayé de manipuler le résultat des élections de 2020 et falsifié des documents dans le but de cacher un paiement à une star du porno pendant la campagne de 2016. C’est ce procès pour fraude qui doit s’ouvrir le 15 avril à New York. Stormy Daniels affirme avoir eu une liaison avec Donald Trump en 2006 – ce que l’intéressé nie – et a reçu 130 000 dollars en échange de son silence.

Cette vieille histoire d’adultère semble un peu triviale à côté des inculpations bien plus graves dont il fait l’objet. Mais cette affaire a acquis une énorme importance car c’est sans doute la seule qui va être jugée avant le scrutin de novembre. Elle a l’avantage d’être plus simple que les trois autres procès. “Il n’y a pas de questions compliquées d’immunité présidentielle, de pouvoir exécutif, de documents classifiés, ça s’est passé avant que Trump ne soit président, les accusations sont claires, c’est un dossier solide”, commente l’avocat “antisystème” Ronald Kuby, un pénaliste de New York spécialisé dans la défense des droits des citoyens contre l’Etat.

Depuis plusieurs décennies, Donald Trump use et abuse des tribunaux pour faire pression sur ses adversaires. Selon une analyse de USA Today, lui et ses entreprises ont été impliqués dans plus de 4 000 procédures judiciaires depuis les années 1980. Une quantité “stupéfiante”, a affirmé Bennett Gershman, un ancien procureur et professeur de Droit à Pace University. “Je n’ai connaissance d’aucune personne ou entreprise qui s’approche même de loin de ce chiffre.”

Il a eu son lot de défaites

La majorité des actions en justice concerne ses casinos, ses investissements immobiliers et des affaires de dommages corporels pour des clients ou des employés. Le milliardaire new-yorkais s’en prend aussi bien à des individus, dont Ivana, son ex-femme, qu’à des entreprises, des municipalités et jusqu’au gouvernement d’Ecosse pour avoir planté des éoliennes près de son golf. Donald Trump a fait également l’objet de maintes poursuites pour agression sexuelle, discrimination raciale, défaut de paiement, blanchissement… Combien de fois est-il sorti vainqueur ? Difficile à dire, car beaucoup de dossiers se sont réglés par un accord confidentiel, alors pourtant qu’il se vante de ne jamais négocier. Si l’on commence, dit-il, “tout le monde vous attaque”. Une chose est sûre : il a eu au fil des ans son lot de défaites, même s’il assure qu’il gagne toujours.

“Beaucoup de plaignants cherchent à éviter un procès. Ils pensent que c’est dans leur intérêt de négocier pour ne pas avoir à souffrir de publicité négative. Mais Trump est formaté différemment. Il adore la pub”, ajoute Ronald Kuby. Il poursuit à tort et à travers, y compris pour des broutilles. Lorsque huit riverains de son golf de Doral à Miami se plaignent que les palmiers qu’il a plantés bloquent leur vue, il les accuse d’avoir cisaillé les arbres et exige 15 000 dollars. Il se sert des tribunaux comme “un moyen de gagner, de marquer un point, de détruire ou de réduire au silence ceux qui l’ont défié” et “de faire les gros titres”, résume l’avocat James Zirin dans son livre Plaignant en chef, un récit de ses aventures légales.

L’ex-président “connaît le fonctionnement du système judiciaire américain et sait le manœuvrer avec maestria à son avantage”, déclare Victor Kovner, un ténor du barreau de New York. Il s’appuie sur une noria d’avocats dont il change constamment sans doute parce qu’il “oublie” régulièrement de les payer. Certains ont fini en taule. Michael Cohen, l’un de ses fidèles pendant une décennie, a plaidé coupable pour avoir violé, entre autres, la loi sur le financement de campagne.

Donald Trump quitte la Trump Tower de New York en route vers le tribunal fédéral de Manhattan pour son procès en diffamation, le 17 janvier 2024

Donald Trump n’a pas de formation de droit, mais il a eu comme mentor Roy Cohn, un avocat teigneux de New York bras droit du sénateur Joseph McCarthy lors de la chasse aux communistes dans les années 1950. En 1973, le ministère de la Justice intente un procès contre les Trump, père et fils. Il les accuse de refuser systématiquement les locataires noirs et portoricains dans les 14 000 logements qu’ils gèrent. Le promoteur engage Roy Cohn, bien connu pour ses méthodes de pitbull. “Il menait la tactique de la terre brûlée”, explique encore Victor Kovner dans les médias. “Son approche était : résister et gagner du temps avant de négocier au dernier moment possible, lorsqu’il n’y avait plus d’autres alternatives, une fois que l’attention du public était retombée.”

Il compare un adversaire à la Gestapo

Au lieu de trouver un accord, Roy Cohn conseille de contrattaquer en demandant 100 millions de dommages et intérêts au gouvernement pour les avoir faussement diffamés. La plainte est rejetée. Il fait alors traîner la procédure et s’efforce de discréditer les avocats de la partie adverse qu’il compare à la “Gestapo”. Il finit par accepter un accord à l’amiable. Donald Trump se vantera plus tard d’avoir obtenu “un arrangement minimal sans admettre sa culpabilité”.

Depuis, il applique fidèlement les méthodes de Cohn. Sa stratégie est de tout nier même quand les faits prouvent qu’il a tort. Il n’a jamais refusé de restituer les documents classifiés qu’il a emportés illégalement en quittant la Maison Blanche, clame-t-il. Lorsque après plus d’un an de vaines tractations avec ses avocats, le FBI lance une perquisition à Mar-a-Lago et saisit des caisses de dossiers, l’ex-président déclare : “Après avoir travaillé et coopéré avec les agences gouvernementales pertinentes, ce raid imprévu sur mon domicile n’était ni nécessaire, ni approprié.”

