Atos en quête d’un sauveur : de OnePoint à Kretinsky, les jeux sont rouverts

Atos en quête d’un sauveur : de OnePoint à Kretinsky, les jeux sont rouverts

Tel un plongeur infortuné – victime de son hybris, diront d’autres –, Atos continue de sombrer en eaux profondes. Lesté par 4,9 milliards d’euros de dette, l’ancien fleuron de services du numérique reste à la recherche de la bulle d’air qui lui permettra de remonter à la surface. Ses discussions avec Daniel Kretinsky ? Rompues, comme l’anticipaient beaucoup d’observateurs et l’espéraient la quasi-totalité des parties prenantes. Le milliardaire tchèque aurait été laissé “sans nouvelles” par Atos, déplore son entourage. Le deuxième round de négociations avec Airbus ? Refermées par l’avionneur, piégé par la rivalité franco-allemande et que d’aucuns disent déçu par ce qu’Atos avait vraiment à lui vendre.

Coup sur coup, la direction du groupe informatique a vu capoter les options qu’elle avait explorées pour faire le plein d’argent frais. Au pied du mur, elle a annoncé au début du mois d’avril avoir arraché un accord de principe auprès de banques et de détenteurs d’obligations sur un financement intermédiaire de 400 millions d’euros. Une béquille destinée à lui permettre de tenir jusqu’en juillet. Le mois est crucial pour le groupe, qui est l’une des pièces maîtresses du système de cybersécurité des Jeux olympiques et paralympiques. Auditionné par des sénateurs, son président Jean-Pierre Mustier s’est voulu rassurant. “Atos fera son travail de manière tout à fait normale” pendant l’événement, a promis l’ancien patron d’UniCredit.

L’Etat sort du bois sur Atos

L’industriel malade joue d’autant plus gros que son contrat avec le CIO expire à la fin de 2024. Et que d’autres clients dans le domaine sportif envisageraient de rompre leurs propres accords plus tôt que ne le prévoyaient les clauses… Au risque d’aggraver le cas d’une entreprise jugée critique pour la France. Dans son portefeuille, Atos détient toujours une foule de contrats dans le domaine militaire, la gestion de données de santé ou la dissuasion nucléaire. Grâce à l’héritage de Bull, il est le dernier fabricant de supercalculateurs d’Europe. Des prérogatives qui ont fini par faire sortir l’Etat du bois. Critiqué pour son long silence sur le dossier, le gouvernement s’est finalement décidé à octroyer un prêt de 50 millions d’euros, en complément des 400 millions d’euros privés, pour “stabiliser la situation financière” d’Atos et “garantir la protection des activités stratégiques”.

Une largesse que Bercy a conditionnée à une “action de préférence” sur les activités sensibles, comme il en détient déjà chez Airbus Defence and Space ou Nexter. De quoi lui permettre de contrôler Bull en cas d’évolution de l’actionnariat. Et ce, même une fois le prêt remboursé. “Première étape” dans la “solution nationale de protection des activités stratégiques” d’Atos promise en mars, l’engagement tant attendu du ministère de l’Economie acte au passage le retour sur le devant de la scène de la société d’informatique quasi-centenaire. Victime d’actionnaires peu scrupuleux, plombé par des acquisitions ratées, nationalisé, Bull devrait revenir encore une fois d’entre les morts.

“Nous nous engageons à ce que les activités dites sensibles soient protégées quelle que soit la solution apportée par les repreneurs”, n’a cessé de promettre, presque la main sur le cœur, Jean-Pierre Mustier devant la commission sénatoriale. Et d’insister sur le fait que le plan de refinancement présenté peu avant aux créanciers prévoyait bien de “maintenir Atos dans son ensemble”. A condition de décrocher la coquette somme de 1,2 milliard d’euros, dont 600 millions de cash, et de sabrer de moitié la dette actuelle. “Notre vision industrielle consiste à maintenir le groupe uni. Mais nous verrons ce que les apporteurs de capital nous proposeront”, a prévenu l’ex-banquier. Parties prenantes et investisseurs tiers ont jusqu’au 26 avril pour déposer leurs projets. Un appel à candidatures qui risque bien d’ouvrir un nouvel épisode au sommet de cette saga dont Atos est devenu le héros malgré lui.

Groupe uni ou démantelé ?

Son premier actionnaire, le fondateur de OnePoint, promet lui-même de garantir l’intégrité du groupe. Très bien introduit dans le milieu politique, David Layani croit tenir sa revanche après avoir été sèchement recalé par l’ancien président d’Atos, Bertrand Meunier. Le ralliement du financier Walter Butler à son projet vise sans doute à donner une coloration made in France à son initiative – la sécurisation en novembre dernier de 500 millions d’euros auprès du fonds américain Carlyle, un temps dirigé par un ancien ponte de la CIA, ayant jeté un certain trouble. L’adhésion de Walter Butler au “OneAtos” promis par David Layani a en tout cas achevé de convaincre certains actionnaires, à l’image d’Hervé Lecesne. Le plus gros des petits porteurs le croit “tout à fait capable de développer Atos” à condition de recentrer le business sur l’Europe en cédant la branche américaine Syntel, acquise au prix fort par Thierry Breton en 2018.

Dans sa conquête, David Layani est aussi soutenu par le premier syndicat chez Atos, la CFE-CGC. Ce qui a le don de faire grincer des dents la concurrence : “Nous étions pour un “OneAtos” bien avant tout le monde, y compris David Layani”, raille Didier Moulin, délégué central à la CGT Atos-Eviden. En mars, la confédération s’est fendue de son propre plan industriel. Il prévoit également un recentrage d’Atos sur le marché européen, assorti de l’intervention de l’Etat dans le cadre d’une augmentation de capital et du renouvellement de la gouvernance. “Nous partons du constat que la scission d’Atos en deux entités, Eviden et Tech Foundations, est une aberration et un gâchis. Elle est tellement contreproductive que la direction a rétabli au 1er janvier des organisations commerciales uniques”, tacle Didier Moulin. Si c’était à refaire, Atos se scinderait à nouveau pour faciliter la gestion opérationnelle des deux activités, a répliqué la direction au Sénat. “On ne renie pas le passé sur cette question-là”, a lâché Jean-Pierre Mustier, sibyllin.

D’autant que cette scission pourrait bien faciliter les affaires d’autres repreneurs potentiels, au premier titre desquels figure Daniel Kretinsky. Contre toute attente, le magnat tchèque resterait intéressé par les activités d’infogérance qui devaient lui être cédées. “Daniel avait dit que si on avait besoin de lui, il serait là. L’actif qui l’intéresse reste Tech Foundations, cela n’a pas changé”, assure un proche. Les rumeurs vont aussi bon train sur un engagement de Dassault Aviation pour sauver une partie des activités. Peut-être dans le cadre d’un consortium et de la “solution nationale” voulue par l’Etat, croit savoir BFMTV. “Il n’y a jamais eu d’exemple en France de grand groupe qui n’ait pas trouvé de solution en étant en procédure de conciliation. Nous savons qu’il y aura une solution car cela a toujours été le cas”, a promis Jean-Pierre Mustier. L’avenir des 95 000 salariés d’Atos en dépend.

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