“Halving” du bitcoin : comment la discrète industrie du minage organise sa survie

“Halving” du bitcoin : comment la discrète industrie du minage organise sa survie

Coup de frein sur le bitcoin. La plus célèbre des cryptomonnaies va affronter, dans la nuit de vendredi à samedi, le troisième “halving” de sa courte histoire. Ce mécanisme, planifié dès la création en 2009 par le mystérieux Satoshi Nakamoto, consiste en une division par deux de la production du bitcoin afin, d’atteindre, un jour, 21 millions de jetons en circulation – il y en a environ 19 aujourd’hui. Pas un de plus. Une offre limitée envisagée comme un mécanisme anti-inflationniste. En théorie, la rareté programmée de la cryptomonnaie devrait lui donner de plus en plus de valeur. Non sans douleur, cependant, pour toute l’industrie invisible qui supporte cet actif numérique : celle des mineurs.

“Le calcul est très simple, nos revenus aussi vont être divisés par deux”, indique Sébastien Gouspillou, à la tête de BigBlock Datacenter, une entreprise spécialisée dans le minage de bitcoin. Son activité, vitale au système, se résume à valider des “blocs” de transaction réalisés avec la cryptomonnaie, afin de les inscrire dans une chaîne de blocs (ou blockchain), son livre de compte public. Ce travail, nécessitant d’importantes ressources en puissance de calcul et en énergie, est rémunéré en bitcoins, nouvellement créés. Ainsi, quand la production doit être divisée par deux – tous les 210 000 blocs validés, soit environ tous les quatre ans actuellement – cette récompense baisse également de moitié. De 6,25 bitcoins à 3,125 bitcoins par bloc, très précisément, dans la nuit de ce week-end. Le média américain Bloomberg estime les pertes annuelles pour les mineurs à 10 milliards de dollars, sur la base du tarif actuel de la cryptomonnaie à un peu plus de 60 000 dollars l’unité.

Nouveaux eldorados

Si l’évènement n’est pas une surprise, les plus gros acteurs de la planète font donc tout de même grise mine. Côtés et valorisées plusieurs milliards de dollars, les entreprises américaines Riot Blockchain et Marathon Digital Holdings ont vu leur cours en Bourse chuter de près de 15 % ces cinq derniers jours. La diminution de la récompense fixe vient s’ajouter à d’autres défis. Le premier, celui de la maintenance du matériel de calcul, comparable à celui utilisé par les applications d’IA modernes. De fait, alors que le réseau s’était constitué grâce à une foule de “petits mineurs” à ses débuts, seules subsistent aujourd’hui des vastes fermes de calcul composées de centaines d’ordinateurs, voire des “pools” rassemblant plusieurs gestionnaires se partageant les récompenses. De véritables organisations, comme Riot et Marathon Digital.

Mais le problème majeur mis en lumière par le halving est celui de l’énergie. “Les mineurs enregistrent des pertes quand leur électricité est trop chère”, signale Sébastien Gouspillou, dont les activités en France ont cessé depuis 2019, entre autres, pour ce motif. Or, la tendance est plutôt à la hausse tout autour de la planète. Laissant, à l’heure du halving, deux options aux mineurs. “Rendre plus efficaces leurs machines et agrandir leurs propres capacités, afin d’avoir plus de volume et négocier les tarifs à la baisse”, explique Youssef El Manssouri, à la tête de l’entreprise Sesterce et qui dispose quant à lui d’activités de minage en Norvège et aux Etats-Unis, pays où se trouvent la majorité des mineurs.

Ou délocaliser leurs installations. “C’est un des intérêts du mining du bitcoin : on peut s’installer partout”, affirme Sébastien Gouspillou, qui s’est tourné vers le Kazakhstan, et surtout l’Afrique, en Ethiopie et au Congo, dans le Parc des Virunga. Tout en scrutant sans cesse sa mappemonde avec appétit. “Les pays avec des surplus hydroélectriques deviennent des eldorados pour les mineurs.” Les bons coins se partagent vite au sein de la communauté. “L’Islande est un site minier idéal en raison des basses températures, ce qui réduit le coût de l’équipement de refroidissement”, distingue par exemple sur son blog la plateforme de paiement spécialisée Cryptomus.

Un bitcoin haut, des mineurs heureux

Stabilité politique, nature de l’énergie, taxation, d’autres paramètres compliquent toutefois les velléités de départ. “En Estonie, le paiement des impôts sur le revenu des cryptomonnaies est très strictement surveillé. L’extraction de toute crypto-monnaie, y compris Bitcoin, est imposable”, prévient notamment Cryptomus. Alors, le meilleur allié de l’industrie minière face au halving reste, en dernier lieu, le bitcoin lui-même. Car la cryptomonnaie, en dépit de ses fluctuations – faisant temporairement perdre de l’argent aux mineurs – poursuit son inexorable ascension. Cela, grâce à des signaux positifs pour son adoption, à l’image de la création des “ETF bitcoin spot”, des produits d’investissements grand public répliquant son cours, et grâce à la rareté orchestrée par le halving, qui le rapproche d’un actif comme l’or. Si bien que “les mineurs n’ont aujourd’hui jamais aussi bien gagné leurs vies”, rappelle Sébastien Gouspillou. Même en prenant en compte une hausse du prix de l’énergie, lors de la dernière division par deux de la récompense, le bitcoin s’échangeait autour de 8 000 dollars. Soit sept fois et demie moins qu’aujourd’hui.

Le rythme actuel des halving – tous les quatre ans jusqu’aux 21 millions de bitcoin, soit aux alentours de 2140 -, pose plutôt question à long terme. Pour le PDG de Marathon Digital, l’un des géants du secteur, le cours ne doit désormais plus tomber sous les 46 000 dollars, faute de quoi la récompense ne couvrira pas tous ses investissements en matériel et en énergie. D’ici huit ans, le gain pour chaque bloc validé sera inférieur à un bitcoin. Ce dernier devra donc être beaucoup plus haut. Puis encore plus quatre ans plus tard, et ainsi de suite. A ce rythme infernal, “seuls les mineurs les plus sophistiqués, capables de s’approprier les plus gros volumes d’énergie subsisteront”, souffle Youssef El Manssouri, qui a déjà fait pivoter une partie de son activité vers l’intelligence artificielle. La bataille pour mettre la main sur les deux derniers millions de bitcoins fera forcément des victimes.

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