Ces cataclysmes sanitaires qui nous guettent : “Les infections et la pollution, un cocktail explosif”

Ces cataclysmes sanitaires qui nous guettent : “Les infections et la pollution, un cocktail explosif”

A la tête du Covars, le “Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires”, l’immunologiste Brigitte Autran sonde le pays, pour mieux le préparer aux crises. Avec son équipe, elle vient de remettre un rapport à l’exécutif sur les cataclysmes qui pourraient survenir dans les deux à cinq ans. Épidémies d’origine animale, nouveaux virus, moustiques contaminés, dérèglement climatique, pollutions… Le système de soin français est-il prêt ? Lorsque la spécialiste décroche pour nous en parler, elle vient de faire part de ses conclusions au gouvernement. Au tour des lecteurs de L’Express.

L’Express : Quelle est la principale menace qui plane sur la France ?

Pr Brigitte Autran : Il y en a plusieurs, et de plusieurs types, avec de nombreuses interactions possibles. Nous avons notamment étudié les liens entre les risques infectieux et les facteurs environnementaux qui exacerbent ces risques. Le réchauffement climatique, les pollutions atmosphériques ou chimiques, représentent une lame de fond à laquelle la population est exposée en permanence et dont il faut tenir compte.

Dans les infections respiratoires, ce sont les grippes aviaires et l’émergence d’un nouveau coronavirus qui posent le plus grand risque. Ces maladies circulent chez l’animal, mais si elles passaient chez l’homme, elles pourraient générer une nouvelle épidémie, comme avec le Covid-19. Il faut aussi surveiller les arboviroses, les virus qui se transmettent par un vecteur, comme le moustique. La dengue, mais aussi le West Nile virus, sur le continent. Dans une moindre mesure en métropole : Zika, et Chikungunya, mais beaucoup plus probable dans les outremers.

Il pourrait également survenir une épidémie d’un virus totalement inconnu jusqu’alors, et donc imprévisible. C’est ce que nous, scientifiques, appelons la “maladie X”. Enfin, même si nous y sommes habitués, et que la lutte progresse, avec de nouveaux vaccins et médicaments sur le marché, les infections respiratoires aiguës, comme la bronchiolite, peuvent encore poser de gros problèmes. On l’a encore vu les hivers derniers, alors qu’on aurait largement les moyens de réduire ce risque.

Cela fait beaucoup. Sur quoi avez-vous insisté, en rencontrant le ministre de la santé, Frédéric Valletoux ?

Sur l’effet cumulé. Et notamment sur les risques chroniques qui, en s’ajoutant les uns aux autres, pourraient finir par menacer le système de soin tout entier, et générer une crise. C’est d’ailleurs pour cela que dans ce rapport, nos analyses sont systématiquement en lien avec les facteurs environnementaux.

En quoi les crises environnementales perturbent le système de soin ?

D’abord, elles ont des conséquences directes sur la santé. Prenez les événements météorologiques extrêmes. Les vagues de chaleur, par exemple. Elles tuent chaque année des milliers de personnes en France. Quant aux inondations, on le sait moins, mais elles font déborder les eaux usées, ce qui répand les bactéries et les virus. Regardez les contaminations d’huîtres de cet hiver…

Mais c’est aussi un facteur de risque chronique : le dérèglement climatique change les températures, force les populations à migrer. Ce sont des situations propices à la diffusion de maladies. La pollution atmosphérique, en encrassant les bronches, aggrave les maladies respiratoires chroniques et la sévérité des infections respiratoires. Et les rejets chimiques, comme ceux des usines d’antibiotique en Inde, et en Chine, sélectionnent les bactéries plus résistantes. C’est tout ça, qu’il faut prendre en compte.

Ce qui est le plus alarmant, c’est que contrairement aux infections que je vous citais, ces dangers-là sont mal maîtrisés. On ne sait pas encore quantifier avec précision ces risques et leurs conséquences sur la santé. Il faut donc, de toute urgence, accentuer la recherche à ce sujet. Et surtout, éviter de travailler en silos, avec d’un côté la santé, de l’autre, l’environnement. Et aussi, que ces travaux soient menés en collaboration avec les autres pays. Car la menace est globalisée.

Menaces multiples, niveau de risque accru… On frôle la catastrophe ?

Nous ne sommes pas en train de crier au feu. Même si ces risques sont bien réels, cela ne veut pas dire que le système de soin va couler demain. Reste que, le Covid-19 nous l’a montré, il faut se tenir prêt pour limiter les dégâts. Il est possible de réduire les risques. Par exemple en prévenant le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, ces affections qui nous rendent particulièrement fragiles. Et en renforçant les outils de surveillance, comme le dépistage, ou le suivi des eaux usées.

