Après le Covid-19, l’ère des pandémies ? “Il y a une liste de suspects qu’on surveille”

Après le Covid-19, l’ère des pandémies ? “Il y a une liste de suspects qu’on surveille”

En décembre 2019, une nouvelle maladie a fait son entrée dans les livres d’histoire. Le virus Sars-CoV-2, découvert en Chine, dans la ville de Wuhan, a fait plus de 7 millions de morts officiellement répertoriés, selon l’Organisation mondiale de la santé – mais le bilan dépasserait en réalité les 25 millions de décès attribuables à la pandémie à travers le monde. Cette crise, qui a secoué la planète entière et aura des effets visibles pendant encore longtemps, marque-t-elle l’entrée de l’humanité dans une nouvelle ère pandémique ? Le rythme des émergences (apparitions de maladies nouvelles pour les populations humaines) a été multiplié par quatre en cinquante ans, avec plus de 330 épisodes recensés entre 1940 et 2004. Parmi ces maladies émergentes, plus de 60 % sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies causées par des agents pathogènes d’animaux qui se transmettent aux humains. Et près des trois quarts de ces zoonoses proviennent de la faune sauvage.

Partant de ce constat, des scientifiques ont décidé de retracer dans l’ouvrage L’ère des épidémies : Covid, les avancées de la recherche (CNRS-Le Cherche-Midi), publié jeudi 22 février, “l’histoire naturelle” du Covid-19. Ce livre très fouillé, qui rassemble des textes de nombreux chercheurs français, fait le point sur les avancées de la recherche sur le Covid-19 et le virus qui cause cette maladie, Sars-CoV-2. Car Florence Débarre, directrice de recherche CNRS en biologie évolutive et modélisation, qui a coordonné cette somme de connaissances, indique, à l’instar de ses collègues, que cette pandémie n’est pas la dernière que nous connaîtrons. Les coronavirus en sont une illustration frappante dans la mesure où, parmi les sept qui infectent les humains actuellement, quatre, généralement bénins mais pouvant causer des pneumonies chez des sujets à risque, auraient émergé entre le XIIIe et le XIXe siècles, et les trois derniers, dont le Sars-CoV-2, au XXIe siècle. Entretien.

Vous avez dirigé un ouvrage scientifique collaboratif qui s’apparente à une somme de nos connaissances sur les virus, et plus précisément le Covid-19. Pourquoi avoir publié un tel ouvrage ?

Florence Débarre Nous avons souhaité faire un livre qui parle de science autour de la pandémie de Covid-19 parce qu’il y a eu de nombreuses publications sur les aspects médicaux, mais beaucoup moins sur les aspects scientifiques, et notamment biologiques. Un des buts de cet ouvrage est donc de combler ce manque et de rappeler que la pandémie a été aussi l’objet de plusieurs développements en biologie. L’idée était donc de proposer un tour d’horizon de ce qu’on avait appris sur le virus Sars-CoV-2.

En quoi le Covid-19 marque-t-il un tournant dans l’histoire des pandémies ? Car l’émergence d’une nouvelle épidémie n’est pas, en soi, une nouveauté…

La pandémie de Covid-19 n’est effectivement pas la première qui a touché l’humanité, mais c’est la plus récente ; elle a eu un impact majeur sur l’ensemble de la planète et a bouleversé nos vies. Et tout ceci à cause d’un nouveau virus, Sars-CoV-2 ! Après que ce que l’on vient de vivre, on peut avoir envie de comprendre comment l’émergence d’une nouvelle maladie peut avoir lieu, comment le pathogène se réplique, se transmet entre humains, comment lutter contre… et c’est ce que le livre propose d’expliquer, en faisant le point sur l’état des connaissances.

Dans ce livre, on ne trouve pas de chapitre exclusivement consacré à l’origine du Covid-19. Pourquoi ce choix ?

