“Amal” : enfin un grand film sur l’école

“Amal” : enfin un grand film sur l’école

Dans une précédente chronique, je parlais du film de Teddy Lussi-Modeste, Pas de vagues, l’histoire d’un prof de banlieue accusé à tort de harcèlement par une de ses élèves. Je regrettais le manque d’engagement personnel du réalisateur, passé à côté du grand film sur l’état actuel de l’enseignement dans certains établissements. Mais voici qu’Amal, le film de Jawad Rhalib, montre qu’il n’est pas forcément besoin d’engagement personnel pour réussir un grand film.

Amal est enseignante dans un lycée de Bruxelles. Autant le dire tout de suite, Lubna Azabal, l’actrice qui tient le rôle-titre, est très forte, magnifique. Ça n’est pas spoiler que d’annoncer ce qu’on apprend à la fin : en Belgique, l’éducation religieuse est obligatoire dans les établissements scolaires, qui doivent tous proposer des cours de religion, qu’elle soit catholique, protestante, juive ou musulmane. C’est au choix des parents d’y inscrire leurs enfants, mais ceux qui ne veulent pas suivre des cours de religion ne sont pas exemptés de cours de morale.

Ignorant ce détail d’importance, je me suis demandé pendant tout le film ce que c’était que ce bahut où pratiquement tous les élèves sont arabes et suivent des cours coraniques. La prof de français aussi est arabe, mais pas très versée dans la religion. Amal vit avec un type qui n’a pas l’air très religieux non plus. Elle a affaire à une classe pleine de diversités, mais pas très réceptive. Elle a du mal avec ses ados. On sent qu’elle ne va pas y arriver. Elle s’attaque à une montagne d’ignorance, de préjugés, d’arrogance, d’indiscipline, une meute d’énergumènes à la recherche d’une proie pour assouvir leur violence.

Dans le film de Lussi-Modeste, la victime émissaire, c’est le professeur. Là, c’est Mouna, une des élèves, soupçonnée d’être “gouine” et accusée de blasphémer ainsi Allah. Elle se défend via les réseaux sociaux, mais on comprend vite qu’elle ne sera pas de taille à l’emporter.

L’ultime tabou : la beauté

Comme dans le film de Lussi-Modeste, la direction du collège n’a qu’un objectif : pas de vagues. Mais dans le film de Rhalib, les profs se montrent nettement plus courageux, et, malgré sa lâcheté, la directrice, interprétée par Catherine Salée, ne devient pas l’incarnation du mal absolu. Son aveuglement a des limites, ce qui n’était pas le cas de l’infect directeur du collège français, interprété par Francis Leplay.

Les deux films se répondent aussi sur une question qui n’est pas évoquée en tant que telle, l’ultime tabou : la beauté. Dans Pas de vagues, la calomniatrice est aussi remarquablement belle que la “gouine satanique” dans Amal. Mais tous les chemins du lynchage passent par le sexe, depuis la maladroite caricature que les élèves se refilent en classe, en ricanant, aux messages orduriers sur le Net, aux tags géants sur les murs de sa maison et à toutes les insultes homophobes qui aboutissent aux animations de décapitation à la mode islamiste.

Pourquoi dans les films les personnages dont la sexualité échappe à la norme sont-ils presque toujours des beautés ? Serait-ce que le public, depuis la nuit des temps, au théâtre puis au cinéma, ne peut concevoir de héros sans l’éblouissement du charme physique qui les désigne comme des créatures du diable ? Et, dans “la vie réelle”, est-ce que leur beauté en fait forcément des marginaux, ou est-ce leur marginalité qui les embellit ? Ne comptez pas sur moi pour répondre.

Quant à l’incarnation du mal, on n’y échappe pas. C’est Fabrizio Rongione qui s’y colle. Il est parfait dans le rôle de Nabil, le professeur d’éducation coranique, fomenteur de troubles, tellement propre sur lui, calme, costard-cravate, barbe bien taillée, et qui de cette voix posée, mielleuse, vous débite les pires inepties du genre moratoire sur la lapidation des femmes adultères. Avec lui, on ne se pose pas de questions esthétiques, on a juste envie de lui casser la gueule. Comme dans tous les films réussis.

Christophe Donner, écrivain

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