A coup d’obstruction systématique, il fait traîner les choses le plus longtemps possible en noyant son opposant sous des masses de requêtes sans fondement, des recours, des appels… En 1980, il embauche une équipe de démolisseurs sur le chantier de la Tour Trump à New York. Parmi eux, 200 Polonais sans papiers. Il les fait trimer douze heures par jour, dans des conditions terribles, à la moitié du tarif syndical. En 1998 finalement, après 15 ans de procédure, un procès et deux appels, il accepte de leur verser 1,3 million de dollars.

Beaucoup plus original, il a pour habitude d’attaquer les juges, les jurés, les procureurs… “Personne jamais dans une affaire judiciaire n’injurie un juge. C’est sans précédent et contre productif”, a un jour expliqué le professeur Gershman. En 2005, s’ouvre en grande pompe l’Université Trump. Elle promet d’enseigner les techniques d’investissement dans l’immobilier pour devenir aussi riche que le promoteur. Des milliers d’individus s’inscrivent. Or la plupart des instructeurs n’ont aucune qualification et la fac n’est pas accréditée.

Eric Schneiderman, le procureur de New York attaque le milliardaire en justice pour escroquerie. Ce dernier, furieux, le traite sur Twitter de “stupide”, d’”abruti” Il l’accuse de chantage auprès de la Commission d’éthique de l’Etat. Schneiderman lui aurait promis d’arrêter les poursuites en échange de dons pour sa campagne (le procureur est élu). Faute de résultats, il s’en prend au juge un “Mexicain”, donc “un ennemi”. A son grand dam, il est condamné à payer la somme de 25 millions de dollars. La preuve qu’il ne triomphe pas toujours.

Pugnace et chicanier

Souvent pourtant, il gagne à l’usure. En 2008, en pleine crise immobilière, il est incapable de rembourser plus de 700 millions de dollars de prêts contractés pour la construction d’un gratte-ciel à Chicago. Quand la Deutsche Bank, son créancier principal, rechigne à lui accorder un délai supplémentaire, il le traîne devant les tribunaux et dénonce ses “pratiques usuraires” ! Il demande la bagatelle de 3 milliards de dollars de dommages et intérêts. La banque le poursuit à son tour avant de lui accorder un nouveau délai. Finalement, ses créanciers effaceront la plupart des dettes, sans saisir le gratte-ciel. Sans doute pour éviter une bataille judiciaire interminable avec un Trump pugnace et chicanier. Dix ans plus tôt déjà à Atlantic City, ses banques avaient renfloué à répétition ses casinos en faillite et l’avaient sauvé de la ruine.

L’ancien président a le chic pour se défausser. En 2004, il s’associe à un promoteur pour construire une tour d’appartements à Fort Lauderdale, en Floride. C’est “le projet le plus élégant et le plus luxueux que j’aie créé”, déclare Donald Trump. En fait, il n’a pas investi un sou dans la construction, ce que ne mentionne pas le prospectus de vente. Il s’est contenté en secret de prêter son nom en échange de royalties. Lorsque le projet fait faillite, les acheteurs l’assignent en justice. En vain. Il n’est pas responsable devant la loi puisqu’il a juste franchisé son nom.

L’histoire du tournoi de golf caritatif reste un modèle du genre. En 1990, il promet un million de dollars au joueur qui réussira un trou en un. Martin Greenberg réalise cet exploit au 13e trou. Le club cependant refuse de lui donner son prix. Le règlement du tournoi stipule en effet que la balle doit parcourir 150 yards. Or bizarrement le tee – l’endroit où le joueur place sa balle au départ — a été installé à moins de 150 yards. Martin Greenberg engage un avocat et finit par accepter… 158 000 dollars.

Il déploie la grosse artillerie

Dans une interview à USA Today il y a quelques années, Alan Garten, le responsable juridique du groupe Trump, justifiait la quantité de procès : “Nous sommes une entreprise avec des principes. Quand nous pensons être dans notre droit, on poursuit jusqu’au bout.” Dans bien des cas, l’ancien président se contente de proférer des menaces sans aller au tribunal. Cela suffit en général à faire céder les opposants moins fortunés.

Car il n’hésite pas à déployer la grosse artillerie, y compris contre du menu fretin. Dans son livre Trump Nation, le journaliste Timothy O’Brien ose affirmer en 2005 qu’il n’est pas milliardaire. Sa fortune s’élèverait entre 150 et 250 millions. Le promoteur immobilier voit rouge. Il demande que le livre soit retiré de la vente, ainsi que des excuses et une rétractation des propos diffamatoires. Lorsque l’éditeur refuse, Trump exige 5 milliards de dommages et intérêts. Il n’aura pas gain de cause.

Il continue aujourd’hui à appliquer les mêmes tactiques avec succès. “Le fait de faire traîner les choses pour gagner du temps l’a aidé énormément dans les procédures actuelles”, a expliqué Victor Kovner. Mais l’ex-président a rarement été dans une situation judiciaire aussi délicate. Il doit près d’un demi-milliard de dollars de dommages et intérêts et fait face à quatre affaires au pénal pour lesquelles il est impossible de négocier un accord. Encore faut-il que les procès aient lieu. “Le système judiciaire se veut équitable et fondé sur des règles”, conclut Ronald Kuby. “Est-il capable de fonctionner ainsi avec Trump ou est-il juste bon à mettre des Noirs en prison ?”

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