Au Parlement européen, le réseau trouble du RN : Action française, prorusses et identitaires

Au Parlement européen, le réseau trouble du RN : Action française, prorusses et identitaires

C’est une fondation politique européenne comme les autres. Affiliée au groupe Identité et Démocratie, le groupe du Rassemblement national au Parlement européen, la Fondation ID a pour objectif de produire du contenu idéologique. Des rapports, des études, des débats mis au service des eurodéputés frontistes et de leurs alliés. Mais, durant la dernière mandature, la Fondation ID, d’abord présidée par l’eurodéputé RN Hervé Juvin – placé là par Marine Le Pen –, démis de ses fonctions après avoir été condamné en 2022 pour violences conjugales, et remplacé par l’eurodéputée RN Mathilde Androuët, a aussi servi à rémunérer tout un écosystème sulfureux, composé de personnalités proches de groupuscules radicaux, accusées de proximité avec le Kremlin ou condamnées pour harcèlement sexuel. Plongée dans ces réseaux du RN, loin de la dédiabolisation.

Des personnalités radicales

12 décembre 2023, au Parlement européen. Les eurodéputés RN Thierry Mariani et Eric Minardi accueillent un invité particulier. Un certain Ferenc Almassy, journaliste franco-hongrois, venu présenter un rapport commandé par Thierry Mariani sur “Les médias et la liberté de la presse en Europe centrale et orientale”, en particulier les cas hongrois et polonais. Le rapport a été rédigé avec Claude Chollet, ancien président du Groupement de recherche pour la civilisation européenne (Grece) et directeur de l’Observatoire du journalisme, dont la mission principale est de publier des fiches sur les journalistes couvrant l’extrême droite. Ferenc Almassy est un collaborateur régulier du Rassemblement national au Parlement européen. En 2022, il publie un document pour la Fondation ID sur la politique énergétique hongroise. En parallèle de ses activités d’auteur, Ferenc Almassy est aussi le fondateur du Visegrad Post, un site d’information d’extrême droite basé en Hongrie, et a servi d’émissaire français pour le Jobbik, parti conservateur hongrois.

Quand il ne collabore pas avec le RN, il lui arrive aussi d’échanger avec des journalistes. Comme ce jour de 2014, lorsqu’il déclare à Vice que l’affaire Dieudonné paraît “complètement surréaliste” à ses amis hongrois. “Je leur ai expliqué dans les grandes lignes, et le bonhomme leur plaît. On a même évoqué l’idée de l’inviter à Budapest, histoire de faire une petite quenelle !” Ou encore : “En Hongrie, on peut dire des choses qu’on ne peut pas dire en France. Ici, on peut se dire ouvertement antisioniste, contre l’immigration, dire que la démocratie c’est de la m…, ou encore que la Hongrie est un pays chrétien. Le FN est un parti laïque, il ne peut pas se dire antisioniste, et il propose une régulation de l’immigration. Le Jobbik, lui, défend l’idée de remigration, le retour des immigrés et de leurs descendants dans leurs pays d’origine.” Dans son CV, on trouve aussi une contribution, en 2017, à Egalité et Réconciliation, le site antisémite et conspirationniste d’Alain Soral. En avril 2018, il intervient au colloque de l’institut identitaire Iliade. Et, sur ses réseaux sociaux, il relaie volontiers Renaud Camus, l’inventeur de la théorie raciste et complotiste du “grand remplacement”.

