Après l’attentat de Moscou, les Centrasiatiques victimes de racisme en Russie

Après l’attentat de Moscou, les Centrasiatiques victimes de racisme en Russie

L’attentat du “Crocus”, vendredi 22 mars, a mis la Russie entière en émoi face à l’une des pires attaques terroristes que le pays ait connu. Si les autorités russes accusent indirectement l’Ukraine comme responsable de l’attaque, pourtant revendiquée par l’Etat islamique, les premiers boucs émissaires semblent être les populations centrasiatiques vivant en Russie. Car les principaux suspects arrêtés par la police sont quatre citoyens originaires du Tadjikistan, que l’on a vus sur les réseaux sociaux avec des visages couverts d’ecchymoses et des regards hagards lors de leur comparution dans un tribunal moscovite, dimanche 24 mars, après des séances de torture par le FSB.

De quoi mettre ces citoyens d’Asie centrale sur le qui-vive. Ces anciennes républiques soviétiques voient partir chaque année des centaines de milliers de citoyens vers la Russie pour y travailler, “dans des conditions très difficiles, explique Marat, un avocat spécialisé dans les droits des minorités en Russie, préférant rester anonyme. Beaucoup travaillent dans le secteur du BTP, à des postes subalternes, et sont mal payés”. Sans parler des pressions exercées par les autorités à leur encontre depuis deux ans pour qu’ils rejoignent l’armée russe en Ukraine, et les nombreux raids de policiers dans ces communautés de migrants.

Mais cette pression est montée d’un cran depuis l’attentat de Moscou. Les diasporas centrasiatiques en Russie sont désormais associées au terrorisme. Les actes racistes envers ces communautés augmentent en flèche, largement relayés par la communauté de blogueurs pro-Kremlin. “Il est nécessaire d’assimiler tous les membres des diasporas à des terroristes. Et les éliminer comme des terroristes”, écrit la chaîne Telegram propagandiste Troïka. “Que diriez-vous d’une action similaire dans un centre commercial tadjik ?” – renchérit le canal “Dupi4ok Dizayner”.

Détentions arbitraires et tortures

L’élan xénophobe a pénétré la société russe. Un propriétaire de centre commercial d’Ekaterinbourg a par exemple requis de lister l’identité de tous les employés d’origine centrasiatique, tandis que dans plusieurs grandes villes, des utilisateurs de taxi refusent de monter dans un véhicule si son conducteur est tadjik.

L’avocate spécialisée dans la défense des migrants en Russie Valentina Tchoupik a reçu “des milliers d’appels de migrants depuis l’attentat terroriste”. “La plupart disent avoir subi des contrôles et des détentions illégales, et de nombreuses personnes ont été battues par des policiers et expulsées du pays”, explique-t-elle. Dans les premières heures qui ont suivi l’attaque du centre commercial, “les appels provenaient le plus souvent de Kirghizstan, car les forces de sécurité ont effectué des descentes parmi les chauffeurs de taxi, où se trouvent de nombreux représentants de ce pays”. L’attention de la police et des services de renseignement s’est ensuite portée sur les foyers et les dortoirs et “les plaintes des citoyens du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan sont devenues plus fréquentes”, précise-t-elle.

“Se tenir à l’écart des lieux publics”

Ce 27 mars, 40 citoyens kirghiz ont été arrêtés à leur arrivée à l’aéroport moscovite de Shérémétievo et seront renvoyés au Kirghizstan “le plus tôt possible”, a annoncé le ministère russe des Affaires étrangères. Son homologue kirghiz a conseillé ses citoyens de ne pas se rendre en Russie en ce moment. De son côté, le ministère de l’Emploi et des relations de travail d’Ouzbékistan a demandé à ses compatriotes en Russie “d’avoir toujours leurs documents d’identité sur eux et de se tenir à l’écart des lieux publics”. Les mêmes mesures de précaution ont été communiquées par l’ambassade du Tadjikistan à Moscou.

Ce n’est pas tout. Le régime d’exemption de visa pour la Russie dont bénéficient les populations centrasiatiques, prévu par l’Union économique eurasiatique, a été remis en question ces derniers jours. A la Douma (chambre basse du Parlement russe), le député Sergueï Mironov dit vouloir renforcer le contrôle migratoire à l’entrée en Russie, car “sans cela”, il n’y aurait “pas d’ordre à la frontière, désormais vitale pour réguler les migrations et contrer les attaques terroristes”, a estimé le député.

“Les conditions de séjour pour les migrants centrasiatiques se durcissent de plus en plus”, note le chercheur Temour Oumarov sur le site du centre de réflexion Fondation Carnegie pour la paix internationale. De nouvelles exigences bureaucratiques leur sont imposées, comme la notification obligatoire de l’emploi au ministère de l’Intérieur ou la prise obligatoire des empreintes digitales des migrants d’Asie centrale dans les aéroports moscovites.

Selon l’avocat Marat, “des expulsions se feront dans les prochaines semaines, qui viseront particulièrement les Tadjiks, sans qu’aucun document officiel ne soit publié. Ces procédures resteront officieuses”, anticipe-t-il. Une disposition qui handicaperait fortement la Russie. Selon certaines estimations, la contribution des travailleurs migrants centrasiatiques à l’économie représenterait 8 à 10 % du PIB du pays. Une participation essentielle, étant donné la pénurie de main-d’œuvre à laquelle fait face l’économie russe. Malgré cela, “le sort des migrants d’Asie centrale n’est pas près de s’améliorer”, glisse Marat.

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