Achilli suspendu de France Info : plus contreproductif, tu meurs ! Par Abnousse Shalmani

Achilli suspendu de France Info : plus contreproductif, tu meurs ! Par Abnousse Shalmani

Les livres de journalistes sur la politique ou avec des politiques sont apparus timidement après la Seconde Guerre mondiale et ont bénéficié de l’individualisation de la vie politique, d’une part, et de la place accordée au président de la République après 1965, d’autre part. La vie parlementaire s’étant considérablement affaiblie avec la Ve République, les politiques ont soudain pris la lumière. L’apparition et la généralisation des sondages d’opinion dans les années 1970 aidant, la population a exigé de les connaître davantage, les journalistes sont devenus des signatures, l’édition s’y est engouffrée, le couple journaliste-politique s’est formé.

Depuis, chaque année charrie son flot ininterrompu de livres d’entretiens de politiques, de livres sur les coulisses du monde politique, de livres écrits à la place des politiques, de biographies, de mémoires de journalistes qui ont vécu au plus près des politiques. En somme, voilà un concubinage contrarié mais résistant, que le couple journaliste-politique, qui a une histoire, des réussites et des échecs mais qui n’est ni exceptionnel ni inédit. Pourquoi, dès lors, le journaliste Jean-François Achilli a-t-il été si rapidement mis à pied par Radio France ?

Récapitulons. Le 13 mars, Le Monde publie un article affirmant que le journaliste Jean-François Achilli aurait “travaillé dans l’ombre, accouchant Bardella de ses souvenirs, permettant ainsi à un début de livre de voir le jour” – sans éditeur désigné. Dans le même article, Jean-François Achilli fait valoir, lui, qu’il n’a “pas signé de contrat d’écriture pour le livre de Jordan Bardella”. Le journaliste a-t-il gracieusement offert des conseils avisés au politique ? Pour l’instant, en tout cas : pas de contrat ; pas de livre ; pas de précisions étayées. Mais la publication de l’article est suffisante pour provoquer la fièvre à la Maison de la Radio. Jean-François Achilli est interdit d’antenne, convoqué, sommé de se justifier. Le politique et le journaliste nient et se récriminent, qu’importe ! Il faut éloigner le déjà coupable.

Que faire du RN ?

Cette non-affaire s’inscrit dans un moment de tentation et, disons-le, de panique morale. La tentation d’abord : celle de censurer au nom du Bien – d’ailleurs a-t-on jamais censuré au nom du Mal ? Et Reporters sans Frontières qui saisit le Conseil d’Etat pour “manquements” de CNews en matière de pluralité, tout comme le sketch LFI de la commission parlementaire sur l’attribution des fréquences de la TNT le prouvent. Ensuite. Même si Achilli n’est “a priori” coupable de rien, est-ce la panique morale devant l’inexorable montée de l’extrême droite qui a provoqué cet enchaînement absurde conduisant de la publication d’un article à l’interdiction d’antenne d’un journaliste ? Et, surtout, de la confortable installation du RN dans le paysage politique, fruit de sa normalisation continue ? Des victoires des droites populistes dans le monde occidental ? Mais n’avons-nous d’autres armes à notre disposition que celle de la censure morale ? Sommes-nous si démunis de propositions politiques et intellectuelles ? N’avons-nous à opposer à l’extrême droite que l’interdit moral ?

Il faut croire que oui et c’est bien le drame qui agite la presse. Presse qui ne parvient pas à accepter une réalité : 42 % des votants ont glissé un bulletin pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, et Jordan Bardella dépasse les 30 % d’intentions de vote dans les sondages pour les européennes. Si tous les journalistes politiques en vue de France et de Navarre ont signé des livres sur ou avec des politiques, le FN était demeuré un confortable épouvantail, on n’approchait Jean-Marie Le Pen que pour des enquêtes prouvant à quel point il était un dangereux salaud par le passé, dans le présent et pour l’avenir.

Mais le RN rebat les cartes en convainquant des citoyens français, en étant sorti du vote de contestation, en alignant plus de 80 députés à l’Assemblée. “Que faire du RN ?” pourrait être le cri de désespoir qu’ont poussé les journalistes du Monde et la direction de la Maison de la Radio – qui est une institution publique et qui a le devoir de parler à tous les citoyens, même ceux qui ne votent pas comme elle. Que faire du RN ? Que faire d’un parti populiste de droite, si ce n’est de le regarder dans les yeux, sans panique, sans peur, et de parler à ses électeurs sans les prendre pour des pestiférés ou pour des cons ?

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste

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