D’autant plus qu’il y a de nouvelles pistes à explorer : pour lutter contre la grippe aviaire et du West Nile, on peut mener des analyses ADN, ARN ou fécales sur les oiseaux ou le gibier. Échantillonner la faune sauvage, en d’autres termes, et déterminer le risque de transmission aux animaux d’élevage, qui ensuite pourraient nous contaminer. On commence à le faire, mais on pourrait accélérer.

Ce sont des pistes à moyen terme. Dans l’immédiat, serions-nous prêts à faire face à une nouvelle épidémie ?

Nous en avons les capacités. Le système de soins français est très développé, très fort. Mais nous avons aussi rappelé au gouvernement ses fragilités. Chaque année, plus de 100 000 postes d’infirmiers et d’aides-soignants sont à pourvoir. Le nombre de médecins généralistes a diminué de 11 % entre 2010 et 2022. La situation est pire dans les outremers, des territoires moins dotés, et parfois plus à risque, car les épidémies qui y circulent sont différentes de celles du continent.

Mais nous avons aussi de nouvelles armes. Avec le Covid-19, la surveillance a été renforcée. La conscience du risque aussi. Même si la population exprime un certain ras-le-bol, les gestes barrières sont désormais connus de tous. Les soignants et les dirigeants sont mieux formés à ces questions, même s’il reste des lacunes. Sans oublier que, désormais, nous avons maintenant les vaccins à ARN.

Aux États-Unis, où plusieurs cas de grippe aviaire ont été détectés chez les bovins, un pas de plus vers l’homme, des “maquettes” de vaccins ont été réalisées. Tout comme en Europe, et en France. Ce sont des sortes de vaccins brouillons, prêts à être adaptés, en cas d’alerte. C’est un progrès énorme. Ils nous permettent, en théorie, de réagir en quelques semaines, là où avant, il nous fallait des années.

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris vous paraissent-ils particulièrement à risque ?

Il y a un bon niveau d’alerte et de préparation, que ce soit dans les ministères, où dans les hôpitaux. Les grands évènements sportifs, sont en théorie, des moments à risque sur le plan sanitaire, c’est vrai. L’été parisien, c’est la saison des grippes dans l’hémisphère sud, par exemple. Des spectateurs pourraient donc nous la ramener et relancer l’épidémie. Ou accentuer la circulation de la dengue en France, encore très rare. Sans compter les risques d’infections alimentaires, et sexuellement transmissibles, dont on n’a pas parlé jusqu’à présent, inhérents au côté festif. Mais, jusqu’à présent, les Jeux se sont plutôt bien déroulés en général. On a les moyens de répondre aux alertes.

Le rapport du Covars insiste aussi sur les risques accrus liés à la désinformation. Pourquoi ?

Souvenez-vous de l’hydroxychloroquine. Pendant des mois, des millions de personnes ont cru à un remède, alors qu’en réalité, c’était inefficace et même délétère. La désinformation peut faire passer d’une situation sanitaire contrôlée à une crise majeure. Et générer de la panique : en 2012, 10 000 enfants ont subi une intoxication alimentaire à cause des cantines en Allemagne. Le chiffre fait peur, mais en réalité, ça n’a pas été mortel. Ces événements, et les croyances autours, peuvent participer à faire grimper le scepticisme sanitaire, et donc les risques.

Il faut donc qu’il y ait une information gouvernementale transparente, étayée, et qui fasse participer la population. La qualité de l’information, des sources, est très importante en matière sanitaire. C’est là où les journaux ont un rôle important à jouer. Il faut aussi former la population au risque et l’introduire dans l’éducation, à l’école, pour qu’il y ait une prise de conscience. Les scientifiques eux-mêmes doivent aussi avancer sur ces sujets, et apprendre à mieux communiquer leurs recherches.

Le rapport fait été d’un cas de choléra à Mayotte survenu en mars dernier… Faut-il en avoir peur ?

Ce cas a été importé d’Afrique de l’Est, où il y a une épidémie. Si Mayotte est malheureusement le territoire le moins équipé sur le plan sanitaire, avec également des problèmes de gestion des eaux, cela reste un territoire français, et le niveau sanitaire est bien au-delà des pays alentour. Les moyens déployés sont considérables et les autorités extrêmement vigilantes. Le choléra est une grande menace à l’échelle mondiale, mais en France, le risque est plutôt mesuré.

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