Pierre Boyer : “Il est urgent de réconcilier les Français avec l’impôt”

Pierre Boyer : “Il est urgent de réconcilier les Français avec l’impôt”

Pierre Boyer est professeur à Polytechnique, directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques et membre du conseil des prélèvements obligatoires. Il est l’auteur de Peut-on être heureux de payer des impôts ?, un essai qui vient de paraître aux PUF. Pour L’Express, il pointe la relation complexe entre les Français et le fisc : faible consentement à l’impôt, mais fort civisme.

L’Express : Le sentiment de trop-plein fiscal est aujourd’hui largement répandu dans la population. Faut-il y voir la conséquence logique d’un taux de prélèvements obligatoires record ?

Pierre Boyer : Depuis la Révolution, l’histoire de France est émaillée de colères fiscales. Mais nous avions le sentiment que la relation entre les Français et l’impôt s’était plutôt apaisée depuis les Trente Glorieuses. On observe un mouvement inverse depuis dix ans, avec la multiplication des éruptions fiscales, des bonnets rouges aux gilets jaunes en passant par les pigeons. Et c’est vrai que, sur la décennie passée, le taux de prélèvements obligatoires a progressé, passant de 41 % en 2009 à près de 45 % aujourd’hui. Un niveau record.

Pour autant, nous n’avons pas vraiment d’instrument pour faire le lien entre les deux. Les données d’enquêtes portant sur la notion de ras-le-bol fiscal, recueillies par le conseil des prélèvements obligatoires, sont récentes. Ce que nous voyons, c’est que depuis 2021 ce sentiment est relativement stable. Dans l’absolu, le niveau des prélèvements n’est pas la seule chose à regarder pour justifier la perception du trop-plein d’impôts et la colère qui y est associée. Il y a des pays où les citoyens sont fortement imposés et où la satisfaction dans la vie est également très élevée, c’est le cas des pays scandinaves. La relation du citoyen contribuable à ses impôts est donc très complexe.

Diriez-vous que le vrai problème de la France est davantage celui du consentement à l’impôt ?

Oui ! La vraie question à se poser est la suivante : quelle est la contrepartie du très haut niveau de prélèvements que nous avons ? Si l’on avait des services publics 4 étoiles, des politiques efficaces de lutte contre la pauvreté ou le mal-logement, un système de santé très performant, alors la perception des citoyens sur le niveau des impôts serait différente. Si ceux qui payent l’impôt ne perçoivent pas que les contreparties sont à la hauteur, alors le contrat social et fiscal est rompu. Or, dans différentes enquêtes, on capte une insatisfaction croissante des Français dans l’utilisation de l’argent public. J’ajouterai que l’opacité et la méconnaissance du système sociofiscal sont une source de méfiance et qu’elles sont aussi associées à ce recul du consentement à l’impôt.

Cette baisse du consentement à l’impôt sape-t-elle la démocratie ?

Tout cela nous renvoie à l’origine du pourquoi des impôts. Comme l’a très bien montré l’historien Nicolas Delalande, la Révolution française naît d’une révolte fiscale destinée non à supprimer le principe de l’impôt, mais à le légitimer en lui donnant l’onction du consentement de la nation. Dans une société démocratique, nous savons collectivement que nous allons devoir payer des impôts : on veut un Etat moderne, on a envie d’être protégés, de vivre en sécurité… Donc les citoyens acceptent de verser une contribution commune. Mais ils veulent la consentir librement, et surtout ils veulent que ceux chargés de la gérer ne fassent pas n’importe quoi avec.

En réalité, le consentement à l’impôt revêt deux éléments. Le premier, c’est l’adhésion au système. Sur ce point, les Français sont très mécontents, puisque 75 % d’entre eux pensent qu’ils payent trop d’impôts. Ce niveau de rejet du système sociofiscal doit faire réfléchir les décideurs politiques, car une très grande majorité de la population ne témoigne pas d’une acceptation politique des prélèvements. Le second point, c’est le principe de l’impôt. Et là, 80 % des Français pensent que c’est un acte citoyen, ils y sont favorables. Le principe de l’impôt est donc très accepté en France, et le civisme fiscal fort.

Justement, ce civisme fiscal nous protège-t-il, d’une certaine manière, d’une crise de la dette ?

Pour le moment, oui ! La dette française, qui est très importante, ne rencontre aucun problème pour s’écouler auprès des investisseurs internationaux, car les marchés savent que ce civisme fiscal est fort. Si demain, en cas de choc ou de crise, il faut lever des impôts, alors l’Etat français sera en capacité de le faire. Le concept de “trop l’impôt tue l’impôt” est une construction séduisante, mais biaisée. Tout dépend du moment.

En période de guerre, les citoyens sont prêts à payer davantage pour assurer leur sécurité. La difficulté pour le décideur public est de ne pas se tromper. Si la parole de ceux qui affirment aujourd’hui que nous sommes en guerre contre le réchauffement climatique est crédible, alors les outils comme la taxe carbone pourraient être acceptés, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Cela renvoie évidemment à la question de la confiance dans la parole publique et dans le récit qui est tissé. Vu l’insatisfaction des Français quant à l’utilisation de l’argent public et le niveau de dette, il est urgent de les réconcilier avec l’impôt.

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