Bernard Minier : le savoir-faire unique du “roi du thriller”

Bernard Minier : le savoir-faire unique du “roi du thriller”

Bernard Minier n’aime pas qu’on lui rappelle ce fait d’armes, mais on n’y résiste pas. Le 15 avril 2011, Xavier Dupont de Ligonnès quittait l’hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens pour disparaître à jamais. Sur des images prises par les caméras de vidéosurveillance, les dernières connues de l’assassin, on le voyait avec un livre à la main : Glacé, le premier livre de Bernard Minier. Alors que Christine Dupont de Ligonnès fait actuellement le tour des médias en affirmant que son frère est toujours en vie (ainsi que sa famille), on a trouvé un bon argument pour défendre cette thèse complotiste : friand comme on le sait de romans policiers, notre homme est-il caché quelque part à lire et relire l’œuvre de Minier ?

De l’eau a coulé sous les ponts depuis le choc de Glacé, que le Sunday Times avait classé parmi les 100 meilleurs polars et thrillers publiés entre 1945 et aujourd’hui. Traduit en 27 langues, Minier a sorti 11 romans qui cumulent à ce jour 6 millions d’exemplaires vendus en France, et 1,3 million à l’étranger. Il cartonne en Espagne, en Allemagne et en Pologne, et depuis peu dans les pays scandinaves. Le “roi du thriller” (selon El Pais) peut-il conserver sa couronne avec Les Effacées, son 12e roman ?

On y retrouve le personnage de Lucia Guerrero, enquêtrice de l’UCO (l’Unidad Central Operativa, la section de recherches de la garde civile espagnole). Elle se trouve une nouvelle fois en Galice, où repose sur une plage le cadavre d’une jeune femme, une paire de ciseaux plantée dans le cou à la hauteur de la carotide. Ce crime fait suite à deux meurtres semblables : celui d’une employée d’une conserverie de La Corogne et celui d’une femme de ménage. Un détraqué en voudrait-il aux anonymes qui se lèvent tôt le matin pour aller travailler ? Les choses ne sont pas si simples : Lucia est rappelée à Madrid où l’on vient de retrouver le corps d’une milliardaire, figure de la jet-set, pendue à un lustre. Sur un mur est écrit : “Tuons les riches”. D’autres nantis vont ensuite tomber comme des mouches, alors que Lucia est elle-même victime de chantages qui tournent aux menaces de mort. Dans cette sarabande sinistre, Lucia va croiser comme toujours chez Minier des personnages secondaires hauts en couleur, dont un ministre, un artiste contemporain et un chirurgien esthétique tous plus désaxés les uns que les autres…

A quand la couverture de Télérama ?

En quoi Minier se distingue-t-il du commun des auteurs de polars ? Ancien inspecteur des douanes, il a roulé sa bosse pendant longtemps avant de devenir romancier à 51 ans. Il a surtout beaucoup lu, dont Thomas Bernhard et Witold Gombrowicz quand il était jeune. Il confesse deux maîtres : Pasolini et Balzac. Comme ce dernier, il aime ausculter l’envers de l’histoire contemporaine. Ici, il décrypte ainsi la culture incel, cette frange radicale du masculinisme qui pullule sur le darkweb. Il nous raconte aussi dans des pages éclairantes les soubresauts de la société espagnole depuis le franquisme.

Contrairement à un Mathieu Belezi, écrivain né à Limoges qui nous bassine avec la guerre d’Algérie alors qu’il n’a aucun lien familial avec ce pays et n’y a même de son propre aveu jamais mis les pieds, Minier n’est pas hors-sol. Né d’une mère espagnole ayant fui sa patrie pour des raisons économiques, il a cette culture dans le sang, et cela se sent. Il l’a souvent raconté : à l’âge de 20 ans, répondant à l’appel de la Movida et se prenant pour un mélange de Kerouac et de Henry Miller, il avait momentanément arrêté ses études pour partir un an en Espagne mener la vie de bohème – drogues et nuits chez l’habitant, au gré de ses pérégrinations. Resté attaché à ces vagabonds de la littérature, il n’est pas devenu un écrivain en chambre qui raconte n’importe quoi depuis son canapé, en posant à l’intellectuel. Lui, va sur le terrain. Pour écrire Les Effacées, il est allé à Madrid rencontrer le colonel chef de l’UCO et diverses personnes de son équipe, dont les geeks du département contre le cybercrime. Il a ensuite sillonné la Galice, notamment le village de Cuenca, ce qui donne des scènes poétiques et vivantes. En 2019, lors de la publication en espagnol d’Une putain d’histoire, le quotidien barcelonais La Vanguardia avait élu le livre de Minier meilleur roman policier de l’année, devant James Ellroy. En France, il reste vu comme un auteur populaire alors qu’Ellroy est considéré par les snobs comme l’égal de Dieu. Il serait temps que cela change. A quand Minier en couverture de Télérama ?

Les Effacées, par Bernard Minier. XO, 413 p., 22,90 €.

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