Août 2029 : plusieurs étés brûlants attisent les tensions sur le Rhône

Août 2029 : plusieurs étés brûlants attisent les tensions sur le Rhône

Entre une région touchée par des inondations et une autre frappée d’une sécheresse historique, il n’y a que mille kilomètres. Paradoxal et saisissant effet d’un climat toujours plus bouleversé, et de tensions grandissantes sur les ressources en eau du pays. Chaque été, désormais, impose son débat sur ses usages et sur son accès, alors que les pluies parfois torrentielles de l’hiver ravagent certains territoires. Comment adapter la France à cette nouvelle réalité ? L’Express a souhaité apporter sa pierre à l’édifice d’un débat plus nécessaire que jamais. Ces six “scénarios noirs” de l’eau à l’horizon 2030 en sont la traduction. Ils ne sont ni des prévisions, ni des prédictions. Mais des hypothèses sur lesquelles travaillent déjà plus ou moins directement les pouvoirs publics et industriels, et dont les trames ont été affinées et enrichies par la quarantaine d’experts interrogés : chercheurs, météorologues, hauts fonctionnaires, ingénieurs, assureurs… Tous sont unanimes : la résilience du pays face à ces événements se construit dès maintenant.

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EPISODE 2 – Août 2027, un méga-feu dans l’Hérault : l’inquiétante hypothèse d’un “suremballement”

EPISODE 3 – Janvier 2026 : un dangereux cocktail météo frappe sauvagement le nord de la France

C’est la nouvelle réalité. Celle des niveaux d’alerte renforcée ou de crise qui n’en finissent plus et des mesures de restrictions qui s’éternisent, interdisant les prélèvements en eau non prioritaires. Depuis quatre ans, la vallée du Rhône connaît une situation inédite de sécheresse prolongée. A l’été 2029, elle devient alarmante. Le fleuve est la source de multiples activités (agriculture, eau portable, navigation, production d’électricité), crucial pour l’économie. La colonne vertébrale de tout un coin de France que le changement climatique met sous pression. On se partage l’eau quand elle est abondante, mais aussi (et surtout) quand elle l’est moins. Les conflits d’usage s’amplifient en conséquence.

Selon les projections de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, le débit moyen annuel du Rhône resterait sensiblement le même à l’horizon 2050, mais avec une “saisonnalité” exacerbée. Or la variabilité du climat a joué à plein ces dernières années : la pluviométrie hivernale n’a pas permis – et de loin – de compenser le manque d’eau estival. “Si on part avec un hiver déficitaire, qu’on poursuit avec un printemps sec et un été brûlant, on va au-devant de gros problèmes”, confirme Nicolas Kraak, directeur du Syndicat mixte d’hydraulique agricole du Rhône (SMHAR).

Dans les monts du Lyonnais, les éleveurs ne peuvent plus abreuver leurs vaches et leurs chèvres. Toute la profession agricole du bassin – 240 000 hectares, soit la taille du Luxembourg, sont irrigués avec cette eau – est priée de drastiquement limiter sa consommation. Ceux qui pompent dans les nappes phréatiques subissent de sévères restrictions. Les autorités en envisagent même pour les groupements de propriétaires qui prélèvent directement du fleuve. Une mesure inédite. Les exploitations du sud de la vallée sont les plus vulnérables, comme celles connectées aux affluents que sont la Durance ou la Drôme dans un état critique. En aval du Rhône, à Beaucaire (Gard), le débit d’étiage – c’est-à-dire minimal – est le plus bas jamais enregistré. Un nouveau record tombe.

“Un vrai point de faiblesse du territoire”

Une telle sécheresse rappelle la dramatique année 1921. Un siècle plus tard, en 2029, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) n’a jamais été si proche de la limite des débits réservés pour la biodiversité. La production d’hydroélectricité sur ce fleuve domestiqué par l’homme, échelonné de nombreux barrages, est en chute de 40 % au coeur de l’été. Bien pire qu’en 2022 (-12 % sur l’ensemble de l’année), “où parfois un seul groupe tournait par usine”, rappelle Eric Divet, directeur ressources en eau à la CNR.

L’industrie nucléaire – 14 réacteurs, 20 % de la production nationale – doit aussi moduler son activité. Car plus le débit du fleuve est bas, plus la température de l’eau grimpe, surtout si la canicule s’en mêle. Les centrales qui puisent dans le Rhône pour le refroidissement de leurs réacteurs ne peuvent pas rejeter une eau trop réchauffée. “C’est un effacement de la production au profit de l’environnement. A peu près tous les acteurs de l’énergie en connaissent”, précise Cécile Laugier, directrice environnement et prospectives du parc nucléaire d’EDF. Il est temporaire, mais ampute jusqu’à 2 % de la production.

Aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), c’est l’eau potable qui manque. Le bas niveau du Petit Rhône entraîne une importante remontée d’eau de mer dans le delta du fleuve. Trop salée pour être bue au robinet. Dans la capitale de la Camargue, cet écrin naturel protégé, plus de 40 000 personnes sont ravitaillées en camions-citernes pendant une période record. “C’est un vrai point de faiblesse du territoire, convient un responsable local. On essaie de bien gérer le quotidien, mais on peine à se projeter dans ce genre de scénarios.” La remontée historique du “coin salé” et les niveaux critiques des nappes inquiètent les agglomérations d’Arles ou de Nîmes. Et désolent les viticulteurs et riziculteurs, qui ont perdu leurs récoltes à cause de la salinité des sols.

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