L’appétit, ça compte en politique. Dans les derniers jours de 2020, Edouard Philippe, sorti de Matignon en juillet auréolé par sa gestion de la crise du Covid, est convié à déjeuner par deux vieux compères, les anciens ministres chiraquiens Jean-François Copé et Pierre Bédier. Ceux-ci lui expliquent qu’il a une fenêtre de tir à ne pas manquer avec l’élection présidentielle de 2022. Leur raisonnement est simple : quand on a acquis auprès des Français un vrai capital, l’histoire ne repasse jamais les plats. Le maire du Havre répond sans répondre, “évanescent”, soulignant aussi qu’il serait confronté à un problème de loyauté vis-à-vis d’Emmanuel Macron, le président qui l’a nommé à Matignon, le chef de l’Etat qui a bien l’intention de se succéder à lui-même.
Jean-François Copé ne fait jamais les choses à moitié. Il va revoir une fois quelques mois plus tard Edouard Philippe pour tenter de le convaincre par A + B de saisir sa chance. Et puis… non. Pire que non, rien : l’ancien Premier ministre ne revient même pas vers le maire de Meaux (par ailleurs chroniqueur à L’Express) pour lui exposer le cheminement de sa pensée. Pas un signe, pas un coup de fil : Copé en conçoit quelque amertume. Dans les mois suivants, il explique, avec son art de la formule, que “Edouard rate tous les trains” ou se lamente qu’”au dernier moment il a eu piscine, comme à chaque fois, une coutume bordelaise sans doute” – l’ombre d’Alain Juppé poursuit toujours celui qui fut l’un de ses plus proches collaborateurs.
Quand Edouard Philippe publie avec Gilles Boyer ses Impressions et lignes claires, il raconte que dans les jours précédant sa nomination à Matignon, il a perdu plusieurs kilos. Jean-François Copé ne digère pas l’anecdote. Quel aveu ! Le poste qui va lui couper l’appétit, à lui l’ancien ministre du Budget, il n’existe pas encore. Serait-ce un aveu qu’Edouard Philippe ne serait pas formaté pour monter jusqu’au sommet de l’Etat ?
“Très déterminé”
Cette fois, la faim justifie les moyens. Celui qui fut porte-parole du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, Frédéric Valletoux (désormais ministre délégué de la Santé) convainc l’ancien Premier ministre de se mettre à table avec Jean-François Copé. Il faut savoir terminer une brouille. Le 30 janvier, les deux hommes déjeunent donc en tête-à-tête. Changement de menu : le maire du Havre apparaît “très déterminé”, son collègue de Meaux avait besoin de l’entendre pour comprendre. Celui qui a inventé la formule “il faut rétablir l’ordre dans la rue et dans nos comptes” (il y ajoute maintenant l’école) lui détaille la politique régalienne et économique à laquelle il réfléchit, il lui décrit son souhait d’une vraie classe politique professionnelle, ce qui passe par un assouplissement de la loi sur le cumul des mandats. L’épisode de 2020-2022 est rangé au placard.
Lundi 18 mars, Edouard Philippe a eu l’occasion de prendre un rapide café sucré (c’est ainsi qu’il les aime, il l’a confessé dans l’émission Ça mange quoi ? du Docteur Jimmy Mohamed) avec une autre personnalité de la droite. Valérie Pécresse effectue une visite surprise au Havre pour participer aux rencontres de l’axe Seine. Elle en profite pour apporter son accord – sous conditions – à la ligne ferroviaire nouvelle Paris-Normandie, qu’elle rejetait jusqu’à présent. En avril 2023, elle avait écrit une longue lettre au Havrais dans laquelle elle justifiait son refus.
“Tiens tiens, elle se rapproche d’Edouard”, sourit un grand élu francilien. L’évolution de la présidente de la région Ile-de-France, qui fut la candidate de LR en 2022, s’explique notamment par un changement des règles de financement des nouvelles lignes du grand Paris express, longtemps bloqué par un certain… Bruno Le Maire, ministre de l’Economie sourcilleux des dépenses de l’Etat et qui affiche lui aussi, ces jours-ci, ses ambitions élyséennes. La petite cuisine électorale de 2027 commence déjà à mijoter.