Ligue du Midi et Bloc identitaire

Ferenc Almassy n’est pas la seule personnalité sulfureuse rémunérée par la Fondation ID. En 2020, l’eurodéputée RN Virginie Joron (également connue pour ses prises de position antivaccin) commande un rapport sur les menaces liées à l’abattage rituel (qu’elle préface), via la fondation, au vétérinaire et président de l’association SOS Halal, Alain de Peretti. Un an plus tôt, le 8 septembre 2019, il prenait la parole lors de la fête de la Ligue du Midi, un groupe régionaliste identitaire connu pour ses actions violentes. En 2011, il manifeste aux côtés du Bloc identitaire radical, à Lyon, et appelle “à un réveil de l’identité nationale menacée par l’islamisation, thème que Marine néglige un peu trop”. Dans une interview accordée à Radio Courtoisie, le 23 janvier dernier, il déclare : “L’islamisme et l’islam, c’est une seule et même chose.” Dans une autre tribune, publiée en décembre 2023 sur le site d’extrême droite Riposte laïque, il assure : “Dans mon ouvrage, L’Islam dévoilé, paru à la Nouvelle Librairie, sous l’égide de l’institut Iliade, j’ai développé la thèse de l’islam générateur de troubles psychiques, […] qui permet de sortir des débats stériles sur la santé mentale individuelle de ces assassins pour envisager la racine du mal : l’islam lui-même. Il me semble en effet qu’on ne pourra en sortir qu’en démontrant la toxicité de cette idéologie mortifère, afin qu’elle perde son statut de religion qui la met à l’abri de toute critique dans le cadre de la laïcité. Je considère en effet que l’islam n’est pas une religion, mais une idéologie sans aucune transcendance.” Pendant la campagne présidentielle, en 2021, Marine Le Pen avait pourtant fixé la ligne du RN en la matière : “Moi je lutte contre l’islamisme radical, qui est une idéologie. Je ne lutte pas contre l’islam. Je suis très attachée à la liberté religieuse et à la liberté de conscience.” En 2022, cette même Marine Le Pen avait adressé un courrier à Elisabeth Borne (alors Première ministre) pour demander la dissolution des groupuscules extrémistes violents, dont fait partie la Ligue du Midi.

Dans le même registre, on retrouve Stéphane Buffetaut, ancien eurodéputé, membre du Comité économique et social européen (Cese), contributeur du Salon beige, site Internet traditionaliste, anti-avortement. Il est l’auteur d’un rapport commandé par le groupe RN en 2023, intitulé “L’Union européenne, cheval de Troie du wokisme sur le continent européen”. Dans son rapport, Stéphane Buffetaut s’emploie notamment à démontrer l’absence d’existence de différentes formes de discriminations, en ciblant un communiqué de la Commission européenne : “Il s’ensuit quelques affirmations péremptoires : ‘Les personnes d’ascendance asiatique et africaine, les musulmans, les Juifs et les Roms ont tous souffert d’intolérance.’ Voici une affirmation bien générale, sans nuance et sans le moindre élément factuel permettant de la fonder autrement que par présupposé idéologique”, écrit-il. Il donne également sa définition de l’islamophobie : “La Commission cite parmi les formes de racisme ‘l’islamophobie’, alors qu’il est établi que cette notion est instrumentalisée par les islamistes, notamment ceux proches des Frères musulmans, pour interdire toute critique de l’islam ou de ses pratiques.” On peut aussi noter, comme l’avait révélé Libération, la présence de Thibault Kerlirzin, auteur de plusieurs études dont une sur “l’influence des ONG dans le processus législatif européen”, dans laquelle il cite comme source la publication complotiste et antisémite “Faits et Documents”, notamment à l’origine de la rumeur selon laquelle Brigitte Macron serait en fait un homme.

Un écosystème prorusse

Dans le vivier d’auteurs des eurodéputés RN, on trouve également tout un écosystème prorusse. L’historien et géopolitologue Roland Lombardi, par exemple, auteur d’un rapport intitulé “Egypte – Emirats arabes unis : fers de lance contre l’islamisme dans le monde arabe et quel partenariat avec l’Europe ?”, remis à la fondation le 15 mai 2021. Ce dernier est également contributeur du Dialogue franco-russe, une association suspectée dès 2019 par la DGSI d’être un relais d’influence du Kremlin en France. Avant son interdiction après le début du conflit ukrainien, il écrivait aussi pour le média d’Etat russe RT France. Tout comme Alain Juillet, ancien directeur de la DGSE et chroniqueur régulier de RT France entre février 2020 et janvier 2022. Il est l’auteur, dans la Revue ID n° 4, publiée au premier trimestre 2022, d’un article issu de condensés de son travail pour le site RT France. Henri Malosse, ancien président du Comité économique et social européen, qui a participé au lancement des Localistes en 2021 avec Hervé Juvin, est l’auteur, dans la même revue, d’un article intitulé : “Les pays de l’Est et des Balkans : si semblables et si différents”. Le 11 février 2022, il avait participé à une réunion au Sénat organisée par Oleg Voloshyn, un député ukrainien connu pour ses positions prorusses, à laquelle étaient conviés des oligarques proches de Vladimir Poutine et des chevilles ouvrières des réseaux d’influence du Kremlin, selon nos confrères du Parisien.