Lors de la définition du plan du livre, j’ai assez tôt décidé de ne pas aborder spécifiquement cette question dans un texte séparé du reste, pour plusieurs raisons. D’abord, même si tous les éléments vont dans le sens d’une zoonose pour le moment, la question reste polémique. Surtout, ce point mérite bien plus que juste quelques pages, notamment pour expliquer pourquoi ce sujet reste encore débattu alors que les données disponibles sont assez claires. Il y avait aussi un risque que cela prenne le pas sur le reste. Néanmoins, la question de l’émergence est abordée dans plusieurs textes, car chaque auteur avait la liberté d’écrire sur le thème qu’il devait traiter.

Par ailleurs, si on avait fait, par exemple, un chapitre sur l’hypothèse d’une zoonose, puis un autre sur celle d’un accident de laboratoire, cela aurait donné l’impression que les deux hypothèses se valent. Or, étant donné l’état actuel des connaissances, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas un livre sur la question des origines, mais un ouvrage collectif beaucoup plus général sur les virus et la pandémie de Covid-19.

Pour rester sur le mystère des origines, il est écrit dans le livre que nos connaissances, depuis début 2020, n’ont que peu évolué sur ce mystère. Que sait-on précisément et avec certitude sur l’apparition de ce virus ?

On sait que les premiers cas ont été détectés en lien avec le marché de Huanan, dans la ville de Wuhan, en Chine. Dans cet endroit étaient vendus des animaux sauvages, et les analyses rétrospectives de cas ont montré que les premières personnes infectées et détectées résidaient autour de ce marché. Par ailleurs, dans le génome du virus, il n’y a pas de trace évidente de manipulation génétique, et le virus n’est pas semblable à des virus qui étaient déjà manipulés en laboratoire. Enfin, on sait que les virus les plus proches connus sont détectés chez les chauves-souris, mais on trouve aussi des virus proches chez d’autres espèces, comme le pangolin par exemple. Mais on n’a pas l’éventail complet des animaux qui sont infectés.

Connaîtra-t-on un jour le fin mot de l’histoire selon vous ?

Il est vraisemblable que les premiers cas connus ne sont pas les toutes premières infections, et on ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé dans les semaines qui ont précédé les premiers cas détectés. Selon la diversité génétique observée, le début de la pandémie a eu lieu aux alentours de fin novembre 2019, alors que les premiers malades présentant des symptômes ont été identifiés fin décembre. Il y a eu des analyses rétrospectives qui ont permis d’identifier d’autres personnes tombées malades au cours du mois de décembre 2019, mais il reste des trous. Et si les données n’ont pas été collectées à l’époque – essentiellement parce qu’on ne connaissait pas l’existence même de la maladie -, ce bout d’histoire est probablement définitivement perdu. Après, est-ce que ça veut dire qu’on n’aura jamais la réponse de l’origine ? Pas forcément. Il y a d’autres moyens d’y arriver et on sait qu’il reste encore quelques données qui existent et qu’il reste à partager. Donc il reste des choses à apprendre ou à consolider. Après, soyons lucides, même si on arrive à une conclusion définitive pour certains, elle ne le sera pas pour d’autres, chez qui il restera toujours l’ombre du soupçon.

Vous évoquez l’avènement d’une “ère des pandémies” au XXIe siècle. Observe-t-on une augmentation des pandémies ces dernières années ? Cela va-t-il s’accentuer ?

Les textes du livre qui abordent ce sujet notent une hausse du nombre d’épidémies, en raison notamment de la mondialisation des échanges, d’un accroissement démographique, de changements d’utilisation des terres qui peuvent donner lieu à une augmentation de contacts entre animaux et humains. Il y a aussi les effets du changement climatique, et notamment le déplacement des aires de répartition d’animaux vecteurs de certaines maladies. On s’attend donc à un impact grandissant de maladies infectieuses dans un futur proche et il faut s’y préparer dès maintenant.

Justement, comment peut-on se préparer aux futures pandémies ?

On peut se préparer en considérant la santé humaine comme faisant partie d’un tout, étant liée à la santé animale et plus largement à la santé des écosystèmes, ce qui est mis en avant par le concept de “One Health”, développé à la fin du livre. Il y a aussi dans cet ouvrage un texte consacré à la possibilité d’émergence de maladies liées à des activités de recherche, et donc proposant l’augmentation des conditions de sécurité en laboratoire.

Le virus Sars-CoV-2 a-t-il surpris la communauté scientifique lors de son apparition ?

Tout dépend d’où on se place ! Le fait qu’une pandémie soit causée par un nouveau coronavirus de type Sars [NDLR : syndrome respiratoire aigu sévère] n’était pas, en soi, une surprise. C’était même un scénario envisagé. En revanche, lorsqu’il est apparu, ce virus possédait des caractéristiques qu’on ne connaissait pas. L’état des connaissances avant sa découverte ne permettait pas d’imaginer que ce virus-là pouvait avoir eu un tel “succès”. Par ailleurs, c’est le premier coronavirus de type Sars connu possédant un site de clivage par la furine [NDLR : qui lui permet de pénétrer plus aisément les cellules de son hôte], mais d’autres coronavirus en ont. Encore une fois, tout dépend de l’échelle considérée.

Et l’apparition de nombreux variants, à une vitesse assez élevée, a-t-elle été une surprise ?

On s’attendait à ce qu’il y ait des changements, mais on ne savait pas ce qui allait arriver exactement. Par exemple, une des mutations clés présentes chez les premiers variants avait été identifiée dans des expériences publiées à l’été 2020. Donc quand on l’a observée pour la première fois, on était certes surpris de voir que cette position spéciale dans le génome avait muté, mais rétrospectivement on savait que cela pouvait se produire. On ne peut pas prédire dans quel sens ça va, mais il y a des choses qu’on peut interpréter.

A quoi pourrait ressembler la prochaine pandémie ?

On ne sait pas, mais il y a une liste de suspects : un autre coronavirus ou un virus de la grippe notamment. Mais cela pourrait aussi être totalement autre chose. C’est pour cela qu’il y a une surveillance. L’idée est que si surprise il y a, qu’elle ait le moins d’effets néfastes possibles. Dans l’enthousiasme des progrès de la médecine au XXe siècle, certains avaient à l’époque prédit la fin des pandémies, mais on a depuis revu ce jugement ! Le Covid-19 n’est pas la dernière pandémie que l’humanité connaîtra.

Quels sont les scénarios pour la suite du Covid ?

A priori, ce virus est là pour rester. Après, on peut se poser la question de savoir dans quel sens les variants vont aller dans les prochaines années. On n’en parle plus beaucoup en ce moment, mais le virus continue de circuler, d’infecter des gens et d’évoluer. Récemment, on a observé un grand remplacement d’un variant par un autre. Les virus qui circulent actuellement en France, par exemple, ont peu à voir avec ceux qui circulaient en juin dernier. BA.2.86, qui est apparu sur les radars l’été dernier et est maintenant dominant, est un descendant de BA.2, un des premiers de la famille Omicron, qui a circulé au début de l’année 2022. On suspecte que l’apparition de tels variants soit liée à des infections chroniques, c’est-à-dire des personnes qui sont infectées et qui le restent pendant très longtemps. Cela laisse au virus l’opportunité d’évoluer au sein de ces personnes, de devenir très différent. On suppose que, la plupart du temps, les virus s’adaptent à l’environnement intra-humain et ne vont pas plus loin, mais dans certains cas, cela crée de nouveaux variants qui peuvent se transmettre. Et c’est probablement le cas de celui qui circule actuellement en France.

Conclusion : tant qu’il circule, le virus continue d’évoluer. Jusque-là, on a de la “chance” parce qu’il s’agit toujours de variants de la famille Omicron, qui ne causent pas des infections trop sévères en général. Mais on n’est jamais à l’abri d’un nouveau variant dont les caractéristiques changeraient de manière plus importante. Il y a toujours cette part d’incertitude. On s’est aussi posé la question pendant un moment de la réémergence de variants anciens, surtout via ces infections longues durées. Avec l’apparition d’un Delta super-modifié par exemple. Plus le temps passe, moins cela devient plausible, mais ça reste une possibilité. Tout cela implique de maintenir une surveillance génomique pour savoir ce qui circule comme virus, notamment dans le but de mettre à jour les vaccins. C’est une nouvelle réalité.

“Covid : les avancées de la recherche”, éditions CNRS – Le Cherche-Midi.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *