Addiction des enfants aux écrans : “Interdire les réseaux sociaux avant 15 ans est inapplicable”

Addiction des enfants aux écrans : “Interdire les réseaux sociaux avant 15 ans est inapplicable”

Le rapport de la commission sur les enfants et les écrans, baptisé “A la recherche du temps perdu”, a enfin été rendu au président de la République Emmanuel Macron. En partie dévoilé par plusieurs quotidiens régionaux lundi 29 avril, il a finalement été publié dans son intégralité mardi 30 sur le site de l’Elysée.

Le document de 140 pages offre une analyse des défis et des opportunités liés à l’utilisation des technologies numériques pour les enfants et les adolescents. Mais il soulève, surtout, des questions cruciales sur la régulation des designs prédateurs des applications, l’éducation aux médias et l’accès des jeunes aux réseaux sociaux. Si certaines recommandations apparaissent pertinentes, d’autres semblent néanmoins inadaptées ou difficilement applicables.

Les recommandations pour les 0 – 11 ans alignées avec la science

La recommandation concernant l’interdiction des écrans avant 3 ans est pertinente car conforme à ce que proposent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Santé Publique France. Pour les tout-petits, suggérer d’éviter les écrans dans les crèches ou chez les assistantes de maternelle est une très bonne chose, même s’il semble difficile de contrôler ce qui se passe au domicile de ces dernières. Cela peut néanmoins ouvrir un travail de réflexion sur la formation des assistantes maternelles, ainsi que sur la délivrance de l’agrément pour la prise en charge de la petite enfance.

La recommandation concernant les écrans “accompagnés” entre 3 et 6 ans semble également être justifiée au regard des études scientifiques sur le développement cognitif et le développement des compétences langagières, dont ces deux études publiées dans la revue Jama Pediatrics. Ne pas recommander la possession de portables avant 11 ans apparaît encore raisonnable, quoi qu’il ne faudrait pas ignorer la pression sociale, de plus en plus importante, sur cette question.

Le démarrage des heures de cours à 10 heures pour les collégiens et les lycéens, quant à lui, est l’une des meilleures propositions de ce rapport. Cela fait plusieurs années que des méta analyses – dont une publiée dans Jama Pediatrics – montrent que les adolescents sont en déficit de sommeil chronique et que cela affecte leur niveau d’attention. Si l’on veut améliorer le bien-être des adolescents, il faut mieux respecter leurs rythmes et se conformer à leurs spécificités développementales.

Les recommandations relatives à la régulation des designs prédateurs et des algorithmes sont elles aussi très pertinentes. Il s’agit d’un bon signal en direction des plateformes qui œuvrent pour le moment dans une quasi-impunité, en dépit des règles du Digital Service Act (DSA). L’idée de renverser la charge de la preuve vers les plateformes concernant les effets néfastes des conceptions ou des algorithmes est donc une proposition intéressante.

Malheureusement, comme l’indique le rapport, elles ne seront pas mises en œuvre au niveau français, car elles doivent l’être au niveau européen en accord avec le DSA auquel doivent se conformer les plateformes du numérique. L’autonomisation des citoyens dans les demandes de régulation, le fait de soutenir la recherche sur l’impact des designs prédateurs des plateformes, de proposer des paramétrages des algorithmes pour aider les utilisateurs à reprendre le contrôle sont aussi des propositions pertinentes. S’il existe clairement un problème de faisabilité, ces propositions sont un signal fort envers les plateformes que l’on pourrait résumer ainsi : “Nous avons compris que nous jouons à un jeu injuste avec vous”. Espérons que l’Union européenne saura s’en saisir.

Il faut, enfin, souligner un dernier aspect intéressant du rapport qui concerne les recommandations relatives au vivre ensemble, en particulier le renforcement de l’éducation sur les enjeux liés au genre, l’éducation civique et la place des enfants dans l’espace public qui sont véritablement précieuses. En particulier l’idée de renfoncer la considération des enfants dans l’espace public. Construire plus d’aires de jeu, d’espaces ou d’activité de loisirs adaptées en vue de limiter leur usage des smartphones semble être une piste particulièrement pertinente.

Interdire le smartphone avant 13 ans ? Problèmes en vue

Malgré les efforts déployés par le comité d’experts, certaines recommandations sont sujettes à débat et ne sont pas toujours étayées par des données scientifiques, comme la décision de ne pas recommander l’utilisation d’outils numériques en maternelle. Ces outils peuvent en effet soutenir des activités d’apprentissage. Une méta analyse de 19 études scientifiques conduites avec des échantillons d’enfants âgés de 2 ans à 5 ans montre, par exemple que l’utilisation du numérique à la maternelle peut favoriser l’apprentissage des mathématiques, du vocabulaire, améliorer la résolution de problèmes ou l’auto-efficacité, mais uniquement si ce travail est supervisé par les adultes. Nous nous trouvons donc dans une situation où il est envisagé principalement la suppression d’activités pédagogiques numériques.

Le point le plus discutable de ce rapport concerne l’interdiction échelonnée des smartphones et des réseaux sociaux pour les adolescents. Les recommandations semblent inadaptées aux usages des jeunes et certaines paraissent même inapplicables. En particulier la recommandation de ne pas fournir de smartphone connecté à Internet avant 13 ans, qui pose plusieurs difficultés.

Premièrement, les collégiens utilisent Pronote sur leur smartphone pour suivre leurs devoirs et également pour s’assurer que les professeurs sont bien présents. Ils peuvent évidemment utiliser l’ordinateur familial ou le téléphone des parents mais c’est une perte d’autonomie pour les collégiens de moins de 13 ans. Deuxièmement, cette recommandation est très influencée par l’idée que la famille est mononucléaire. Aujourd’hui, les structures familiales évoluent, la coparentalité se développe entre les parents séparés ou divorcés, et de nouvelles relations se nouent. Cette recommandation ne prend pas en compte le fait que des enfants avant 13 ans puissent maintenir un lien avec le parent absent, voire investissent des groupes de discussion réunissant cette fois des équipes parentales et les enfants. Il existe aussi des travaux montrant que chez les adolescents placés qui relèvent de la protection judiciaire de la jeunesse, l’utilisation d’un smartphone peut permettre de maintenir les liens entre la fratrie.

La question de l’interdiction des smartphones dans l’ensemble des collèges est également abordée dans le rapport. Mon avis n’est pas le même que celui de la commission, la littérature étant plus réservée sur les bénéfices de ces dispositions, avec toutes les contraintes pédagogiques, matérielles que cela peut poser, sans pour autant améliorer les problèmes de cyberharcèlement ou de santé mentale.

L’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ou 18 ans est totalement inapplicable

La recommandation la plus problématique concerne l’interdiction des réseaux sociaux avant l’âge de 15 ans, voire 18 ans pour des plateformes comme Instagram, Snapchat et TikTok. Cette dernière est totalement inapplicable d’un point de vue légal. Elle suppose une restriction qui crée une inégalité d’accès au numérique entre les pays européens. Cette volonté de créer une exception française avec la majorité numérique à 15 ans contrevient à la volonté du DSA d’harmoniser au niveau européen les lois sur les services numériques. Il faut rappeler que la loi du 20 juin 2018 prévoit déjà que les adolescents de moins de 15 ans ne puissent pas accéder aux réseaux sociaux sans le consentement des parents pour le traitement de leurs données personnelles. Une disposition légale qui n’est absolument pas respectée à l’heure actuelle…

Si on arrivait malgré tout à la mettre en place, on risquerait de déporter les problèmes liés aux réseaux sociaux dans d’autres espaces numériques moins accessibles. Les adolescents pourraient être amenés à échanger par d’autres moyens plus discrets, comme des salons sur Discord, qui seront finalement plus difficiles à superviser, encadrer et aussi à étudier. En plus, ces interdictions échelonnées risquent de créer un sentiment illusoire de sécurité chez les parents. Ils seront moins investis dans un accompagnement autour des usages numériques de leurs adolescents étant donné que leurs enfants ne seront pas supposés être sur les réseaux sociaux. En cas de comportements problématiques et de situation de violence, les adolescents qui ne sont pas supposés être sur les réseaux sociaux auront plus de mal à se tourner vers les parents, les éducateurs ou encore la justice pour obtenir de l’aide : on risque donc d’invisibiliser une partie des violences en ligne.

L’important est donc de privilégier l’éducation aux médias des jeunes, ce qui est prévu dans le rapport, mais dans un échelonnement d’interdiction plus réaliste, faut de quoi nous perdrons les bénéfices de ces démarches éducatives. Enfin, il faut avoir à l’esprit que restreindre l’accès aux smartphones ou aux réseaux sociaux ne permettra pas de résoudre les problèmes de santé mentale que rencontrent les collégiens et les lycéens. Si les amener à un usage responsable et leur permettre de naviguer dans les environnements numériques de manière sécurisée est un point important, il est tout aussi essentiel de reconnaître que les vulnérabilités psychologiques ou familiales ne pourront être traitées efficacement qu’à travers des interventions adaptées et un investissement accru dans les centres de santé mentale.

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