Les réseaux de l’Action française

Bien connu des milieux identitaires, l’africaniste Bernard Lugan (qui a conseillé Eric Zemmour pour sa campagne présidentielle en 2022) est l’auteur d’un rapport intitulé “Afrique sud-saharienne : L’Europe face au risque islamiste”, présenté au Parlement européen en décembre 2019 et commandé par l’eurodéputée frontiste Dominique Bilde. Ancien membre de l’Action française dont il est resté proche, Bernard Lugan, monarchiste et nostalgique de la colonisation, défend notamment une approche racialiste du conflit entre les Hutu et les Tutsi. L’un de ses derniers ouvrages, On savait vivre aux colonies. Nouvelles aventures incorrectes, est publié aux éditions de la Nouvelle Librairie, haut lieu de la culture identitaire parisienne. Le 17 décembre 2019, il est invité par Dominique Bilde au Parlement européen pour présenter son rapport. “J’espère avoir le plaisir de vous faire revenir ici”, conclut celle-ci.

Dans les réseaux de l’Action française, on trouve aussi Frédéric Rouvillois. Essayiste, agrégé de droit public, il a contribué à la revue royaliste Réaction, puis au trimestriel monarchiste Les Epées. Défenseur de l’union des droites, il a collaboré à Causeur, à L’Incorrect. Maurrassien, il est aussi l’auteur d’un Dictionnaire du conservatisme (2017, éd. du Cerf). En juin 2021, il participe au colloque de l’Action française sur le thème “Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent”. Cinq mois plus tard, le 19 novembre 2021 il intervient lors d’une conférence organisée par la Fondation ID à Cracovie, sur le thème : “Y a-t-il un déficit démocratique dans l’Union européenne ?”

Condamnation pour harcèlement sexuel

Pour un rapport publié en 2022 portant sur le retrait et la déchéance de nationalité en Europe, c’est à un autre profil que le RN a fait appel. Celui de Bertrand Pauvert, professeur de droit public à l’université de Haute-Alsace et candidat RN à Mulhouse pour les élections départementales de 2021. En octobre 2021, il a toutefois été suspendu de ses fonctions universitaires après que des étudiants ont dénoncé son comportement “professionnellement et déontologiquement inapproprié”. En juillet 2022, il est condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’interdiction d’exercer pour violence et harcèlement sexuel et sexiste. En cause, notamment, ces propos rapportés par enregistrements vocaux lors de l’audience : “Si le viol est inévitable, détends-toi et profite”, “Tu vas trop vite, ta copine me l’a encore dit hier soir” ou “J’ai la braguette ouverte, je viens de me faire su… entre midi et 2”. Le fait de violence, quant à lui, remonte à 2018. En plein cours, Bertrand Pauvert fait monter un étudiant sur l’estrade, se place derrière lui et mime une sodomie sans le toucher. Il aurait expliqué ce comportement en assurant illustrer par ce geste la suprématie du droit européen sur le droit national, selon Rue 89 Strasbourg.

Chaque année, le Parlement européen alloue un budget aux différentes fondations politiques. En 2019, sur les 955 653 euros alloués, la Fondation ID en a utilisé 436 999, en 2020, 456 075 euros sur les 1 966 063 mobilisables, en 2021, 660 075 euros sur les 2 3310 232 potentiels. En 2022, le plafond était fixé à 2 121 196 euros et à 2 millions en 2023. Le montant utilisé pour ces deux dernières années n’est pas encore connu. “Le prix des rapports commandés aux différentes personnalités pouvait atteindre les 10 000 euros”, indique un élu européen. Plusieurs eurodéputés RN évoquent un fonctionnement opaque de la Fondation ID. “J’ai l’impression que pas mal ont utilisé ce système de rapports pour payer des amis qui n’étaient d’ailleurs pas d’une effectivité totale”, commente un élu.

Contacté par L’Express, l’ancien président de la Fondation ID, Hervé Juvin, n’a pas donné suite à nos sollicitations. Son assistant parlementaire de l’époque, Andréa Kotarac, un temps directeur de publication des documents de la Fondation ID (donc relecteur), aujourd’hui collaborateur de Marine Le Pen à l’Assemblée, assure ne pas connaître, notamment, Bertrand Pauvert et Ferenc Almassy, et précise : “C’est Hervé Juvin en tant que patron qui choisissait les thèmes, prenait contact avec les personnes. C’était lui le patron que les députés allaient voir quand un sujet leur paraissait intéressant, je n’étais que son assistant parlementaire.” L’actuelle présidente de la Fondation ID, l’eurodéputée Mathilde Androuët, et le président du parti et tête de liste du RN pour les élections européennes Jordan Bardella n’ont pas donné suite à nos demandes.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *